Monsieur Ouine
Monsieur
Ouine de
Bernanos, mauvais titre, évoquant la stupidité méchante, une porte
qui couine sur un insecte qu'elle écrase : pas porteur, pas
vendeur. 1946, sale époque, épuration, suspicions, accusations
gluantes et insaisissables. Antisémitisme peut-être de l'auteur,
curaillerie, soutane et dessous mal lavés, prof mal fringué en
habits de velours
et à gros souliers. Qui flaire son nez partout, se lave peu, éructe
et grogne et bande dans ses humeurs gluantes. Guéret :
Chaminadour, bled infect selon Jouhandeau, lieu où je l'ai lu, peu
inspirant, car la campagne est belle mais la ville sans attraits pour
moi, pour moi vous dis-je et c'est assez.
Présentation
confuse des personnages écrivis-je sur ce livre de poche au temps où
l'on publiait pour de bon, et de ce premier pas glissant j'ai dérapé
tout du long de l'œuvre sans y rien comprendre, sans y vouloir rien
comprendre, et l'ai fini de même en poussant un grand ouf intérieur.
Puis je subis une influence, encore à mon âge, celle d'Asensio
nommé Stalker, mauvais nom, pas
porteur, pas vendeur ; il
tient Monsieur
Ouine comme
un de ces chefs-d'œuvres
inconnus
dont se constelle l'histoire de la littérature. Vous savez que cette
rubrique se veut l'histoire d'un homme et d'un combat, entre son goût
et le livre, où les contradictions s'entrebattent. Car
je suis chacun de vous, et vous êtes un de mes moi possibles.
Et
ce moment, l'éternel étudiant nommé le maître l'attend sans cesse
jusqu'à ce qu'il agonise, et son agonie se manifeste dans la
logorrhée, dans le sens mystérieux enfin dévoilé par
un
spasme de rien. Monsieu Ouine est obscène, Monsieur Ouine est
gluant, il souille tout ce qu'il touche de sa langue et de son
souffle de bête, il veut bouffer les enfants de treize ans. Or, tout
à fait
au début, une longue femme vaporeuse, la mère, jeune veuve, laisse
faire une gouvernante anglaise qui elle aussi se penche sur l'enfant
Steeny, et veut l'embrasser, le serrer contre elle, contre le rebord
de la fenêtre ouverte
sur l'été.
L'enfant recule, renâcle, comme j'aurais fait peut-être avec une
vraie femme en prétendant le contraire. Le livre contient toute une
histoire, un grand nombre de personnages, une fugue, une mort, un
chantage, une autre agonie, peut-être bien, dit Asensio Stalker,
Ouine est-il un criminel qui s'installe dans le village et se met à
tout épier, à se mêler de tout, mais ce n'est qu'en toute fin et à
seconde lecture que le véritable sujet se décèle : déjà la
quête du pourquoi, l'observation de la misère de l'homme sans
grâce, ni physique ni divine, et qui erre. Le drame est que le héros
fut conçu répugnant comme un serpent de Paradis, ridicule,
emphatique, mystérieux comme un obsédé de Nabokov (« Vous
allez voir, je vais vous révéler quelque chose, je vais vous
montrer quelque chose, regardez bien au fond de la braguette de mon
cerveau »),
mais il ne dit rien.
Tout
le livre nous avons cru que le corps du jeune Steeeny l'intéressait,
alors que sa pédophilie n'est que pédagogique, il veut par ses
manigances contaminer l'âme de son enfantin confident, souhaitant
qu'il se confie en retour, par un transvasement réciproque du pur et
de l'ignoble, de
l'immense lassitude à l'ingénuité, en bon Faust suce-moëlle. Nœud
vital. Faute d'avoir senti ce motif essentiel, nous avons pataugé
dans la prose, la pose du
héros et
son
marécage, confondant les personnages à l'envi (sans « e »),
ne sachant plus qui était mort et qui ne l'était plus, dans les
ténèbres d'une chambre nocturne aux relents viciés de
plus de 200 pages.
Pour
votre et notre gouverne, lisons d'abord l'article de Wikipédia le
vilipendé : «Bernanos
s'attaque de nouveau aux figures du mal et à la déchéance de
l'humanité sans Dieu. ».
Le
personnage central serait-il une incarnation de ce mal ? Oui,
car à force d'observer ce mal on se contamine Monjoie. « Il
s'agit à la fois d'un récit policier (autour d'un meurtre) et d'une
galerie de portraits », bon, je n'étais pas tombé loin, car
ce faux polar me semblait bien encombré de considérations annexes
longuement développées. Il s'agissait donc de portraits, ce
qui justifie tout, et deux morceaux qui se recollent, deux. Même
pas au centre, mais comme une sorte de viscosité cachée, se trouve
un mystérieux et inquiétant personnage, l'ancien professeur
Monsieur Ouine dont le corps est mou, l'esprit perdu et la souffrance
terrible.
Nous
ne saurions mieux dire. Merci
à l'anonyme rédacteur de ce texte.
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