Shan-Sa impératrice, et la suite

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Notez que nulle part nous n'avons décelé d'anachronisme, que ces mémoires ont été imaginés dans le ton et dans la pensée du siècle et du rang social. Ce n'est pas là un mince compliment ; « Par-delà le sceau de l'Impératrice Suprême, il y avait le sceptre d'une grande prêtresse qui incarnait la Justice Divine.
« L'an quatrième de l'Ère des Bras Baissés et des Mains Jointes, je chargeai un religieux, le maître des moines, Scribe de Loyauté, d'abattre le grand palais des réceptions, situé à l'entrée de la Cité Interdite, et d'élever sur ses ruines le temple de la Clarté qui abriterait le sanctuaire sacré. Projet avorté au temps de mon époux, il serait mon chef-d'œuvre. Son édification rendrait les querelles humaines dérisoires. Appelé par la force divine, tout un peuple s'embraserait pour atteindre le ciel. » Réflexion un : à présent que mon époux est mort, je vais pouvoir repeindre la chambre à coucher. Réflexion deux : il est faux en effet de croire que les cathédrales ou tout autre édifice religieux ait été construit à coups de pieds dans le cul, tandis qu'ils le furent dans l'enthousiasme, autant que l'empire Aréva.
Réflexion trois : toujours cette unité de ton et cette vraisemblance historico-impériale, sans fausse note, qui va de pair avec l'inexistence du style. Quant à Scribe de Loyauté, nom propre, c'est le fameux amant vigoureux qui sait redonner de l'éclat au vagin de Sa Majesté. « Les âmes ivres ignorent la souffrance. La misère, mon ennemie, serait bientôt poussière et cendres.

« Les dieux ne tardèrent pas à exprimer leur contentement à travers la manifestation de phénomènes extraordinaires. Depuis que je gouvernais l'Empire en tant qu'Impératrice Suprême, l'officier des Rites du Palais avait enregistré déjà une trentaine de parutions fastes, d'évènements atmosphériques et de configurations astrales signalant l'approbation céleste. » C'est exactement ce que nous recherchons tous, dans un vocabulaire différent : une interaction entre nos vies et les phénomènes extérieurs. Car nous sommes à nous-mêmes notre propre Majesté Divine, et ceux qui le nient, en vérité, sont des faux-culs. « Les bons augures atteignirent leur apogée lorsque, un matin, un pêcheur retira du fond du fleuve Luo une pierre dont le craquellement composait une inscription. À l'audience du matin, les ministres et les devins déchiffrèrent l'oracle et traduisirent les caractères suivants : « MÈRE DIVINE VENUE AU MONDE, PAR ELLE, LE RÈGNE DES EMPEREURS SERA PROSPÈRE ET ÉTERNEL.. » Depuis que le monde avait jailli du Chaos, pour la première fois les dieux désignaient une femme comme souveraine des humains ! La nouvelle se répandit dans COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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l'Empire et les lettres de félicitations tombèrent comme flocons de neige : « Votre Majesté a poursuivi l'œuvre inachevée du souverain précédent. Son effort et son humilité ont ému les dieux. C'est pourquoi, depuis le commencement de la civilisation, l'écriture divine est pour la troisième fois envoyée au monde... » « ...Représentante de l'élément féminin, Votre Majesté est investie de la force masculine. » Vous me direz : c'est absurde. N'oublions pas que l'écriture chinoise, si j'ai bien compris, aurait été inspirée, dans les temps légendaires, par les marques gravées sur les écailles de tortues, interprétées comme autant de messages divins, qui furent ensuite interprétés, puis imités par les hommes.
Et se non è vero, è ben trovato. D'autre part, nous avons nous aussi nos superstitions, si nous pensons vraiment que nos statistiques, nos sondages et autres algorithmes représentent réellement un tel progrès dans nos appréciations du monde en marche et dans l'adéquation pratique à mettre en œuvre. Quanta à la pharaonne Hatchepsout, elle porta une barbe postiche sur les représentations sculpturales officielles. Charlemagne, sitôt l'impératrice morte, se hâtait d'en épouser une autre, car un homme sans femme n'est pas un homme. Un rabbin sans femme, au temps du Christ, n'aurait pas été crédible, y compris le Christ lui-même.
« L'union des deux oppositions est la source de l'harmonie qui réjouit nos dix mille royaumes. C'est pourquoi le Ciel l'a désignée la Maîtresse des humains... »
« Mon passé, avec ses chutes et ses résurrections, ses chances et ses difficultés, m'avait déjà convaincue que je portais sur mon front le signe d'un destin singulier. J'avais connu la souffrance et frôlé la mort. À chaque fois, repoussée à l'extrême limite du désespoir, abandonnée des dieux et des hommes, je réussissais à trouver en moi, dans mon corps, la force de vaincre. C'était là l'empreinte, la voix, la musique de la Providence. ». L'autrice elle-même est née en Chine après la révolution culturelle. Elle a fait le pont entre nos deux civilisations. « L'Oracle venait de dévoiler la vérité cachée des épreuves. Les dieux me désignaient comme leur représentante sur terre après l'avoir forgée dans la combustion des flammes et dans le saisissement de l'eau ».
Ainsi soit-il pour tous, qu'un bon orgueil vous maintienne, et qu'une fausse prétention ne vous ruine pas, car ce sont là deux forces opposées, l'une maléfique, et l'autre victorieuse.  

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Avant de commenter, brièvement, les premières lettres de Paul Valéry (le grand Valéry, pas le président), il a semblé bon de replacer les textes en question, datant de 1891, alors que leur auteur n'avait pas 19 ans, dans le contexte où je les ai trouvés : dans un volume de 1975, destiné à rendre compte de l'actualité d'époque au sujet de notre poète-poète. Il en paraît peut-être encore un par an, cela s'appelle « Cahiers Paul Valéry », c'est alimenté par des articles de fond d'universitaires ou d'écrivains. Or, il se trouve que Paul, prononcez Peaul tas d'analphabète et non pas Pol comme Popol-Vuh, rédigea tout au long de sa vie des Cahiers, sur lesquels je pensais être tombé. Erreur sur le titre, erreur sur le contenu, et désenchantement immédiat : au lieu d'avoir contact avec une pensée toute pure, sortie droite du cerveau de Zeus-Valéry, nous aurions donc droit à cette même pensée, mais analysée, recouverte d'une abondante couche de vermine critique, exactement ce que nous vous infligeons en ce moment même, car « Frédéric n'aimait pas la flûte, mais sa flûte ».
  1. Ce sont donc des entortillis de remerciements, d'adjectifs laudatifs et flagornatifs, d'excuses sur le retard de ce premier numéro dû aux habituelles difficultés administrativo-financières, le tout au service d'une honnêteté documentaire et commentatorielle absolue. Figurent en fin de volume un catalogue bibliographique des articles consacrés à notre auteur, et surtout, l'ineffable liste des premiers souscripteurs, modestement fiers de contribuer au rayonnement des lettres françaises. Et quand l'élitiste est mort, on fait suivre son nom d'une croix. En 1891, Verlaine était encore vivant, Hugo n'était mort que depuis six ans, et ceux qui régnaient sur la poésie avaient pour nom José-Maria de Heredia, Maurice de Guérin (Le Centaure), Pierre Louÿs, jeune fondateur de la revue La Conque où publiaient Mallarmé, Leconte de Lisle et Moréas.
    1. Trois ans plus tard, Pierre Louÿs produisit au grand jour les Chansons de Bilitis, et en 1898 paraissait La femme et le pantin. Paul Valéry lui adressa un grand nombre de lettres pour lui demander conseil, lui soumettre des premiers vers à ne montrer à personne, et se plaint en souriant que le grand José-Maria de Heredia (Tel un vol de gerfauts hors du charnier natal) n'ait même pas répondu à l'envoi d'un sonnet : aux Conquérants du grand maître cubain, Paul Valéry envoyait Le retour du Conquistador, exaltant habilement le poète qui ramenait l'étincelle divine des autres bords de l'Atlantique. Mais José-Maria avait d'autres Guantanamos à fouetter, et ne répondit pas. Il trônait alors au sommet de sa gloire, bien qu'il ne fût pas encore naturalisé français. Les épanchements de Paul
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Valéry auprès de Louis dit Louÿs montrent un souci louable de la belle phrase et de l'élocution distinguée, de même que les réponses du jeune directeur de revue (où commençait de publier André Gide). Nous pourrions parler de préciosité, mais toute la poésie du temps en était imprégnée, ainsi que nombre de prosateurs sauf Zola : Huysmans réussit même à faire du précieux réaliste, voire du précieux misérabiliste. C'était une époque où régnait le Parnasse, école élitiste, et qui n'avait pas honte de l'afficher, face aux expansions triviales de la civilisation industrielle. D'Annunzio, Italien flamboyant, n'allait-il pas jusqu'à recommander aux poètes, s'ils voyaient une humble fleur des champs, de la
transformer en lys turban, afin d'avoir quelque chose de « beau » à décrire ?
C'était une autre époque, une autre ère, aussi recouverte de noble poussière qu'un vieux jéroboam, où nous ne reconnaissons plus rien, que de vagues souvenirs de sexa et septuagénaires. On s'écrivait, on ne se twittait pas, etc. Il serait difficile à travers ces premières inquiétudes littéraires de pressentir celles du futur Valéry sur l'œuvre parfaite (mais il cultive soigneusement l'exactitude musicale des vers – eh oui, monsieur le Sous-Préfet – faisait des vers), ou sa respectable tentative (échouée, mais glorieuse) d'accéder à l'universel par l'étude approfondie, chirurgicale, maniaque, du moi : dans l'eau de son Narcisse, dans le cerveau, le cœur et les yeux immenses du contemplateur, se reflètent les infinités du firmament.
De nos jours, chacun se gargarise des « autres », et blâme vigoureusement ceux qui ne se préoccupent pas de leur prochain, ce qui est aussi déplacé, voire ridicule, que de reprocher à qui que ce soit de ne pas se soucier de ses jambes : nous sommes sans cesse envahis, fécondés, par les autres, même et surtout si nous sommes égoïstes ou cabotins, car cela, nous ne pouvons l'être que par rapport aux autres. À côté de cela, des ignares qui se croient savants prononcent encore innkipit au lieu d'incipit, comme ils diraient le «train » pour le train, les « rails » pour les rails et le « tunnel » pour le tunnel, sans oublier le pack-boat ou le « bull-dog ». Passons. Le ridicule ne tue pas.
Toutes les analyses de la pensée de Valéry figurent en excellent place parmi les articles des Cahiers Paul Valéry, ad usum amatorum, car l'auteur des belles devises gravées sur le Trocadéro se paye un petit purgatoire à peu près définitif, mis à part le Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles mis à toutes les sauces par ceux qui ne savent que ça. Aggravation du cas de cet élitiste, son désir de gloire, et qui plus est, durable, alors que Loana goûta la potion amère de la gloire du râble, combien éphémère. Mais cessons de
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dissimuler la minceur de notre savoir sous les pyramides de nos vannes à deux balles (Valéry ne parle souvent qu'à mon propre intel-lect n'est-ce pas, et très peu à mon ââââme) et faisons profiter nos huit auditeurs et demi de ces lettres de jeune homme, accessibles désormais dans Correspondance à trois voix, chez Gallimard en 2004, le troisième étant Gide de Cuverville-en-Caux : cette lettre de février 1891 est donc adressée à Pierre Louÿs.
« À quoi pensez-vous à cette heure, cher ami ? Voyez-vous dans la poudre d'or des Champs-Élysées (puisque votre fenêtre y regarde) ce beau sonnet que l'on rêve toujours et qui serait le plus beau, le plus sonore, le plus pensif, le plus immarcescible des sonnets ? Ou bien pensez-vous celle-là qui n'existe pas et qui a des yeux si pâles ? Moi, dans cette après-midi dominicale de poète mineur, minime ! je songe à des musiques lumineuses éparses au-dessus de tout par des robes séraphiques de couleurs invues. » En marge, 23-2-16, lettre lue 125 ans plus tard presque jour pour jour.
Permettez-moi de vérifier le sens du mot « immarcescible » : incorruptible, qui ne peut se faner. Terme botanique. « Penser celle-là qui n'existe pas » diffère en effet de « penser à » une femme existante, et les couleurs « invues » nous entraînent au cœur des imaginaires post-symbolistes. Mais rassurez-vous : en ce temps-là se concevaient les ancêtres de nos amateurs de smartphones et de sms ; on ne parlait jamais d'eux, sauf sous l'appellation d'«illettrés ». Poursuivons notre correspondance de lettrés :
« Le plus haut chef-d'œuvre d'art est à cent coudées au-dessous du rêve le moindre de n'importe quel petit souffleur d'images et c'est à désespérer.
« N'avez-vous jamais songé à des claustrations au bord de la mer en quelque moûtier ? Les roses des jardins sont agréables aux mains qui bénissent et l'on chercherait dans la morne habitude des gestes augustes et dans la rêverie lente des heures immenses, un apaisement ?
« Ô, frère tranquille, être frère en un moûtier dédié à la Vierge, humilier les rêves de jadis en distillant le long des journées de longues prières et de ces litanies exquises, et que votre nom d'auteur reste voilé sous le capuce comme au temps de ces poètes de chapelle dont l'œuvre éternelle est toujours jeune, l'homme étant pulvérisé sous les pierres anonymes ! Songez doucement à ce cloître, un cloître comme St Michel où nous ne serions que des amis réunis pour creuser leur fosse ensemble, où nous ferions tant de poèmes et de musiques et de tout sans noircir des feuillets, mais le soir sur les terrasses quand les cris se taisent des oiseaux qui virent autour de la lune à son lever. » COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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Beaucoup d'adjectifs certes et de mots recherchés, aux antipodes apparemment de nos goûts actuels, bien que la préciosité soit désormais remplacée par la pédanterie dont elle est toute proche. Cette lettre veut se faire bien voir, c'est une parade pour l'admiration, un poème en prose déjà. Assurément nos héros devaient bien de temps en temps lâcher un putain de bordel de merde en se détruisant la tronche dans le noir sur un battant de porte ; mais la question reste posée. Notons la finesse du « petit souffleur d'images » aux bulles de savon, apprécions ce désir de retraite emprunte de religiosité plutôt que de religion, cette aspiration déjà désespérée de Valéry vers la perfection, et ces rappels de Baudelaire ou de Chateaubriand, qui n'eût pas désavoué ces « oiseaux qui virent autour de la lune à son lever ».
Valéry termine imprudemment sa lettre par « Amen. P.V. P.-S. » - mais tous savent bien qu'il ne s'agit que d'une pose littéraire. Aujourd'hui tout le monde se veut sincère. Je t'en foutrais, de la sincérité, quand chacun finit « pulvérisé sous les pierres anonymes » - seul vrai sujet de l'art sous toutes ses formes. « Pourrais-je obtenir plus d'un exemplaire de La Conque ?
- Après réflexion, je retire prudemment mon observation sur le mot ailé de votre Pégase. Vous avez bellement raison.
[Enveloppe datée du 23 février 1891-
gare de Montpellier Hérault (cachet
de la poste), adressée à Monsieur Pierre Louÿs, 49 rue Vineuse Passy Paris.]

16 avril 1891

Mon cher esthète,
Je reçois ces fameux Débats dont la lecture m'émerveille encor qu'elle me navre. Je me demande par quel stryge tenté, le monsieur S. (je voudrais bien savoir quel universitaire se cache là-dessous) a été me chercher parmi vous tous et me saluer, ironique et rusé, de dangereuses et douces phrases, où se révèle toute une incompréhension savante, riche en textes. Car me rattacher à Ovide et Verlaine, moi qui n'ai pas lu Ovide, et qui ne préfère pas Verlaine, qui ignore tout autant les Alexandrins imputés même de nom, m'a paru assez singulier.
« Beaucoup ne s'en plaindraient pas, cependant. Mais vous me savez un peu sensitif. Je dois COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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pourtant ne pas celer mon émotion à cette lecture, et comme d'habitude mon étonnement, et mon doute sur sa réalité objective. » Oui, Valéry est de Montpellier, lui y en a provincial. Et son interlocuteur habite ce qui forme aujourd'hui le XVIe arrondissement, tout de même. « Si je m'arrête ici, au moins aurai-je connu un petit peu de la fièvre littéraire – même à travers tant de lieues, tant de songes et tant de province… Merci de votre envoi. » Mais non, petit Paul, ta carrière littéraire n'est pas finie, loin de là, et tu dépasseras ce Pierre Louÿs, qui le reconnaîtra plus tard. Réjouissons-nous d'être tombé sur des textes de Valéry lui-même et non sur de savantes exégèses : ce sont donc les Cahiers Paul Valéry, tome I, Poétique et poésie. Bientôt le tome II mon n'veu.
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Disons-le tout net : Gryphus fut à Lyon l'imprimeur qui vulgarisa les publications aldines, en nouveaux caractères inventés par Alde Manuzi. Son emblème était un griffon. Il est mentionné dans un livre que je tenais entre les mains en 1967, 2014 nouveau style. Nous allions quitter la ville de Tours, où je fréquentais la bibliothèque étudiante aux bords de Loire. Et la lecture se poursuivait, sachant qu'elle serait irrémédiablement interrompue. Le livre intitulé Dionysos, un autre encore sur les peintres maniéristes, subirent le même sort. Et par la magie des moteurs de recherche, La religion de Rabelais nous est restitué tel quel. Ce fort volume est de Lucien Febvre, mort à St-Amour dans le Jura.
Cinquante ans nous séparent de son ouvrage, et ce qui n'était qu'une obstination fantaisiste s'inscrit désormais dans notre destin… La thèse de Lucien Febvre, décédé à 78 ans (plus que six), était de bien restituer l'atmosphère mentale de l'époque, le XVIe siècle en l'occurrence, en évitant comme la peste « l'anachronisme », péché mignon de ceux qui nient la signification même du mot histoire : c'est ainsi qu'on reprochera au roi de France son antiféminisme, et à Vidocq son absence totale de préoccupations écologiques. De quels crétins ne serons-nous pas les cibles ? L'historien parcourt et relit donc les cacographes de la Renaissance, qui furent légion, en langue surtout latine. Ils s'insultaient, se réconciliaient, s'envoyaient des quintaux de fleurs suivis de tombereaux d'insultes, surtout quand ils s'accusaient de plagiat.
Mais ils n'avaient rien à dire. Ils pompaient les Anciens, composaient plus ou moins des centons, et la mort fictive ou réelle d'une maîtresse leur arrachait, parmi leurs plaintes, le regret versifié de « perdre un sujet ». Il est à noter que mutatis mutandis, et non pas mutate mutati, les mêmes usages s'étaient déjà observés à l'époque de Sidoine, c'est-à-dire au Ve siècle, et les criailleries des écrivaillons infectent tous les siècles. La particularité du XVIe siècle renaissant fut d'insister sur le caractère « sodomite » ou pis encore « athée » des écrits de celui qu'on voulait abattre. Pour François Rabelais, ce ne pouvait guère être l'un, ce fut l'autre : il fut traité d'athée par les jaloux, et cette accusation courut les siècles jusqu'à nous.
C'est ainsi qu'après bien d'autres maître Alcofribas acquit la réputation imméritée de vouloir pourfendre le Christ et ses sectateurs, en un temps où le gras Dolet répandait sa graisse sur le bûcher des hérétiques. Donc, en bon précurseur de nos bienheureux temps laïques, Rabelais se voyait obligé de se dissimuler, de prêcher le faux pour mieux cacher le vrai (la substantifique moëlle prise ici à contresens), et de rejoindre dans l'imaginaire des critiques la cohorte de tous ces penseurs
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qui n'avaient rien de plus pressé que d'annoncer nos temps radieux. Les mêmes erreurs furent propagées sur Marivaux, précurseur de la Révolution Française quand ce n'est pas du marxisme et allez donc, ou sur de braves peintres maniéristes enrôlés dans les abstraits du XXe siècle, sous prétexte qu'un recadrage ingénieux, parmi tels drapés ou telle architecture, fait apparaître des structures « qui ne représentent rien en soi », donc, évidemment, « abstraites »… C'est donc à Lyon que François Rabelais publia, et peut-être écrivit, son Pantagruel et son Rabelais. Il dut fuir cette ville pour échapper aux persécutions.
Mais ces persécutions frappaient avant tout les réformés, non pas les athées. Car les réformés, que je sache, sont avant tout des croyants, animés, justement, d'un grand désir de réformes, qui déchaîne contre eux les fureurs chrétiennes de l’Église catholique. Pour l'instant, Rabelais exerce la médecine à Lyon, où il se fait une excellente réputation. Ses ouvrages burlesques pouvaient la compromettre, d'où en partie son « Adresse aux lecteurs », pour les mettre en garde contre une interprétation superficielle : sous des apparences comiques, il recycle à sa façon les positions d'Erasme, également publié chez Gryphus. Toute imprimerie se double de correcteurs, et fait office de nos maisons d'édition, et l'imprimeur protège, parfois héberge, ceux qui s'honorent et se risquent dans les pensées nouvelles.
Febvre les énumère : d’Alciat et de Sadolet à Rabelais et à Dolet, en passant par les Sussannée, les Baduel, les Hotman, Baudoin, Guilland, Ducher et autres ». Presque tous inconnus à nos bataillons…

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SERGUINE « ISTANBUL LOTI » 47


...Istanbul Loti, sans séparation, comme si la ville ne devait être appréhendée qu'à travers le fantôme de celui qui le hanta en 1877. Ce fut à Constantinople qu'il fit la rencontre d'Aziya dè, qui fut peut-être un homme, car le monde est méchant, et les vilains ragots se colportent. Il revint sur ses traces en 1892, l'année de son érection à l'Académie Française, pour découvrir qu'elle était morte de chagrin et d'ostracisme, et rapporta semble-t-il sa pierre tombale, visible aujourd'hui dans sa maison de Rochefort. Jacques Serguine revient sur les lieux où Loti, lieutenant de vaisseau depuis 81, s'était pourvu en cassation auprès de ses souvenirs. Et ce Serguine le voit partout à tout détour de rue, dans ces minuscules cafés de trois tables et six chaises, au sein des quartiers sinueux, partout où il sent la lumière et la brume, envahi puis pénétré d'une constante mélancolie.
L'auteur mange turc, parle turc, flâne turc, monte et redescend les pentes, multiplie les métaphores, évoque, décrit, se baigne et vous vautre dans une atmosphère de loukoum doux amer, de façon pour finir obsédante ou lassante, mais d'où l'on ne peut s'extirper qu'à l'instar des sables mouvants. Il revoit le mort illustre et vaporeux, le sent, le respire, débusque son fantôme aux croisement de rues qu'il vient juste de passer, parle avec lui dans les bouffées de narguilé, avant, bien avant les convulsions de l'empire ottoman que Loti aura vu se produire, avant, bien avant les soubresauts actuels.
L'histoire de Turquie fut souvent, dit l'auteur, sombre et cruelle, mais chaque Stambouliote semble à Serguine, auteur du scénario de La fiancée du pirate, pétri d'amabilité, d'affabilité, serviable et souriant. Pour prendre congé, ne se dit-on pas güle güle, ce qui veut dire « en souriant » ? Et nous nous promenons sans trêve à travers un rêve de rêve d'une rive à l'autre, d'un palais à l'autre, d'une silhouette à d'autres visions fugitives. Et nous pourrions ainsi poursuivre pendant des pages, accumulant et mêlant diversement les bouffées de nostalgie, les considérations sur le temps qui passe, les laideurs modernes dont il faut détourner le regard, les songeries nuageuses et les formules justes, combien appropriées, sur la fugacité de l'existence humaine et l'ingratitude des saisons qui passent, mais nous avons tout oublié, après ces grandes manœuvres de l'âme soupirante.
C'est pourquoi, n'ayant pas même complété notre première page, nous nous inspirerons de la quatrième de couve pour conclure sur une rencontre amoureuse féminine, dont Serguine affirme avoir observé l'oscillation sentimentale entre lui-même et le grand auteur auquel il rend hommage COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
SERGUINE « ISTANBUL LOTI » 48



dans Istanbul Loti. Avant de passer au bref extrait, nous ne serions pas nous-même si nous n'introduisions ici quelques lignes aigres-douces sur l'orthographe turque bien sûr mais surtout inévitablement anglo-saxonne d'Istanbul, dont les Français, honteux et massacreurs de leur langue, ont affublé l'ancienne Constantinople : chez nous, le son « ou » s'écrit encore, que je sache, « ou », et le « n » devient « m » devant « b », ce qui donne « I-s-t-a-M-b-O-u-l », « à la ville » en grec populaire. Mais notre époque en est au Bélarus à la place de Biélorussie n'est-ce pas, « parce qu'ils prononcent comme ça ».
Pour ceux qui s'obstinent à massacrer le français et qui ne sont pas forcément très forts en géographie, précisons que pour atteindre le Bélarus il faut d'abord traverser le Deutschland, puis la Polska, et que Istanebül ne se situe pas en Turquie, mais en Tourkiya. Kahretsin ! (« merde » ! en turc ; enrichiassez votre vocabulaire) – au texte, au texte : l'auteur vient de visiter je cite « la mosquée où dort Eyoub Ansari, le compagnon du Prophète ». « On sort, contournant la toute petite enceinte intérieure où se tient la géante foi d'Eyoub, par l'autre extrémité, selon une ligne diagonale, de l'enceinte plus spacieuse qui constitue la mosquée. On suit alors une sorte de passerelle couverte, un couloir tapissé, tendu, plafonné de lourdes étoffes. Je rêve. Loti raconte que dans les temps où il vivait en effet à Istamboul, lorsqu'il y avait sa petite maison à terrasse, tout près d'une fontaine et d'un bouquet d'amandiers, ici-même, à Eyoub, on eût mis en pièces l'étranger, le non-musulman, qui se fût seulement approché du territoire de la mosquée sainte. Et vers le premier quart du XXe siècle encore, un des trop nombreux imbéciles qui se sont ingérés à parler de Loti, à venir le relancer jusqu'ici afin de pouvoir dire qu'ils avaient vu de près son visage d'homme célèbre, raconte, lui, dan son bavardage, que Loti s'obstinait à croire, à se faire croire, à des périls, qu'il prétendait contraindre ses invités inévitables à se déguiser, à s'armer au besoin, avant de se résigner à les conduire ne fût-ce qu'aux abords de la mosquée, ne fût-ce, peut-être, que dans le village d'Eyoub ».
Perspective de guide touristique donc, sans le style gnangnan achetez-ci achetez-ça, perspective de voyage dans le passé, de nostalgie, avec une empathie Pierre Lotique (Loti lui vient d'un surnom qu'une femme lui avait donné à l'île de Pâques). « Il jouait, dit l'imbécile. Et moi, je le demande, pourquoi n'aurait-il pas joué, le grand Loti, alors que pour lui ni la mort, ni le vieillissement, ni la vie sans doute, n'étaient un jeu ! Je comprends que ce que je respecte, ce que je dois respecter en lui, en Loti, c'est le jeu. Ainsi au moins, par le jeu, il défiait ses épouvantes.
« D'autres imbéciles, des Léon Daudet, des Barrès, combien d'autre des chiens, des lémures, COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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ont lâché sur lui, sa vie durant, ou la leur plutôt, cette existence piètre, la bave de leurs ricanements. » Pas sérieux, Pierre Loti ; amateur, qui se déguise, qui joue au Turc, au Japonais (Mademoiselle Chrysanthème), au Basque (Ramuntcho), un auteur pour jeunes filles (Pêcheurs d'Islande) mais pas toujours (Mon frère Yves, un peu plus que fraternel)… Alors on bave, on le traite de puéril cabotin, et qu'est-ce que nous sommes d'autres, nous tous les guignols de nos vies ? sans avoir le talent de Loti… Notons ici que « des lémures », ce sont des fantômes gluants. « André Breton, mieux adressé, souvent le coudoie d'une injure plus sotte que vile au détour d'un tract dont l'urgence s'est perdue. Un vieil enfant, bien sûr, d'esprit faible, qui pleure et tremble, n'abandonne jamais que d'une main, dans sa grande peur du noir, les jupons maternels. Les lémures disent cela, le disent encore. Et moi, je dis que cet homme vrai, qu'en vérité aussi je respecte comme je respecterais un frère alors même qu'il me déconcerte et m'inspire pitié, je dis qu'il a eu, par-dessus des millions de pauvres hommes, un courage au moins, selon moi, incomparable. Celui de vivre ses rêves. Les rêves le tuaient, ou il les tuait, les exténuait eux. » Bien défendu, Serguine, né Gouzerh. J'irai au bout de mes rêves. Et je les vivrai, ne serait-ce que comme rêves.
Reprenons : « Tant pis. C'est la chair de l'âme qui est chère. Mais le courage étonnant qui le poussait, qui s'usait, que lui Loti nourrissait et recréait toujours, n'en existait pas moins, n'en existe pas moins toujours, telle une leçon admirable. Que les assis, les insincères, rient et bavent, c'est là leur mission. Lui Loti, l'inquiet, à l'âme vulnérable et à l'orgueilleux courage, partait loin et seul, courait les mers, traversait à cheval parmi la poussière et la sueur irritantes, oubliant argent et gloire, des terres ingrates, où la moindre fleur, un brin d'herbe, dont il reconnaissait ou retrouvait aussitôt le nom, l'enchantaient. » Il a même séjourné en Chine, il est revenu plusieurs fois à Constantinople-Istamboul-Byzance.
Mais il n'y a pas d'un côté les assis et les pauvres types, et de l'autre leurs victimes. Il semblerait que nous ayons toujours nos périodes de connerie et nos périodes de curiosité inquiète. Et nous ne serions tous qu'un seul et immense être humain. Seulement, il faut bien établir et renforcer nos différences, voire nos hostilités, afin d'avoir quelque chose à sentir, à penser, à faire. Quittons cette philosophie pour terminales, et comme nous avons parlé d'Istamboul au début, faisons parler le Serguine sur Loti pour finir : « Il aimait d'amour, aimait splendidement de désir charnel, une jeune femme à la peau sombre, parce qu'il était en Afrique, ou une enfant ambrée, là-bas, dans les Îles mêmes du désir, parée de fleurs plus éclatantes. Ailleurs, car pour l'inquiétude et le COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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courage il y a toujours des ailleurs, c'était en Extrême-Orient, une jeune femme encore, au nom de fleur. Ici, très jeune homme lui-même, et bel et bien au péril de sa vie, cette autre enfant, la petite esclave Hakidjé, dont il nous a parlé, et pour moi cette confidence honore, en l'appelant Aziyadé. On dit que dans la langue turque, ce nom de tendresse, de jeunesse, ce nom de chair et de sang, comme tous les noms, pourrait provenir de yad, qui signifie souvenir, et de aziz, très cher ». À vérifier dans mon dictionnaire.
Si j'ai oublié ce livre Istanbul Loti, n'y voyez que du trop plein, et si vous le lisez, vous bénéficierez d'une vue de la Turquie en parfaite contradiction avec celle que nous impose un ramassis de nationalistes
bien étrangers à notre goût, et plus encore à Pierre Loti, lieutenant de vaisseau...
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« Tâche de beaujolais nouveau difficile et ingrate : commenter un extrait de grec, avec texte d'origine, alors que je n'aime pas la littérature grecque, à cinq prestigieuses exceptions près : Homère (quand même...), Eschyle, Pindare, Aristophane, Thucydide. Peut-être Hésiode. Mais le reste, c'est froid, sec, artificiel, mathématicien, constipé (Platon, Aristote... et tous ces logiciens qui ont toujours raison). Théocrite, c'est le rabâchage des légendes antiques, ici Héraclès, dont je me suis toujours demandé pourquoi il avait acquis une telle renommée, car à peine supérieur à Superman. Je le trouve vulgaire, pas crédible, impossible à utiliser pour une quelconque identification ».
Voici bien nos propos d'autrefois, lorsque la 9e année du millénaire sévissait encore. On y redécouvre hélas le nombrilisme, l'infatuation, la condescendance avec laquelle un sexagénaire puéril se laisse aller aux invectives les plus incultes. À présent certes nous admirerions Héraklès en symbole sensible de la force, du courage et de l'intelligence des humains. Écoutons se déchaîner l'insolence ignare et révolutionnaire :
« Des gros bras, dès la naissance, dès son étranglement de serpents, déjà niais, poupin, ridicule et m'as-tu vu. Déjà s'attendrir sur des bébés, je trouve ça insupportable, mais sur ce poupon gras du bide et gonfleur de biceps, c'est carrément dégoûtant et vomitif. Voilà qui va vous changer des extases recuites universitaires (la familiarité du père qui se lève sans prendre le temps d'enfiler ses sandales, oui, ces gens-là avaient des pieds, on ne va pas en faire un plat tout de même...) Je règle mon compte aux études classiques, à Papa, dont je rêve encore cette nuit : il voulait m'enfoncer une planche avec un clou en pleine tête. Eh bien c'est que je ne suis pas « guéri », Docteur Freud.
Ouvrons donc le « Collection Budé, côté grec, et transcrivons à l'aide de mon petit alphabet grec, plus qu'imparfait, Héraklès enfant, Idylle (« forme brève » étymologiquement parlant) – n° xxiv (Théocrite est considéré comme le fondateur de ce genre dit « pastoral », « amours champêtres ») :vers 83, θνητά δέ πάντα πυρά Τραχίνιος εξεϊ - je sais depuis peu qu'Héraklès est monté sur le bûcher à Trachinios. « le bûcher de Trachis aura toute sa dépouille mortelle » (« panta » s'applique à une totalisation du corps, et non à une qualification du bûcher). Suite : γαμβρός δ' αθανάτων κεκλήσεται, οί τάδ' επωρσαν / κνώδαλα : « et il deviendra gendre des immortels » (Héraklès épousa Hébé, qui versait à boire) « et il sera appelé  gendre des immortels, qui envoyèrent (« pour le détruire enfant », « bréphos diadèlèsasthai ») ces
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monstres habitants des cavernes » - knôdalon, tout animal sauvage, muni de crocs (da-kn-eïn, mordre). « Phôleuonta » : qui habite un phôléos », un trou… Cela rejoint ma foi la chiottulence des textes de Romilly, lorsqu'elle essaye de transmettre à des profanes ses ravissements hellénistiques, en y échouant : si tu lis du Romilly, c'est que tu sais déjà le grec. Autrement, des transcriptions illisibles et, il faut le dire, très laides, en caractères latins, ne peuvent que te rebuter si tu ignores la langue d'Homère, ou t'indisposer si tu la connais, car on s'adresse à toi, l'initié, comme à un plouc. Heinrich Böll ou Günther Grass disaient « Je suis contre les traductions : celui qui veut s'intéresser à mon œuvre, qu'il apprenne l'allemand, et qu'il me lise. »
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Plus que jamais j'accomplis un devoir sacré, plus que jamais je dois baiser la couverture de mon livre avant de le remettre aux étagères : en ces temps où la culture classique est jetée au rebut comme les plâtres des Beaux-Arts, Théocrite mérite de se voir dédiées ces quelques pages maladroites, car si je brille auprès des aveugles, je me recroqueville avec les spécialistes, ces gens supérieurs qui vous foudroient des éclairs de leurs yeux. Je viens d'achever les Idylles de Théocrite, différemment numérotées selon leur éditeur. Chez Budé, on a la manie de bouleverser tout cela. Les éditions d'Homère (par Mazon, je crois) souffrirent plus que nulles autres de ces remaniements charcutiers.
Zeus merci, la Pléiade a toujours trouvé des raisons de respecter la tradition : des vers, chez Homère, sont répétés ? Et alors ? N'y a-t-il pas des refrains dans les chansons, fussent-elles "de gestes" ? Les Idylles s'achèvent par La syrinx, dont les vers se rétrécissent progressivement, pour dessiner, justement, une flûte de Pan. Le traducteur-commentateur, rivalisant de cuistrerie avec lui-même, se demande comment il se fait que les vers en viennent à former dix tuyaux, alors qu'un tel instrument n'existait pas "en vrai". Il n'évoque ni les idéogrammes, ni les calligrammes d'Apollinaire. Il se plaint de la "puérilité" des jeux de mots et devinettes proposés parfois par Théocrite : ah le niais !
...Il s'agissait de la plus élaborée forme technique de la virtuosité précieuse ! "Le poète", dit-il doctement, "ne prend pas au sérieux ses incessants jeux de langage" : autrement, n'est-ce pas, il eût été "de mauvais goût" - mais c'est vous qui êtes inculte, Monsieur Legrand, Membre Viril de KOHN-LILIOM HARDT VANDEKEEN « LECTURES » 
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l'Institut ! Chaque mot cache une énigme, comme un calendrier de l'Avent ! ...Notre lecture en pointillés de Théocrite ne nous permet plus, au moment d'achever par la Table des matières, de nous rappeler autre chose que des titres : il est tant de livres antiques dont nous n'avons plus que le sommaire, ou quelques citations éparses dans le corpus entier ! Il existe donc 30 titres, dont seules les idylles I, II, VII à XI, XV et XVI furent cochées en marge, témoignage de lointaines agrégations ratées. De quoi s'agissait-il ? d'amours, hétéro- ou homosexuelles, nos Anciens ne regardaient pas à cela, et ne se précipitaient pas chez les psychiatres pour se remettre la bite droite.
Thyrsis ou le chant, p. 17. Si je pouvais encore consulter mes sources électroniques, je confirmerais que ce nom masculin fut réutilisé par Virgile, dans ses Bucoliques. C'est ainsi qu'arrive le crépuscule. P. 94, Les magiciennes : ne pensons pas que l'Idylle "I" occupe 77 pages ! il ne s'agit que du charcutage de notre Instituteur. Supposons que ces magiciennes concoctent des sucs pour faire remonter la quéquette à Monsieur, car les femmes n'aiment que ça malgré leurs airs dégoûtés. Le n° III s'appelle La visite galante : ma foi, il ne m'en souvient plus. Bientôt j'aurai fini ce livre et ma course.
Mon nom suivra peut-être la chronique familiale, puis s'infiltrera dans les sables. A la fin de ce livre, je serai soulagé, puis qu'il s'agit de faire de l'ordre, d'éliminer ces plus de cent ouvrage qui m'auront accaparé. En même temps, j'aurais aimé tout relire, en savourant bien tout, mais je n'ai plus le temps de me reconcentrer : j'ai privilégié la quantité, par goinfrerie. Quelques années encore à me disperser, avant de l'être moi-même sur une "aire du souvenir", pour peu que l'on me brûle. Lisons ces titres encore : Les pâtres, Chevriers et bergers. Rappelons-nous ces chants amœbées ou alternés : Les chanteurs bucoliques, pratiquants ces joutes poétiques : le premier lance une strophe, le second improvise la réponse, sur le même thème, ou tel mot repéré que l'on développe, ou bien prend le contre-pied de ce que le concurrent précédent chantait.
Fallait-il qu'ils s'emmerdassent, à moins qu'ils ne suivissent les traces sensibles et poétiques de leurs ancêtres ! Certainement d'autres peuples africains respectent encore cette tradition de toutes les cultures. Les Thalysies, page 2, feuilletons-les : ce sont des fêtes de l'île de Cos. Un texte qui, si KOHN-LILIOM HARDT VANDEKEEN « LECTURES » 
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j'en crois notre sévère censeur, n'est finalement pas si excellent. Ô redoutable spécialiste, recialiste spédoutable ! Des poètes qui se croisent, avec des fleurs dans les cheveux, autre chose que des costumes-cravates, et qui s'échangent des improvisations pour se mettre en bouche ! Les ouvriers ou les moissonneurs : toute une vie, idyllique précisément, revisitée par des urbanicoles (ou citadins) endurcis !
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À mesure que j'écris, la relecture de mes lignes d'antan me montre des faiblesses et des complaisances dignes des simples œuvres de jeunesse ; ce que toute ma vie j'aurai composé. Avec ce je ne sais quoi de rot juvénile et lait caillé rebutant toutes les indulgences. Mon rêve est devenu Pascal Quignard. Beau vieillard au crâne de bois qui drague encore à septante ans sur les plateaux de télévision. Les poèmes de Théocrite… De quels commentaires affligeants ne les aurai-je pas aggravés, passant par dessus les amours homos et d'une femme à l'homme qu'elle désire, mon Dieu se peut-il que les femmes déjà aient désiré, quand un accouchement mal fait pouvait les tuer, de quel héroïsme toutes nos femmes, toutes les parts féminines de nous-mêmes, ont-elles dû faire preuve, et quelle grandeur.
Nous verrons tout à l'heure les éloges de Philippe-Ernest Legrand, glorieux Berrichon, qui place Les magiciennes au plus haut rang des plaintes amoureuses, du patrimoine mondial des plus hautes œuvres. Je crains que la traduction exacte n'ait nui, dans toute sa poussière, à ce qui ne pouvait être qu'une floraison. Me relire me paralyse. La littérature dite alexandrine se situe un bon siècle après la mort d'Alexandre, et se développa en Égypte, ou dans les îles proches de la côte d'Asie Mineure, où pas un Turc n'avait encore montré le nez. Après avoir vagabondé de Théocrite à moi-même et à d'autres, penchons nos yeux archéologues sur le tome I des Idylles de Théocrite : « Iynx [i-ünks], attire vers ma demeure cet homme, mon amant ».« L'iynx était un oiseau (le torcol), en lequel avait été changée, par la vengeance d'Héra, la nymphe du même nom, fille d'Écho, qui avait au moyen de ses philtres rendu Zeus amoureux d'Io ou d'elle-même. Attaché sur une roue, le torcol servait à des opérations de magie amoureuse. Aussi bien que l'oiseau, le mot iynx peut KOHN-LILIOM HARDT VANDEKEEN « LECTURES » 
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désigner la roue où on l'attachait, et d'autres instruments de sorcellerie susceptibles d'un vif mouvement giratoire. Voir l'article (illustré) de Gow dans le J[ournal] of hellenic Studies, 1934, p. 1-13. » Le temps ne compte pas, pour nos chercheurs d'antiquités. Ainsi donc il existe un oiseau appelé le « torcol », ou cou tordu. Il tord le cou en tous sens et ressemble à un passereau. Il se nourrit surtout de fourmis, grâce à sa langue repliée puis dépliée. C'est peut-être pour cela qu'on lui demande de dénicher les baiseurs camouflés. L'héroïne abandonnée se livre donc à des rites, en compagnie de sa confidente Séléné, comme nous le voyons en deuxième partie.
La femme elle-même se nomme Simaïtha, qui raconte ses malheurs. Mais « c'est en qualité de déesse des incantations, au même titre que Hécate » (chasseresse nocturne »), que la magicienne l'interpelle ici ; le « bel éclat » de Séléné garantira sa présence et fera espérer son secours ; « à voix basse » doit avoir un intérêt rituel. » Cette sorcière consultante et sévèrement plaquée se compare à Périmède, « probablement la même que « la blonde Agamède » d'Homère (Il[iade], XI 740), qui connaissait « tous les φάρμɑκɑ » (poisons, remèdes et philtres) de la terre ». Le nom même de Périmède reparaît chez Properce (II 4 18), où il désigne une sorcière. ΦΑΡΜΑΚΕΥΤΡΙΑΙ (II) Πa μοι τải δậφνằỉ ; Phẻrẽ, Thẹṡṭṵḻi.
C'est le début des Magiciennes, où tout le monde a parfaitement compris « Où sont mes branches de laurier ? » - dans ton cul, au fond à gauche. « Apporte, Thestylis. Où sont les philtres ? Couronne la coupe » - on va boire - « de fine laine teinte en rouge ». Apporte le crapaud qu'on l'encule. « Je veux enchaîner à moi l'amant, cher, qui me fait de la pi- euh de la peine. Voilà douze jours qu'il n'est même pas venu  le malheureux le fils de trouduc, qu'il ne s'est pas occupé de savoir si nous sommes morte ou vivante, qu'il n'a pas frappé à ma porte, d'en bas, le cruel, con d'Adèle. Sans doute Éros a emporté ailleurs son cœur mobile de Playmobil », et je m'arrête parce que je vais dire des conneries – trop tââârd… Il est trop tard bondabour, jai tout perdu ET sans retour trop tèèèèr – Le Idylles de Théocrite, préface de Buffet et Bontems, chez « Les belles lettres ». HARDT VANDEKEEN "LUMIERES, LUMIERES"
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Comment parler exactement de ce qu'on aime, en y mettant toute la finesse, toute l'émotion ? entre la platitude et le dithyrambe, comment bien situer la place ineffaçable qu'a prise dans mon âme l'oeuvre infime et précieuse de Valery Larbaud, Les Poésies de A.O. Barnabooth ? ... de ce grand voyageur de luxe que je ne fus point, et ne serai désormais jamais plus, friqué, immense et bedonnant dans ses costumes wildiens, légers, tropicaux, puis finissant aphasique et privé de mémoire, astreint à répéter cent fois la même phrase pour en tirer le sens ?
Moi qui ne suis jamais sorti de mon trou, qui ai toujours répété que j'allais cette fois fiche le camp pour de bon et incapable de me couper du fil à la patte de Bordeaux-mes-Couilles ce qui est bien la preuve que je n'en ai pas eu n'est-ce pas mes psys en chambre et que "j'ai choisi" de ne pas voyager n'est-ce pas mes connards "j'ai réponse à tout", jamais sorti de mon trou sinon pour des espaces infiniment limités, l'Aquitaine comme ma poche, un bout de Languedoc, cet été les Hautes-Alpes putain l'aventure, sans oublier, tout de même, tout de même, une fois l'Ecosse, plus quatre ans à vienne et quatre ans au Maroc, n'empêche, pour quelqu'un qui voulait "faire la route" ça la fout mal et toute petite, toute petite...
Bref ! Not'Valery descendait dans les hôtels de luxe et les grands paquebots blancs de luxe aux temps bénis - je hais la démocratie, je hais la démocratie - où seuls les riches cultivés sachant ce qu'ils voyaient avaient le droit de voyager sans devoir bousculer de sales et ignares et prétentieux et suants touristes rigolards comme en Grèce à toute heure et par troupeaux - d'ailleurs on va y revenir, j'espère bien qu'on va parquer tous ces bestiaux dans des fac-simile comme à Lascaux
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puisqu'il s'en contentent, et moi avec mon fric et mon instruction je pourrai me payer Venise tout seul et la Pointe du Raz tout seul vive la parano bordel vive la parano...
Valery Larbaud grand chantre de l'Europe aussi et pourfendeur des exotismes, qui n'ont rien d'autre à proposer que des hamacs et de la beauté sans engendrer jamais la profondeur du savoir et de l'homme empilé sur des siècles comme Venise justement, alors que l'Amazone a plus d'îles encore et plus belles mais avec seulement des singes qui font crouï crouïc - tout de même bon, l'Amazone, là je déconne...
"L'Europe, l'Europe" qu'il gueule sans sauter comme un cabri vu son asthme, "là où dans les brouillards sont les bibliothèques" - en fait, en fait, jamais moi le prolo dégrossi tout juste verni de culture jamais je n'eusse trouvé grâce devant une telle aristocratie issue de générations d'argent, moi qui toute ma vie ai désiré enfiler des costumes trop larges pour moi : Don Juan dépourvu de rouerie, écrivain sans moyens du moins de vente, voyageur trop immédiatement ruiné - dès le troisième jour d'hôtel - incapable aussi bien d'endurer le moindre inconfort.
J'ai toujours été semblable à ce des Esseintes, toute aristocratie british mise à part, qui fait sans cesse des valises et renonce ; celui qui se lamente sur les quais de gare en voyant partir tous les trains de la vie. Mais j'éprouvais parfois, comme Larbaud, ces sensations de redites, de confusion, qui fait que tout lieu sur la terre lui en rappelle un autre, pensant à Lisbonne lorsqu'il se trouve à Yokohama, et à Dakar à Knokke-le-Zoute.
C'est ainsi que rien ne ressemble plus aux rues piétonnes de Rodez que celles de St-Jean-de-Luz, celles de Cognac à celles de Montaigu - la France seule, Corse exceptée - traversée trop chère ! exorbitante ! - restant à ma portée. Tout chez ce vrai voyageur et chez ma modeste personne jeansonnienne ("je-je-je") se superpose, et jusqu'en sa richesse extrême on voit Larbaud le Grand se demander ce qu'il faut faire encore pour être plus heureux, car il n'est rien de plus déshérité comme chacun sait que d'errer par le monde, accablé de richesses et cherchant au-delà comme un vulgaire pauvre.
Parler de Baudelaire serait trop ou trop peu, quoiqu'il ne renie pas sa dette, parler d'époques révolues sentirait son convenu (dépaysement à la fois spatial et temporel) - c'est peut-être Corto Maltese, d'Ugo Pratt, qui correspondrait le mieux au personnage de cet armateur imaginaire nommé avec quel accent "A.O. Barnabooth", je suis l'alpha et l'oméga. Cette courtoisie, cet appétit de vivre, et ce détachement, et ces éternelles nostalgies d'Italie, de "Basilicate funèbre".
C'est une explication de texte assez docte qu'il faudrait en définitive, sans crainte de pédantisme, tant les références s'entassent et s'éclairent dans chacun de ces petits poèmes où s'enchaînent les syllabes, les sons, les consonnes, les rythmes, avec une science si consommée du génie français de la langue, mais comment décortiquez-vous donc Franz Schubert, ô musicologues ?
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Et ce ne sont pas les rencontres que cherche Valery Larbaud, tout éloigné d'un vulgaire Sylvain Auger, car les hommes sont partout les mêmes, et les femmes amoureuses partout de leurs propres reflets, pourrais-je dire en paraphrasant Baudelaire encore : celui que le voyageur cherche n'est autre que lui-même, ou d'éphémères, très éphémères intenses amitiés ou amours, encore qu'il n'en parle guère, et non pas son voisin de palier quéchua ou papou qui boit du sirop Teissère à rafraîchir dans son torrent du Vogelkopf (Nouvelle-Guinée).
C'est une solitude extrême qu'entraîne la mouvance, quels que soient les fantômes, servantes d'hôtel effleurées ou vieilles épuisées dans le compartiment d'un train, et la voluptueuse nostalgie de ces espaces trop lointains à la fois sur la carte et sur l'infatigable noria des calendriers : je suis né trop tard et trop pauvre, et trop dépourvu de cette aristocratique sensitivité.
Il faudra me borner aux tables des matières, "Les Poésies de A.O. Barnabooth", chez NRF/Gallimard :
I. LES BORBORYGMES 21
Prologue. 23
Ode. 25
Centomani. 27
Nuit dans le port 29
Le masque. 31
Océan Indien. 32
Nevermore... 33
L'Eterna voluttà. 34
L'ancienne gare de Cahors 38
Voix des servantes 40
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Matin de novembre près d'Abingdon 43
Alma perdida. 44
Yaravi. 45
Mers-el-Kébir. 48
Voeux du poète. 49
Musique après une lecture. 50
Scheveningue, morte-saison. 52
Thalassa. 53
121
Ma muse. 56
Le don de soi-même. 57
Carpe diem... 59
Images. 61
Un jour, à Kharkow... 61
Un matin, à Rotterdam... 62
Entre Cordoue et Séville... 62
Post-scriptum. 63
Madame Tussaud's. 65

Etc...
Apparemment oui, le seul hommage étant de lire et de sentir couler en vous d'innombrables images. Ô ne rien faire, rester seul en voyageant sans fin, sans rencontres pesantes, sans le pesant boulet de la métaphysique, sans autre souci que d'être bien servi et dépenser son fric en arrondissant des fins de phrases, cousant les mots d'or de ses propres soieries...
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Et puis je lis aussi Robert Mallet page 7, et je m'aperçois que j'ai cru, au premier degré, tout ce qu'il m'a été donné de lire. Je ne pensais pas qu'il fût encore justifiable d'invoquer la plus ou moins grande conformité entre l'auteur et l'homme... Pourquoi diable réduire ainsi à cela ce que c'est que la critique, et n'y faut-il pas voir là un effet de cette dictature culturelle des années 60, lorsque régnaient encore en maîtres l'insupportable Marx et Siegmund Freud ? - sans vouloir nier par ailleurs la similitude entre ces deux fils de bourgeois rejetés et soumis au fameux "conseil de famille", Valery et Larbaudelaire.
Tu es bien banal, Robert Malet, mais d'un bien grand secours aussi. Merci tout de même pour l'anecdote : "C'est Barnabooth", dis-tu, "le mystérieux narrateur de ses frasques, le milliardaire enfant gâté ; mais c'est aussi Valery Larbaud, l'héritier d'une famille aisée, le mystificateur passionné de vérité."
Je ne peux résister à vous lire mon poème à moi, sur la neige, écrit en portugais, français, allemand, espagnol, italien, latin, anglais et catalan - c'est une incomparable prouesse - just listen:

Un ano màs und iam eccoti mit uns again
Pauvre et petits on the graves dos nossos amados édredon
E pure pionsly tapàndolos in their sleep
Dal pallio glorios das virgens und infants.
With the mind's eye ti sequo sobre l'europa estasa,
On the vas Northern pianure dormida, nitida nix,
Oder on lone Karpathian slopes donde, zapada,
Nigorum brazilor albo disposa velo bist du.
Doch in loco nullo more te colunt els meus pensaments
Quam in Esquilino Monte, ove della nostra Roma
Corona de platàs ores,
Dum alta iaces on the fields so duss kein Weg seve,
Y el alma, d'ici détachée, su camin finds no cêo.
Bergen-op-Zoom, 29. XII. 1934.
BERNARD COLLIGNON LECTURES
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Ecrit à la main comme un glas. Relégation inexorable au samizdat, Soljenitsyne, Pascal. Ténèbres extérieures. Jamais un auteur ne resurgit. Il paraît ça. Ce privilège des sculpteurs et peintres ne nous est pas concédé à nous. Léon Bloy revient ? « Die Fackel » auch, von Karl Kraus. Journal de Goebbels. Etranges cohérences. L'écrivain, comme l'animal, regarde vers le sol, vers le bas de sa page, où bâtir - pourtant excède tout animal (homo computoris, lui, lève ses yeux cernés de brillances frivoles) - j'achève Beauté mon beau souci de Valéry L. , conte de fées post-victorien (Tess d'Urberville épouserait un jeune riche, oublieuse de son déshonnête fiancé français). Brouillon de Proust.
Relent de Hardy, pincée de Balzac. Je suis heureux du dénouement heureux : argent, bonheur du monde. Et par moments il semblait que la vie matérielle était enfin devenue digne de l'esprit, et pouvait le satisfaire. « Apollon a bien dîné quand il crie « Evohé ! » Je le crie sur mes sommets forestiers - divins parchemins, et vous, sublimes palimpsestes, épouse reprenant à l'huile des visages que l'aquarelle excessivement pâlit, âmes secrètes et lumineuses empesées d'honnêtetés et de provinces – placée devant la toile, éclairage gauche arrière. Le jour baisse, dernières lueurs, lecteurs un jour devant habiter là, lorsque éclatera le Choc des Civilisations, j'écris à la main, en vérité non l'éditeur mais le monde même, l'homme se dérobe, ravalé, profondément incurieux de nous - c'était aussi l'époque des premiers rag-times et de la « fureur du nu ». Le rag-time « fut joué en 1897 aux States et fit son apparition en France l'an 1913. » - toujours nous avions cru à l'imminence d'un conflit.
Répète après moi : « Je suis important ». Aux devantures des boutiques luxueuses, dans les journaux illustrés, partout, le regard tombait sur des photographies de baigneuses et de plages jonchées de nudités féminines. Apporte mon chocolat. Si bien que l'homme que ses occupations ou son plaisir retenaient dans l'atmosphère de bains turcs de la ville s'imaginait les côtes de la Grande-Bretagne telles que durent apparaître aux yeux de Télémaque les rivages de l'île de Calypso. L'abordage des femmes est proscrit, les hommes mêmes baissent les yeux, en ce temps-là nue signifiait montrant ses cuisses et son bonnete de bain, qu'il était doux d'aimer, avec des pincements de cœur, à l'ancienne. Un millions de nymphes debout ou couchées, sur les grèves. Ces eaux sont trop amères. Une salle entière et mixte fixait de l'orchestre au balcon ce couple qui baisait; comme lui je suis pénétré de respect pour toute œuvre - d'une seule idée, sans un regard.
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Et puis dans ce volume inépuisable, où j'ai cru des années discerner mon modèle, un modèle du moins de mon écriture, je suis parvenu à ce délice de préciosité snob (ce mot veut dire « cordonnier » en vieil anglais, ce qui fout en l'air la bonne blague du « sans noblesse ») intitulé Jaune bleu blanc. Monsieur Valery sans accent promène son panama et ses costars légers immaculés sous les soleils de l'Italie, se réjouissant de rencontrer des francophones, et de ne pas être obligé de partager cet éternel présent, mortifère, des sous-préfectures ou leur équivalent d'Itale. Ce qui le soutient, ce sont les paysages, monuments, bâtiments, à condition de ne pas se mêler à la populace, et désormais, curieusement, nous le comprenons, car une grande ère de connerie criminelle semble désormais tomber sur nous comme une nuit noire. Partout ce ne sont qu'adjectifs piquants, remarques minimalistes s'alliançant avec des envolées célestes, et dégustations de voluptés culturelles. Tenez : ces pas de Valery mis dans les pas de Leonardi, suicidé à 39 ans, bel « amant de la mort » disait Musset, autre immense poète romantique. La vie de Leonardi s'est souvent écoulée dans le petit bourg de Recanati au-dessus de l'Adriatique. Mais le château de famille tournait le dos à l'agglomération.
La vie de Leopardi semble aussi passionnante que son œuvre, asphyxié qu'il était entre un père couardissime qui rêvait de fournir un pape à l'Italie, et une mère atroce et rabrouante issue de la paysannerie. Les deux plus radins l'un que l'autre. Et pour Leopardi, pour Larbaud, rien de pire que de ne pouvoir sortir d'un lieu, d'une ville, d'une paralysie, puisque ce dernier a fini hémi- ou tétraplégique, horreur. Petit style délicieux admiré des ploucs, jugez-en plutôt. Valery Larbaud sonde en effet les ondes concentriques par lesquelles s'établit la renommée d'un grand écrivain, mais avant guerre, autant dire en pleine préhistoire. Nous parvenons au stade des « pèlerinages » : sur les traces de Chateaubriand à Dol (et non pas Dôle) de Bretagne, de Leopardi à Recanati, région des Marches, province de Macerata : « Les noms de Stendhal, Taine et Paul Bourget illustrent ce que je viens de dire.
« Ou bien un écrivain qui est suivi par l'élite de la jeunesse, Maurice Barrès, introduit dans son domaine linguistique le culte d'un grand classique étranger, Gœthe (je renonce au parallèle avec le Moyen Âge, trop facile). Mais le culte du héros littéraire étranger consiste, forcément, moins dans l'étude de son œuvre (étude qui ne peut être directe que pour un nombre limité de fidèles) que dans la contemplation de l'exemple proposé par sa vie, par son caractère, par son attitude à l'égard de son art et par la ligne générale de sa conduite, toutes choses qui ont pu être plus ou moins dénaturées, stylisées, arrangées par son introducteur. Ce culte, par sa nature même, est destiné à changer de forme tôt ou tard et à devenir un culte restreint, limité aux seules personnes qui peuvent étudier directement, dans la langue originale, l'œuvre de l'écrivain. Cependant, c'est-à-dire aussi longtemps que sa vogue dure, ce culte peut exercer une influence salutaire et servir de voie de communication et d'échange entre les élites de deux domaines linguistiques ».
Cette longue citation imite celles de Péguy, tout aussi malencontreuses, et recevra sa petite monnaie. Stendhal passa une nuit au relais de La Ciotat, et le bâtiment est resté debout : une plaque le mentionne. Le petit gros mal embouché en serait le premier surpris. Taine et Paul Bourget se sont effondré dans le précipice des vieilles gloires, le premier déduisant les caractéristiques des races en fonction de leurs climats, ce qui fait facho, Paul Bourget n'étant parvenu à se hisser qu'au niveau des feuilletonistes de Nous Deux. Au moins reste-t-il superficiel et français, alors que Schnitzler nous ensevelit sous sa choucroute garnie. Péleriner pour Taine, ce serait (je consulte) visiter Vouziers, où mon père a vécu. Pour Paul Bourget, devenu « antidreyfusard, ignoré voire méprisé », la question ne se pose même plus. Nous touchons encore aux grands mythes de la prédestination, au salut éternel, à la gloire ici-bas : nos radotages amènent à penser que de nos jours, le peuple occupe le devant de la scène, car tous ces bourgeois coincés de Recanati ou de Belley dans l'Ain sont condamnés à mort aussi bien que les Valeru Larbaud ou ses prétendues « élites de la jeunesse ». Nous avons découvert, ou plutôt feint de découvrir, que les « civilisations » sont « mortelles », mais écartant un peu plus nos doigts écartés de nos paupières, nous avons frémi de constater ceci : Balzac, Platon, Aristote, ne furent pas plus immortels que M. Dugland ou Sua Santitá il Papa. Hugo disait pour Honoré « de tels cercueils font croire à l'immortalité ». Mais le bon peuple, ou le peuple féroce, ne veut connaître que le coup de faux égalitaire et vengeur : et comme il n'y a plus de Dieu, ou qu'il est aussi bien le Néant que lui-même, la célébrité post mortem ou même à 50 ans s'est enfoncée dans la désuétude. Qui ne s'impose pas d'emblée ne s'impose jamais. Même les grands ont leurs nègres. Même Hugo a dû ramer pour imposer ses « Misérables » : ils étaient « trop sales ». Et la jeunesse ne veut plus d'élite, fût-ce en son sein. Ou alors, elle est tout entière « l'élite », au seul motif qu'elle est née plus tard. Les survivants des camps sont célébrés comme des héros, alors qu'ils n'ont fait que survivre, justement. La valeur, c'est d'être en vie. Nous avons même des guignols qui s'imaginent résister au terrorisme en continuant de boire en terrasses de café : la gloire n'est jamais tombée si bas. Barrès lui-même, confondu par les ignares avec son adversaire Maurras, n'est plus qu'une occasion de cracher.
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Revenons, bien à notre corps défendant, sur cette fameuse série des «Cahiers Paul Valéry », publiés en 1977 et fauchés à la Bibliothèque municipale d'Arès avant dépôt dans une petite boîte en bois de jardin public. Ce tome 2 s'intitule Mes théâtres, et nous rend compte des tentatives de représentations auxquelles se livra Paul Valéry. Ma'af, notre galaxie se propulse dans l'univers à une vitesse croissante, et ces époques d'écrivains bien vendants et très bien vêtus ressemble de plus en plus aux débris de civilisations disparues, celles qui sont mortelles. Valéry avait tenu registre de ses pensées abstraites et préoccupantes, sous forme de journal intime et philosophique. La série « Monsieur Teste » se conjuguera selon deux paradigmes, la séparation du moi et de moi-même, autrement dit Narcisse témoin, voire espion de Narcisse, et aussi, par conséquent et deuxièmement, le « fonctionnement » du moi intérieur.
Notons que selon une théorie qui nous est chère, le cerveau et le cœur de Narcisse reflètent l'univers entier, observant ainsi dans son reflet le mécanisme du microcosme et du macrocosme. Nous portons tous en nous-même la totalité du monde et des hommes. Plus nous nous connaîtrons nous-mêmes, plus nous comprendrons les autres, ces fameux autres dont on nous rebat les oreilles. Quant au thème de l' « idée fixe », il s'agit d'un jeu de mot très fécond, d'après lequel nous essayerions de fixer l'idée, de façon abstraite ou plutôt absolue, alors que fixer l'idée revient déjà à modifier l'idée observée. Nous n'en sortirions pas, et ces apories peuvent sembler vaines, un peu comme les énigmes policières du Journal de Mickey, le vrai, celui des années 50.
Avant de passer à la longue citation qui va suivre, ajoutons que les diverses tentatives théâtrales de notre moustachu se trouvent ici passées au peigne fin, alors que ces débats philosophiques pour anciennes classes de terminales semblent désormais bien déconnectés de nos préoccupations, car nous sommes devenus superficiels, pratiques, et parfaitetement cons. Voyons si la fréquentation du texte de Régine Piétra peut nous inspirer une ou deux pensées, en conclusion de ce volume fastidieux et dépassé : Valéry voudrait cerner, délimiter, définir peut-être, ce que c'est qu'une idée. Or, habituellement, notre cerveau n'est qu'un vaste brouillard disparate, où « relations » et « coordinations » ne sont que des vœux pieux. Régine Piétra, à grand renfort de citations ou de paraphrases (nous vous épargnerons les références précises) nous dit ce qui suit :
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« Si les relations se coordonnent, ce qui était diffus, général, étalé, se resserre, se spécialise : « nous entrons dans le monde de l'attention ». Mais cette concentration des énergies – comme dans « un espace où l'on produit un champ magnétique » - ne saurait durer. L'idée, par nature, ignore le temps. Sa fulguration est essentielle à son existence. Comme le cogito cartésien, elle est instantanéité, ponctualité. « […] tout ce qui vaut dans la vie est essentiellement bref. » De sorte que l'idée fixée devient bientôt écharde dans la chair. » De quoi en vérité exciter cette sorte de rage qui nous tient lieu de verve, ou sorte de rave qui nous tient lieu de verge. L'idée, ou plus exactement son surgissement, foudroie comme l'éclair : il plaît à Valéry de se la figurer ainsi, sous forme de point, d'où le terme de « ponctualité », le fait d'être un point.
Mais c'est là un point de vue d'orgasme masculin. Le féminin, paraît-il, s'allonge dans le temps. Ensuite, la métaphore devient confuse : comment un point brûlant, l'idée, peut-elle être « une écharde dans la chair » ? dans l'esprit, certes, comme tout problème irrésolu, comme toute aporie. Valéry ressent donc cette impossibilité de repérer l'instant comme une exaspérante écharde. C'est son problème. La commentatrice tisse son propos de citations exactes, que nous ne mentionnons pas toutes, pour ne pas hacher menu cette lecture. « Il faut renverser le rapport habituel qui lie le corps à l'éphémère et l'esprit à la durée. C'est le contraire qui est le vrai. Le corps supporte, endure ; l'esprit refuse tout établissement. On ne peut s'y installer. « […] toute pensée qui dure un peu plus qu'il ne faut, se fait sentir… Sentir, comme un écart. Un écart à quoi ? Elle se fait pénible, - sensation. » Notre Paul Valéry introduit ici un corps qui n'y a que faire.
Nous concevons cependant qu'un problème insoluble, rendu insoluble par les a priori, tout à fait personnels, de Paul Valéry, ait pu endommager son corps comme une intrusion, qui écarte la peau comme une écharde, obsédante et piquante comme elle. Nous pouvons nous demander, après tant de philosophes, si l'idée reste idéale, ou si c'est un phénomène corporel. De là à ressentir cela comme une obsession, il y a une marge. Tolérons, depuis les bas-fonds de notre stupidité, les égarements de notre grande âme, de notre Mahatma Valéry. Il postule cependant un peu trop, à notre goût vulgaire, ses tourments personnels en tant qu'universels. « On songe à une résistance introduite, et qui transformerait en un fait de l'ordre sensible ce qui est empêché de suivre son cours dans l'ordre des… idées. Vous avez donc une sensation de peine qui altère, brouille, absorbe bientôt
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votre pensée, - comme la fixation par l'œil, la contemplation continue d'un point, fait disparaître ce point, altère la perception. Impossible de s'attarder. »
L'idée, comme l'esprit, est évènement. Ils ne connaissent qu'un seul temps : le présent. L'expression présence d'esprit serait problématique. Les dimensions temporelles n'existent qu'en fonction du présent, gros d'ailleurs de tous les possibles qui prétendent à l'existence et qui constituent notre « implexe ». Ou « nœud interne », nexus. Le mot est repris par Valéry, je cite : « L'implexe que j'ai mis dans L'Idée fixe – est le reste caché structural et fonctionnel (non le sub-conscient -) d'une connaissance, ou action consciente » - il écrit cela dans son Cahiers, t. XVII. Les vrais Cahiers de Valéry, et non les Cahiers sur Valéry, qui contiennent aussi le verbe « chier », ce à quoi je n'aurais jamais pensé en lisant Valéry lui-même.
Nous vous épargnons la référence à Derrida en fin de note, car nous aimons la clarté de la langue française. Toujours est-il que la rédactrice de cet article, insérant sans cesse dans sa laborieuse dissertation des citations de Valéry entre guillemets, en arrive à se fondre avec la démarche de ce dernier comme le crapaud dans le goudron fondu, et ne s'avise même plus que la démarche dudit Valéry est particulière audit Valéry, et ne nous concerne pas forcément. Elle dit « vous », et je pense « lui ». Valéry suit un chemin escarpé, mais personnel, avec un vocabulaire personnel, des notions personnelles et une façon personnelle de les interpréter. Il semble qu'il s'égare dans ses propres broussailles, et tente de poursuivre une démarche dans une perspective ontologique philosophique, alors que la neurologie serait bien plus à même de lui fournir une espèce de réponse.
Ce qui ne révélerait pas le mystère de la formation de la pensée, de l'idée. De même, notre connaissance de l'atome ne nous a pas renseignés sur la formation proprement dite de la matière. Soit. Poursuivons la démonstration, ou plutôt l'exhibition de notre imperméabilité (car de plus, la rédactrice et non pas la rédacteure, ô féministes ignares, donne dans la digression de remplissage) : « Il ne sert à rien de parler ici de mémoire ; d'ailleurs « nous ne savons rien de cette illustre et inconcevable propriété ». Ce qui nous est donné n'existe qu'en fonction de l'actuel qui joue le rôle d'un pôle d'attraction ; ainsi, réentendu dans six mois, le nom du docteur pourra suffire à « rappeler
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ce bel endroit où nous sommes et l'enveloppe externe de nos débats ». Si le présent ne l'utilise pas, le passé est déjà mort : « Un souvenir isolé, et que rien ne renforce plus, est à la merci. »
« Cet impérialisme du présent, qui convoque le passé et annexe le futur, tient au fait que la pensée ne se sépare guère du mot qui la profère. La rage de l'expression, la conjugaison, ici et maintenant, « à tous les temps et à tous les modes » constituent la pointe médiane de ce trident qu'est la temporalité : pointe qui touche au centre de là cible, là où on l'attend parce qu'on a calculé son entrée, à propos : « L'à propos est l'intelligence de l'Implexe. » C'est-à-dire que l'à propos n'est pas la spontanéité. » Le docteur, c'est celui que rencontre Paul Valéry, appelé « Moi », et le médecin qui l'aidera dans sa recherche philosophique. Pierre Fresnay jouait le Moi, Julien Bertheau le docteur.
Nous suivons tant bien que mal ces idées qui surgissent comme autant d'obstacles buissonneux sur le chemin qui monte. Les concepts inadaptés, « mémoire », « spontanéité », sont écartés. Nous savons du moins ce que l'Implexe n'est pas, un peu comme pour Dieu. Mais puisque, faute de comprendre la démarche saisie de l'intérieur, nous nous attachons à son extérieur, à son aspect épistémologique, il se fait jour dans notre cervelle que Paul Valéry non seulement s'égare dans la philosophie, mais, plus grave, dans le littéraire. Et débrouiller le littéraire est encore plus difficile que de nettoyer les parties sexuelles de ses parasites. L'à-propos serait donc un instinct mystérieux que nous aurions, comme celui de renvoyer le tir au but au dixième de seconde.
La spontanéité seul n'y suffirait pas : « Celle-ci est trompeuse. Le présent se prépare et s'attend. La notion d'imminence – qui joue chez Valéry un rôle important – se trouve relayée ici par celle de pressentiment. Assurément ce n'est pas une simple « réminiscence » que cette pensée qui, comme chez Platon, se fait reconnaître, « […] l'esprit reconnaît ce qu'il désirait… Et cependant… il ne connaissait pas ce qu'il reconnaît… Mais il ne pouvait s'y tromper »… On sonne à la porte et on attend. « Mon hésitation à ce point se changera en réponse, - en lueur, - en évènement. »Nous sommes toujours dans la recherche « à l'antique », trébuchant de mot en mot pour les éliminer. Y a-t-il de la conscience dans la reconnaissance instinctive ?
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Ce n'est plus une aiguille, mais une pointe d'aiguille que nous cherchons dans une botte de foin. Cette pointe, ce surgissement de l'évènement, est-elle pourvue d'une conscience, qui serait en même temps la pointe de notre conscience, transférée d'un point à l'autre par un phénomène d'étincelle magnétique ? Cet éclair de conscience viendrait-il de nous même, ou d'une transcendance, d'une historicité préalable et latente ? « Une certaine… tension se changera en acte – en parole, en phrase... »
Aborder le temps autrement, avec un agenda, en sécrétant du lendemain ou encore formuler des promesses, concevoir des espoirs, c'est ne rien penser et ne rien dire. L'esprit ne veut le temps qu'instantanément maîtrisé et à son profit. Bien plus, il fait quelquefois ce pari d'essayer, par son propre effort, de le supprimer. C'est ans doute la gageure tenté par Edmond T. « venu dans ses rochers… pour faire des exercices d'adaptation spéciale à chaque pas… pour rompre un cycle, celui de l'idée fixe. Il nous prévient, dès le prologue : « Je trouvais en moi le désir insensé de faire par l'esprit en quelques instants ce que trois ans de vie eussent peut-être fait. Mais comment produire du temps ? » Engendrer le temps afin d'obtenir, à sa guise, cette usure, ce lent dépérissement qu'il est seul à opérer. » Mais le temps est une impureté.
Il est une dimension humaine. La recherche de la nature de l'Idée, de la déesse Idée, fait place à celle de l'être humain, tributaire du temps, que Valéry avait orgueilleusement, ou imprudemment, ôté de son raisonnement, de sa quête. C'est ainsi qu'il nous est quasiment impossible de concevoir le milliardième de seconde qui aurait connu le Big Bang ou le Grand Boum. Dans notre cerveau, la foudre de l'Idée peut-elle se mesurer en étalons de temps. Quant à Edmond T., c'est monsieur Teste, à prononcer Tête, comme sur le bassin. D'Arcachon.






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Jung Chang est une Chinoise occidentalisée, née en 1952, garde-rouge en 1964, puis « médecin aux pieds nus », puis épousant un certain John Halliday et rédigeant en anglais, d'abord une biographie de Mao-Zedong, et, en 2015, une biographie de Cixi, dernière impératrice du Japon, avant Pou-Yi, « le dernier empereur ». Nous avions l'habitude de voir «Tseu-Hi », mais le pinyin, transcription du chinois en caractères latins, nus impose C-I-X-I, que notre oreille intérieure identifie malgré tout à « Si-Ksi », ce qui est d'un certain embarras. Ce n'est que récemment (à l'échelle de l'Histoire) que les archives complètes de ce long règne glorieux et perplexe ont été dévoilées dans leur intégralité.
Mais depuis fort longtemps la Chine grouille de Chinois comme l'Europe d'Européens, et notre autrice (un acteur/une actrice donc un auteur/une autrice), traduite pas Marie Boudewyn, se fondant sur une multitude de documents, s'évertue à nous citer en fin de livre toutes les références et les sources : un grouillement où le pauvre Occidental se perd, de même que parmi les innombrables acteurs de ce règne fourmillatoire.
C'est comme dans Le château de Kafka, ou tout roman feuilleton qui se respecte : un nom en amène un autre, puis d'autres surgissent, unis en un tissu vite inextricable, à la façon, dont le mésentère nous relie à tous les entrailles pour leur éviter de ballotter dans la cavité abdominale. Et nous pourrions parler de la physique, de la chimie, de la médecine, puisque tout feuilleton, toute biographie comme ici, n'est que le débouchage incessant d'une pièce dans une autre, d'une explication dans une autre, d'un lien de parenté dans un autre. Ce qui donne à penser que la forme fondamentale, que la constitution originelle de tout ce qui existe est tout bonnement le labyrinthe, que toute structure cognitive, historique, biologique ou littéraire se fonde sur un labyrinthe, et que tout labyrinthe recèle ses propres structures à découvrir sans trêve ni repos.
À ce perpétuel va-et-vient du simple au complexe va se mêler dans notre cas particulier de l'Occident penché sur l'Orient des noms propres, de personnages tous plus influents les uns que les autres. Or, la langue chinoise présentant à nos oreilles (sans parler de l'infernale transcription pinyin censée nous faciliter la tâche, tu parles) des sonorités exotiques, à base de sifflantes, chuintantes et .COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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autres fricatives, le béotien européen s'égare entre tous ces Tching Tchang Tchong et finit, s'il n'est pas attentif, par confondre tout un chacun avec tout le monde. Il serait expédient de traduire dans la mesure du possible toutes ces identités, ce qui donnerait « Boit-Sans-Soif », « le Noir », « Furibond » ou « Bouton de Rose ». Mais les puristes se récrieraient, en hurlant à la désinisation, à l'ethnocentrisme et que sais-je encore. Il n'est pas question ici pour nous de retracer tout le règne de cette parvenue Tseu-hi (toute personne de pouvoir est parvenue), qui régna comme régente ou comme remplaçante d'un mari mort jeune, d'un fils débile ou d'un enfant adopté complètement névrosé voire nécrosé : consultez votre Wikipédia, car, comme c'est écrit quelque part, à quoi bon le savoir.
Sachez simplement qu'après avoir longtemps moisi dans ces fameux harems où les femmes se frottaient ensemble par paquets de cent à longueur de vie, tout en boitillant sur des pieds bandés et c'est bien tout ce qu'elles pouvaient voir de bandé, les contraignant gémir sur leurs moignons durant mille années (Tseu-Hi a supprimé cette barbarie), l'impératrice dut faire face aux appétits effrénés des puissances étrangères, qui multiplièrent les comptoirs (« Tsingtao » pour les Allemands, qui donnèrent ce nom à la première bière germanique chinoise) (sans compter Changhaï, Macao, Hong-Kong ou « Rivière Parfumée », c'est la même). Les Japonais, les Russes, lorgnaient aussi sur l'Empire du Milieu, chacun voulant se tailler un morceau comme les salauds qui découpent en tranches les ventres de tortues vivantes bloquées sur le dos).
Le seul remède était un gouvernement à l'occidentale et l'introduction d'une presse, d'une espèce plus ou moins boiteuse de démocratie, ainsi que l'abandon de certaines pratiques gestionnaires paralysantes et inadaptées. Vous verrez, lorsque débarqueront les extra-terrestres, les longues tronches que vous tirerez… Cela donne pour la Chine un salmigondis extrêmement judicieux, bien dosé, ourdi décennies après décennies par une femme qui unifia l'Empire au sein des plus grandes difficultés de son histoire. Les oppositions écartelèrent sa volonté, entre ceux qui estimaient que vraiment Sa Majesté allait trop vite, foulant aux pieds l'ancestrale tradition divine, et ceux qui auraient voulu aller tellement moins progressivement, quitte à trahir le pays lui-même, qui n'existe pas suivant les macronistes de l'époque.
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Après sa mort, elle fut déterrée pour que les révolutionnaires, race éminemment désintéressée comme chacun sait, profitassent de ses richesses ensevelies et laissassent son cadavre à 'air libre. Et puis tout alla très vite, de République en Tchang-Kaï-Tchek et de ce dernier en Mao-Dzédong, ce qui signifie « Poil-de-Chat ». Ces luttes pour le pouvoir se retrouvent chez les progressistes comme Atatürk, aussi bien que chez les premiers capétiens français, où l'on se foutait sur la gueule pour gagner quelques lieues carrées. On retrouve les mêmes tensions chez tous les empereurs de Chine ou tous les Seigneurs de la guerre du Japon.
Aussi, au lieu de vous trimballer au sein des convulsions d'un empire ou d'une époque à peu près interchangeables, vais-je rétrécir la focale sur l'année 1898, après la cession (l'année précédente) de Hong-Kong à la couronne britannique). Tseu-Hi faillit se faire descendre par un complot, selon un processus bien connu, mais que voulez-vous, l'humain est monotone. L'empereur s'appelle Guang-Xu. Il a 27 ans, mais n'a que la maturité d'un gosse soumis à sa maman, ici adoptive, l'impératrice. Cette dernière ne peut, rituellement, intervenir qu'en sous-main. Et puis, une armée de fonctionnaires qui ne servent à rien (puisque tout le monde le dit) et de puissants provinciaux préfèrent soutenir une impératrice-mère expérimentée plutôt que d'emboîter le pas à l'empereur, dont il est pourtant très dangereux d'enfreindre les ordres.
Un intrigant nommé Kang « le Renard », (« Hùli », mais merci pour le surnom) écrit à l'empereur, lève des pétitions, le flatte et le flagorne (« vos yeux lancent des éclairs »), se lie avec un général qui concentrera ses troupes près du palais d'été de l'Impératrice, et propose même à un Japonais éminent le poste de premier ministre, carrément. Mais le général cafte tout cela immédiatement, et l'Impératrice, revenue de sa villégiature dorée, fait incarcérer l'empereur faible dans une île dans un lac dans le palais. Fini la mumuse, le débilos. C'est maman adoptive qui reprend la balle, et, chose extraordinaire, sans effusion de sang (alors que les complices de son fils voulaient un grand massacre, en particulier de la « Sale Vieille », merci pour le surnom). Notre époque n'est plus violente, pas en Europe en tout cas, bande de trouillards. L'impératrice a toujours été considérée comme clémente, parce qu'elle ne faisait pas systématiquement exécuter
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toute une famille à la suite d'un crime de lèse-majesté, mais châtiait seulement le coupable, avec le moins de tortures possibles. Eh bien dans ce complot précis, que des emprisonnements, que des exils dans de lointaines provinces du sud. Ensuite, les conseils gouvernementaux reprirent avec tout le cérémonial traditionnel. Mais personne ne voulait encore de république : les rapports des Empereurs avec le peuple se modelaient en effet sur ceux d'un père ou d'une mère (c'était rare) avec leurs enfants. Et dans une famille nombreuse, que serait-ce si les parents n'exerçaient pas leur autorité absolue sur leurs mouflets de 27 ans ?
Réponse : une colonie de vacances pendant un grève des moniteurs. Alors, le modernisme, oui, les réformes, oui, la chienlit, non. Prenons le texte, aux éditions Jean-Claude Lattès, dernier paragraphe, silence au fond : « Kang aurait du être le premier visé, mais Cixi réagit deux jours trop tard. Le Renard comprit que sa combine était éventée en apprenant que le général Yuan refusait de se compromettre – de même, d'ailleurs, qu'un autre conspirateur répondant au nom de Bi, enrôlé pour tuer Cixi. Ce Bi relata par la suite sa visite à Tan, le jour suivant à l'aube. « M. Tan se peignait d'un geste alangui », raconte-t-il. Tan informa Bi que le général ne s'était engagé à rien. » On croirait des noms de héros de BD : Tan, Bi, pour vous. « Bi demanda : « Êtes-vous sûr que Yuan soit l'homme indiqué pour une telle mission ? » Tan, qui se méfiait à l'évidence de Yuan, répondit : « J'en ai discuté à maintes reprises avec M. Kang, mais il n'en démord pas : il veut faire appel à Yuan. Qu'y puis-je ? » Bi s'étonna : « Vous avez mis Yuan au courant de tout ? » L'autre le lui confirma et Bi s'exclama : « Nous sommes fichus. Nous sommes fichus ! Vous ne vous rendez donc pas compte de quel genre de machination il s'agit ? » Le général Yuan devait en effet creuser le sol à proximité du Palais d'Été de l'Impératrice, sou prétexte de récupérer un trésor d'or et d'argent, afin de recapitaliser les finances publiques : astucieux, non ?
« Vous ne pouvez pas en parler à la légère ! Je crains que vous et vos familles ne finissiez entre les mains du bourreau ! » Là-dessus, Bi s'enfuit à la hâte, abandonnant les conspirateurs à leur sort.
« Le Renard rendit quant à lui visite à deux ressortissants étrangers : Timothy .COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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Richard, un de ses amis, missionnaire baptiste et gallois, et Ito – la veille de son audience avec Guangxu. Kang cherchait alors à se réfugier en lieu sûr. Cultivant l'amitié de fonctionnaires et de lettrés, Richard connaissait beaucoup d'hommes influents, dont le comte Li. » Révision : l'empereur, qui voudrait faire tuer sa mère adoptive, c'est Guangxu, Il donne audience, et presque toujours, après une audience, on est promu. Un missionnaire « baptiste et gallois », c'est un cumulard de la ringardise, mais ça peut toujours servir. Ito, c'est le Japonais qui préparait la collaboration entre guillemets de Chine et du Japon, vous voyez tout de suite au profit de qui.
Le comte Li, je ne sais pas qui c'est, car ce livre, Dieu merci d'ailleurs, ne comporte pas d'index. Mais pour cette fois, il nous aurait été utile. En tout cas, la main de l'étranger est là. Méfiez-vous des étrangers. Que vont devenir les conjurés ? Mon cœur défaille, volcanique : « Il rêvait non seulement « d'établir le royaume de Dieu » sur le sol chinois, mais aussi de diriger le pays - »de réformer la Chine, remodeler ses institutions et, en résumé, de se charger de la gouverner », comme le nota Robert Hart, à qui une telle perspective semblait « par trop délicieuse ! » Les diplomates britanniques, eux, jugeaient « absurdes » les projets grandioses de Richard. (Il voulait entre autres que « deux gouvernantes étrangères entrent au service de l'impératrice douairière ».) Kang avait recommandé à Guangxu de réserver au missionnaire une place dans son conseil consultatif, qui n'inclurait qu'un seul autre étranger : Ito. Richard lui en fut reconnaissant.Il s'empressa pour l'heure de rameuter des appuis à Kang ; en vain, compte tenu, selon Richard, des « mauvaises dispositions » envers Kang de l'ambassadeur britannique, Sir Claude McDonald.
« Ito n'offrit pas l'asile à Kang au sein de la légation japonaise. » Les collabos n'ont pas pu monter dans les camions, pas plus à Vichy qu'en Algérie après le cessez le feu. Le missionnaire pourra toujours repartir sans emmener ses convertis. Mais sa revue imprimée avait influencé les courants réformistes. La douairière, c'est Cixi, veuve d'un autre empereur (Xiangfen) depuis 1861, et qui conserve certaines prérogatives. Son nom, Cixi, qu'elle a choisi, signifie « Mère vénérable ». Déjà du vivant de son mari, elle participait au pouvoir, ce qui était parfaitement scandaleux. « Le marché qu'ils avaient conclu ne supposait certainement pas de confier à une bande d'amateurs la mission ô combien hasardeuse d'assassiner l'impératrice douairière. En plus, Ito devait rencontrer l'empereur le lendemain. Cela .
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ferait mauvais effet que Guangxu lui demande de lui livrer Kang. Le Renard se vit donc dans l'obligation de quitter Pékin, dont il partit aussitôt. Le temps d'ordonner son arrestation, il quitta Tianjin à bord d'un vapeur britannique à destination de Shanghai. » Oui, voit-on franchement l'empereur demander à Ito de lui livrer Kang, alors que ces deux derniers se trouvaient complices. Tianjin, c'est évidemment Tien-Tsin. « Là-bas, sur le quai, « des inspecteurs et des policiers » l'attendaient « fébriles à la perspective d'empocher les 2000 dollars » promis en échange de sa capture. Les journaux attribuant à Kang la paternité des réformes (et compte tenu du secret gardé à la cour sur le rôle de Cixi dans l'affaire), le consul général britannique Byron Brenan voulut sauver la peau de Kang, comme il le relata plus tard. Ne pouvant, en qualité de représentant officiel de la Grande-Bretagne, s'y risquer au grand jour, il envoya en mer le correspondant du Times, J.O.P. Bland, à bord d'une chaloupe, juste avant l'accostage du vapeur ». « John Otway Percy Bland », 1863-1945, vivait en Chine à l'époque, et s'occupait du Conseil Municipal de Shangai, tout en rédigeant des piges bien rémunérées. « Une canonnière britannique conduisit ainsi Kang à Hong Kong. Là-bas, le consul japonais lui rendit visite et l'invita à séjourner au Japon ». Comme vous le voyez, la Chine était grignotée par les concessions étrangères, dans un statut parfois semi-colonial. Le mot « canonnière » en dit long. « Aux dires de Kang, qui ne tarda pas à débarquer au Japon, Tokyo « chérissait l'aspiration à construire une Grande Asie orientale ».
« Le lendemain de l'audience d'Ito, son bras droit Liang demanda asile à la légation japonaise, qui l'aida à se réfugier au Japon. Une fois coupés ses cheveux qu'il attachait d'ordinaire en une longue queue, et habillé à l'européenne, il prit place à bord d'un navire de guerre japonais sous la protection des Japonais à Tianjin.
« Tan, le radical qui prônait la violence, reçut lui aussi une proposition d'asile au Japon. Mais il la refusa. » Voyez comme la Chine était ligotée par tous ceux qui convoitaient ses richesses. Et ne jugez pas sévèrement l'impératrice Cixi. Par la même occasion, épargnez-nous par pitié « il a gagné une bonne virole en chêne » et autres « arriver à pied par la Chine ». En revanche, nous apprécions beaucoup « La Chine renouvelle son soutient au Pakistan ». Ciao ! Zài jian !
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Ce fut une longue aventure. Une commande cours de la Marne, à l'épicerie portugaise « Oui, nous pouvons vous commander, aussi, des volumes de poésies ». J'en ai obtenu II, présentés par António Quadros, le tome I présentant les productions en portugais de 1902 à 1929, après une longue, une interminable et très fouillée dissertation sur tout ce que l'on peut dire de Pessoa, de son enfance à Durban puis aux Açores, de ses hétéronymes, de ses sentiments de ceci, de cela,, une documentation, une somme, un assommoir. Et tout en portugais, puisqu'il est aussi facile de lire cette langue que difficile à comprendre. Il faut savoir qu'hélicoptères, en portugais, s'écrit helicópteros mais se prononcera [lipch], de l'aveu même de ma collègue de langue.
Aussi, pour enseigner le portugais, elle interdit d'écrire ou de lire, projetant les élèves en pleine matière auditive, afin qu'ils ne soient pas tentés de reconstituer à partir d'un texte ce que l'on entend : la démarche inverse, partir de l'oreille pour descendre à l'écriture, se révèle bien plus facile et féconde. À Lisbonne, pour celui qui n'a su que lire, il est à la lettre impossible de s'y retrouver parmi ces voyelles sonores et impératives embrouillées dans un fouillis de consonnes chuintantes. Le pire est encore d'essayer d'omettre, soi aussi, des syllabes : un peu comme les étrangers qui s'imaginent faire « français » en prononçant « intressant » ou pis encore « quelk'chose » alors que nous disons, n'est-ce pas, « quèkchose » : les Lisboètes ne comprennent pas mes omissions, parce que je n'y mets pas l'intonation, le sous-entendu imperceptible et ultraprécis que tous les Portugais trouvent, bien entendu, parfaitement évident.
Je me fatiguais donc à prononcer de mon mieux, selon la « prononciation Assimil », ce texte de haute valeur qui ne faisait pour moi que retarder l'accès aux vers proprement dit de notre poète. Une telle étude, aussi fouillée, sur près de quatre-vingt dix impitoyables pages en italiques, m'eût semblé bien plus indiquée en postface. Lisez donc plutôt, en apnée, Le livre de l'intranquillité. Lisez aussi Le banquier anarchiste, en évitant les récupérations moralisatrices : non, Pessoa n'appartenait pas à notre époque gavée de moraline et de prêchi-prêcha niais à chier. À 12, 13, 14 ans, Fernando versifiait déjà, en anglais ou en portugais. Ce n'était pas encore parfait, mais l'éditeur nous les présente « à titre documentaire ».
Il a perdu très tôt son père, son frère et une demi-sœur tus deux en bas âge. Un poison le hante, « qui vanc la vérité même, et qui presque nous tue pour finir. » Il traînera ça toute sa vie. Le Portugais n'est pas « toujours gai », il cultive la saudade et le fado, il est baigné de poésie plus que le fanfaron Français, il en compose, et la maman de Pessoa versifiait à l'occasion. Noter la facilité, BERNARD COLLIGNON LECTURES
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l'indulgence peut-être, avec lesquelles se forme, s'accueille et se lit la poésie de cette langue souple et riche – Este que me fere a mim
Foi causado pela sorte
Foi cavado pela morte -
Não posso viver assim -
- ce qui me blesse à moi
Fut causé par le sort
Fut creusé par la mort
Je ne peux pas vivre ainsi. »
Enfance errante et déracinée, mère tôt remariée, Durban, Le Cap, Açores, avant la fixation définitive à Lisbonne, au sens d'abcès de fixation : il mourut du foie et de l'alcool, bourré d'érudition et d'hépatite. Cette queue de poème date de 1903, en Afrique du Sud, il avait 14 ans, triste déjà comme tous, mort à peu près vierge (une fois dégoûtante je crois). Il lasse. L'être et le non-être en lui s'entrelacent et se fondent. Inaction, méninges et boissons fortes. Mote – Refrain – Um adeus – à despedida – un adieu – pour se séparer…

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Longtemps après, Pessoa outra vez. M'évertuant à lire à mi-voix, dans le texte, en un portugais d'enfant qui ânonne. Un reflux de saudade, mot facile, à tous les carrefours, au fond d'un saladier noir. L'impression de rabâcher Blanchot, qui fit du vide un fonds de pensée. L'absurde, le vide, l'aube grise éternellement bloquée qui brre la journée sans l'ouvrir, et se remmitouflage de mort en son linceul propre, poésie près de laquelle même Leopardi joue au joyeux luron. Et de beaux vers à mi-vois massacrés par l'approche, coulant si profond au dedans de nous. Le matin coup de plom terrible sur les épaules dasn l'exaltation du recoucher, qund on s'en retourne pour rêver lourd et long et interminable.
Se réveiller avec un goût de cendre et de meurtre jusqu'aux piliers du palais dans le fond. En 1913 de l'ancienne ère, le monde jeune se prépare à s'entr'égorger dans sa vigueur même, Pessoa lacère cotonneusement son sentiment de vie amère et douce. Il est âgé de 25 ans, il ressasse et remâche, enivre aussi de justesse. Nous étions assis sur le parapet d'un pont, à deux pas d'un virage BERNARD COLLIGNON LECTURES
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en lacet, et nous reposions notre fatigue extrême. Il ne s'agissait plus de restituer ce que pensait, ce qu'imaginait la génération de cet ultime année de paix : des hauteurs du cimetière sur tout un versant couronné de maisons, les tombes de la guerre mentionnaient encore les victimes éparses du carnage. Nous raconterions encre ces histoires d'entre nous et nous, d'entre nous et vous, restreignant le courant communicatif : non plus le génie en herbe Fernando P. mais l'éternel auteur à la Carrère, qu'emportera le vent. Il connaît mal, presque pas du tout, le portugais. Il évite l'ouvrier sur le quai de gare.
Près de 25 ans plus tard, le temps que Pessoa se développe, il reconsulte son lexique, il ouvre la rubrique « traduction », tradução, où le dictionnaire orange ne suffit pas : le poème s'appelle « Impressions au crépuscule ». mélancolie de ce qui finit, science profuse des syllabes, enchantements de la langue étrangère, et ces trepadeiras de despropósito lambendo de hora os aléns qu'il faudra mot à mot déplucher. Le despropósito, c'est l'absurde, l'hors-de-propos, le non-pertinent. Péguy passionne par ses mot à mot du grec, mais peu de temps ; l'année 1913 est sa dernière complète en notre monde.
Les traductions s'inscrivent dans un écran rectangulaire scientifique, « sas garantie » précisent-ils. Les trepadeiras sont des reptations, d'absurde. L'absurde rampe et bave à ras d'horizon couchant. Morbidezza. « Mais alors mais alors mais alors, quoi de plus normal, métaphore parlant, filature parlant, qu'une reptation qui « lèche », « léchant » « à l'heure » « les étrangers » ? Ou « les altitudes en temps et heures » ? et je me cherche en vain des traductions pour fuir mes organes en fonte. « Horizons faisant les yeux à l'espace où ils sont eux-mêmes en erreur errante » ou à peu près, nous montons sur la chaise et voyons la Tour Eiffel sans pouvoir s'en approcher, lorsque tant de traducteurs restituent ces rebords d'abîme…
...Les yeux se noient dans l'espace - « fanfares opiacées de silences futurs… Longs, longs trains… Visions de portails lointains… A travers d'arbres... tant de fer ! » Paru en revue. « L'Heure absurde ». On ressort de Pessoa malade, rincé. Y compris mal traduit, il irradie et contamine.






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O banqueiro anarquisto - Le banquier anarchiste – lu en portugais, joué par votre serviteur en français, avec l'ambition de la jouer dans sa langue d'origine. Une Portugaise, une Brésilienne, m'en dissuadèrent : ma prononciation était approximative, et si bien disposées que fussent les populations Lisboète ou Paulista, jamais elles ne tiendraient tout un dialogue mal prononcé, partant, mal joué. A moins de devenir parfaitement bilingue, et si bien intégré parmi les lusophones que rien ne m'en pourrait distinguer : ce qui à 53 ans relevait du tchallènndge le plus irréaliste. Mais pourquoi jouer ce texte, puisqu'il s'agit primitivement d'un dialogue narratif, du moins cursif, ou plutôt d'un monologue, le partenaire n'étant là que pour renvoyer la balle de temps en temps ?
Parce que, répondait Alvarez, metteur en scène, chacun devait pouvoir accéder à cet ouvrage mathématiquement délirant, qui mène de l'anarchisme le plus exalté au capitalisme le plus décomplexé, mais sur les planches, ce qui est nous ne dirons pas plus facile, car le théâtre n'est pas « facile », mais plus directe, plus émotionnelle. Le lecteur ordinaire, même assis, fait effort, le spectateur s'assoit pour écouter, s'imaginant que ce sont les acteurs qui travaillent et pas lui – illusion, mais une de plu, une de moins… Bref, le dialogue était tout écrit. La première fut une catastrophe : voix haut perchée, et surtout, un énorme oubli de la moitié du texte, par saut du même au même, vous savez, ces morceaux de phrase qui se ressemblent à un mot près, et vous mènent à la bonne suite ou bien beaucoup plus loin d'un coup, par erreur d'aiguillage.
La pièce allait se terminer en moins de vingt minutes, et je parvins, en réfléchissant par-dessous le rôle, à retrouver très exactement la coupure, à revenir en arrière au moment voulu, puis à ressauter par-dessus ce que j'avais dit en avance, le tout impeccable. Les spectateurs s'aperçurent de ce tour de passe-passe, applaudirent longuement et poliment, mais le metteur en scène me mit, justement, un sacré savon en coulisses. Pourquoi cet accident ? Parce que le texte se présente sous la forme d'un développement minutieux, éliminant petit à petit les fausses pistes pour mener à la vérité, du moins à une vérité. Sans arrêt reviennent les expressions comme « fictions sociales », dont les anarchistes veulent se débarrasser, « liberté individuelle », « nature humaine » et autres concepts indispensables au raisonnement.
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Or c'est un banquier qui parle. Un banquier anarchiste, c'est absurde. Comment lutter contre l'oppression économique et capitaliste alors qu'on représente, par sa profession même, la cible essentielle du combat anarchiste ? C'est ce que le banquier lui-même va expliquer à son ami, seul à seul, à la suite d'un bon repas bien arrosé. Il raconte sa jeunesse de fils d'ouvrier, les convictions généreuses de son adolescence, la rencontre de camarades aussi convaincus et déterminés que lui, et le voilà au sein d'un groupe animé d'un même idéal, noble et grandiose, l'anarchisme. Lorsque deux spectatrices du premier rang, vêtues de splendides robes du soir, se furent aperçues qu'il n'y aurait ni combat d'épée ni rigolade de cocus sur scènes, elles se levèrent en faisant bien bruire (et non pas bruisser bande de barbares) le tissu chatoyant de leur couvre-cul, et disparurent, alors que j'aurais dû les attirer sur scène et improviser une discussion à quatre.
Mais très attentivement, très éloquemment, je m'efforçais de capter l'attention de mon interlocuteur, le metteur en scène lui-même, et de le convaincre du bien-fondé de mon raisonnement vicieux. En effet, ce banquier en question, qui ne l'était pas encore évidemment, se rendit compte que les anarchistes, entre eux, développaient de nouvelles tyrannies, alors qu'ils prétendaient lutter contre la tyrannie sociale. Des relations de groupe s'établissaient, les uns et les autres obéissant à leur caractère, et des rivalités se faisaient jour, des hiérarchisations, un esprit d'entraide tournant à une répartition entre ceux qui aidaient et ceux qui se laissaient un peut trop souvent secourir. Cette nouvelle tyrannie, surajoutée aux anciennes, n'étaient-elles que l'inévitable répercussion du seul modèle civilisationnel que les humains avaient jamais eue à leur disposition, ou bien, pis encore, fallait-il conclure que la nature de l'homme était mauvaise en soi, comme dans la théorie du péché originel ?
Comment se fait-il que deux garçons marchant sur le même chemin, l'un d'entre eux parvient-il toujours à entraîner l'autre dans telle ou telle direction, machinalement, même si celui qui cède voulait aller autre part ? Conclusion (j'abrège) : il fallait rester anarchistes, mais séparément, briser le groupe qui s'autogénérait en quelque sorte ses propres contraintes, aggravées par la proximité voire la promiscuité ? Facile, nous dit le banquier : rompre le groupe, et travailler chacun dans son coin et dans son domaine à l'établissement d'une société libre, après quoi la révolution surviendrait inévitablement, surgirait de ce terrain rongé par-dessous.
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Tout le monde se mit à l'engueuler, à lui dire que « ce n'était pas ça, l'anarchisme », sans dire ce que c'était. Vous savez, ces fameux conseilleurs qui vous critiquent sans cesse, mais bien incapables de vous indiquer la bonne direction, parce que c'est à vous de la trouver, style « c'est à toi de faire, trouve tout seul ta solution, je ne sais pas, moi » - ben justement, quand on ne sait pas, on ferme sa gueule. Bref, notre anarchiste voulut agir tout seul. Comme terroriste alors ? Non, car, dit-il, tuer douze capitalistes ne sert à rien ; dans un combat, douze soldats de moins affaiblissent les forces de l'adversaire ; mais dans une lutte sociale, c'est comme si le terroriste anarchiste éliminait non pas douze soldats, mais douze civils : ils se régénèreraient spontanément.
Non. L'ennemi,le vrai, celui qui gâche tout, qui pervertit tout, qui pourrit tout, c'est l'argent. Comment combattre l'argent ? Admirez la précision paranoïaque du raisonnement : en l'éliminant par lui-même. Au lieu de le poursuivre toute sa vie parce qu'on n'en a pas, en acquérir au point de ne plus y penser du tout ! En avoir, et s'en servir, fin des soucis d'argent, fin des pensées sur l'argent ! Notre banquier s'est donc transformé en prédateur libre, anarchiste, ayant au moins libéré une personne puisqu'il est impossible de libérer tout un peuple, contaminé par les poisons sociaux et les chaînes sociales !
Nous ne rions plus. Cet homme est dangereux. Il contemple, du haut de son tas d'or, la veulerie et la pleutrerie des humains qui ne savent que s'engueuler et se nuire, il va même jusqu'à prétendre que la lâcheté, que l'agressivité, sont héréditaires, et qu'il ne vaut pas la peine de sacrifier sa liberté personnelle si chèrement et si malhonnêtement acquise pour sauver cette bande de larves, juste capable d'attendre le bonheur et le salut comme un cadeau fait par autrui, au lieu d'aller le décrocher elle-mêmes ! Il existe donc des races d'esclaves héréditaires, et lui, le banquier, s'estime le seul véritable anarchiste sur cette terre ! Eh bien figurez-vous qu'après l'une de nos représentations, un charmant couple de vingt ans est venu m'enguirlander au bar parce que j'étais bien le personnage, correspondant très bien à la folle saloperie que j'avais représentée.
Ils ont été très soulagés quand je leur ai dit que je jouais, et que non, je n'étais pas un sale capitaliste fascisant moi-même ! Et j'étais très flatté de leur hostilité, qui valait compliment ! Plus COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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tard, ou avant, je ne sais, Stéphane Alvarez me parla d'une autre mise en scène parfaitement inepte, où l'on avait mélangé Le banquier anarchiste avec d'autres textes de Pessoa, poétiques, cafardeux, nuageux, afin d'opposer le faux Pessoa Fernando avec le vrai, l'auteur des considérations sur le rien, l'auteur du Livre de l'intranquillité : mais on n'avait réussi qu'à produire un gloubiboulga dans l'air du temps, de la doxa de goche, animé de bons sentiments larmoyants. Eh bien non. D'ailleurs Salazar et Pessoa n'ont pas été en bons termes. Le poète accusa le dictateur d'avoir éteint et complètement étouffé l'intelligence du peuple portugais.
Ce n'est pas parce qu'il invente un personnage complètement fou dans ses raisonnements exacts qu'il est lui-même dans l'approbation, dans la fusion avec ce personnage. La pièce (exactement la nouvelle) date de 1922, se voit qualifiée par Wikipédia de « brûlot provocateur, où il fustige aussi bien la société capitaliste que l'intellectualisme des révolutionnaires », qui affectionne l'impuissance des petits roquets. Salazar ne prendra le pouvoir qu'en 1935. Ce furent 35 années de paix bigote et de capitalisme chrétien. Le banquier anarchiste,nouvelle refaçonnée, après sa mort, mis en pièce de théâtre, fut considérée par lui comme sa seule œuvre véritablement achevée. Je suis très fier de l'avoir jouée une vingtaine de fois en 99 et 2000, mais je ne veux plus la rejouer : en effet, pendant que le public prend son pied, l'acteur, lui, sur scène, bosse, et serre les boulons, il boulonne.
Ceux qui ont la vocation persévèrent, et découvrent le plaisir de jouer. Les mollassons laissent tomber. J'ai mollassonné dans ce domaine. Pour le texte, nous aurons plutôt recours à la langue française : « J'essayai de voir quelle était la première, la plus importante des fictions sociales. Ce serait elle qu'il m'importerait, plus qu'aucune autre, d'essayer de soumettre, d'essayer de réduire à l'impuissance. La plus importante, à notre époque du moins, est l'argent. Comment soumettre l'argent ? ou, plus précisément, la force, ou la tyrannie de l'argent ? En me rendant libre de son influence, de sa force, me faisant supérieur à son influence, la réduisant à l'impuissance en raison de ce qu'il me disait respectivement à moi. » Nous voyons venir le paradoxe : «  Mais par rapport à ce qu'il me disait à moi, vous comprenez ? parce que j'étais, moi, celui qui le combattais ; si je l'avais réduit à l'impuissance par rapport à tout le monde, ce ne serait plus le vaincre, mais le COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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détruire, car ce serait en finir avec la fiction de l'argent. Or je viens de vous démontrer que toute fiction sociale ne pouvait se « détruire » que par la révolution sociale, entraînée avec les autres dans la chute de la société bourgeoise.
« Comment pouvais-je me rendre supérieur à la force de l'argent ? Le procédé le plus simple était de m'éloigner de la sphère de son influence, c'est-à-dire, de la civilisation ; aller en pleine campagne manger des racines et boire de l'eau de source ; marcher tout nu et vivre comme un animal. Mais cela, même s'il n'y aurait pas eu de difficulté à le faire, n'était pas combattre une fiction sociale, pas même combattre, mais fuir. » Notre banquier refuse toute solution autre que la sienne, il les disqualifie toutes en les poussant à l'extrême. En voulant rester seul, il a tourné le dos à la révolution sociale, il semble dire que ce n'est pas son boulot, il l'attend sur un plateau, comme il le reprochait aux autres dans son groupe autrefois. « Concrètement, celui qui se refuse à engager le combat ne subit pas de défaite. Mais moralement il est vaincu, puisqu'il n'a pas combattu. Le procédé devait bien être un autre, un processus de combat et non de fuite. Comment soumettre l'argent, comment le combattre ? Comment me soustraire à son influence, à sa tyrannie, sans éviter de l'affronter ? » Oui, on se le demande, monsieur l'éloquent, monsieur l'anti-Socrate, qui remplacez l'anarchisme par l'individualisme. La réponse est devenue simple :
«Il n'y avait qu'un seul procédé : en acquérir, en acquérir en quantité suffisante pour ne plus subir son influence ; et plus j'en acquerrais en quantité, plus je me libérerais de cette influence. Ce fut lorsque je m'aperçus de cela clairement, avec toute la fore de ma conviction anarchiste, et toute ma logique d'homme lucide, que j'entrai dans la phase actuelle – commerciale, et bancaire, mon cher – de mon anarchisme. »
Il mit une trêve à la violence, soudainement accrue, dans l'enthousiasme de sa démonstration. Puis il poursuivit, avec une certaine chaleur encore, sa narration. » Nous ne le suivrons pas davantage. Il est passé de la quantité, d'argent, à la qualité, celle de la libération. Ne le réfutons pas, restons silencieux et sceptique à la façon de son interlocuteur, à qui nous avons été invités à nous identifier. Amis anarchistes, amis cyniques (mon cœur balance), bonsoir.
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Les valises du professeur Jeanson : ce titre, de Dominique-Emmanuel Blanchard, fait explicitement allusion à ce scandale d'époque, d'une époque révolue, où ledit Francis Jeanson transportait des valises de billets de banque à l'usage du Front de Libération Nationale, autrement dit le FLN. Jeanson fut traité de « traître à la nation » française, en ces années chaudes de la guerre d'Algérie, qui n'étaient au début qu'une mission de maintient de l'ordre et qui évolua comme on sait. « Professeur » évoque surtout cette partie de la vie (car il s'agit d'une biographie, pour faire simple) où Francis Jeanson, en Bourgogne, s'efforçait non sans succès d'amener le bas peuple, celui que l'on méprise, à la connaissance, y compris celle de la musique classique.
Enfin,
last but not least, le rôle de Jeanson dans la brouille entre Sartre et Camus est la première chose qui vient à l'esprit lorsqu'on parle de lui. Cette brouille intervint en 1952, après la parution de L'homme révolté, chef-d'œuvre de Camus qui n'eut pas l'heur de plaire à l'intelligentsia de goche. À ces trois axes, pédagogie, philosophie, activisme, viennent se mêler ce rapport intime de l'auteur avec son sujet, qu'il considère sans erreur comme son père spirituel, ce qui parasite le propos, ou qui l'enrichit, le complexifie, l'humanise, et le met en perspective chronologique : en effet, l'auteur s'est plusieurs fois entretenu avec son objet d'étude et ami, tandis que tournait un magnétophone bien visible, à partir de 1996.
Évacuons d'abord les toxines, qui sont aussi les miennes, mais pas seulement. Se mêler en tant qu'auteur, en tant que proche, du sujet que l'on traite, c'est comme se pencher sur son instrument en se faisant entendre, comme Glenn Gould au-dessus de son piano : personnellement, je déteste, et pourquoi ? Parce que je le fais aussi, en ce moment même tenez, mais à ma façon. Or, il est bien connu que les détestations surviennent non pas entre personnes qui s'opposent mais entre celles qui se ressemblent, mais dont chacune reproche à l'autre précisément ce qu'elle fait elle-même, tellement mieux que l'autre, n'est-ce pas. Mais Dominique Blanchard tenait à cet ouvrage depuis longtemps, et juste avant que le vieil homme ne meure, a tenu à le mettre en entier dans son livre à lui, mêlé à lui, dans une recherche commune, dans des circonstances communes.
Cela fait indiscret. Ou bien touchant. Ou bien agaçant. Bref, ça dérange. Nous avons ici une interview, en anglais une entrevue, décryptée telle quelle depuis l'enregistreur ; des commentaires, COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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des discussions entre l'auteur et le sujet vivant de son étude ; des incidents, des parenthèses, des intervention de Christiane, compagne de Francis Jeanson, des labyrinthes, des lacets, des digressions, des mises au point, des omissions, des détails inutiles (mais est-ce que ça existe, des « détails inutiles ») et des chipotages aussi bien que des objections sérieuses, ainsi que des réponses non moins sérieuses, qui résolvent ou non les objections, ou bien bifurquent – mais dans ce cas l'auteur insiste, remet tout sur le tapis, et tous deux essaient de dénouer le nœud gordien, avec le plus d'honnêteté possible.
Et ceci d'autant plus que l'œuvre et les interventions de Francis Jeanson (qui sont souvent inséparables dans la perspective) sont demeurées peu connues du grand public, voire, même, du domaine de la littérature. Le commun des mortels ou des professeurs du secondaire n'ont retenu que ce qui accroche, ce qui choque. Et puis c'est trop vieux, tout ça. Les éditeurs contemporains ou «marchands de pommes de terre » (je cite Blanchard) considèrent désormais que tout ce qui précède la mort de Lady Diana relève de la préhistoire et ne saurait souiller leur catalogue. Robert Redeker, qui nagea lui aussi à contre-courant, s'est lancé dans la publication de ces « valises du professeur Jeanson » aux éditions Ovadia, collection « Les carrefours d'Ariane ».
D'emblée, comme Bernard-Henri Lévy, l'interviewer a foncé sur l'affaire Camus : BHL disait, « je rencontre un mythe et ce mythe n'aime pas Camus ». Tout le monde « cale » là-dessus. Jeanson fut « l'exécuteur des basses œuvres » de Jean-Paul Sartre. Avec les arguments que l'on sait, répétés cent fois, y compris dans ma vie propre (tiens, je fais comme l'auteur) : Camus « n'est pas un vrai philosophe » ou « pour classes de terminales ») (heureux les terminales qui l'auraient eu comme prof), il  « est resté sur le bord du chemin » pendant que les autres « se mettaient les mains dans la boue » ou « dans le cambouis », Camus plane sur son petit nuage et donne des leçons de morale, mais nous, nous les gens de goche, on milite, camarade.
Il ne fallait pas « désespérer Billancourt », il fallait bien se rendre compte que dans les années 50, le communisme était le seul espoir des classes ouvrières (dont on feint à présent de croire qu'elles ont disparu) et il ne fallait pas dire « ces choses-là », il fallait « les mettre sous le COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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tapis » parce que cela donnerait des ailes à la droite et plomberait la lutte des sans grades, on ne disait pas encore les « sans dents », lutte éminemment sacrée, rédemptrice. Mais on ne met pas le goulag sous le tapis. L'Histoire et la Philosophie se contredisaient. Après coup, nous avons vu que ce n'était pas là une lutte entre la philosophie, la vraie, celle de gauche et communiste, contre l'idéologie fumeuse et individualiste de « l'homme révolté » qui trépigne en faisant pipi dans ses couches, mais l'opposition entre l'absolu et la politique, thème des « Mains sales » en somme : Camus était un philosophe, et les sartriens des politiciens, qui pensaient améliorer la condition humaine pour amener l'humanité à la réflexion, alors que la condition humaine améliorée par l'augmentation du niveau de vie n'amène, hélas, qu'à la consommation du tourisme de masse et des burkinis fluo.
J'ai même entendu de mes propres oreilles un éminent socialiste réagir aux feuilletons antisémites pour enfants à la télévision égyptienne en déplorant qu'il n'y ait pas assez de télévisions dans le pays, car s'il y en avait eu plus, et que le niveau de vie des Égyptiens se fût élevé n'est-ce pas, les émissions antisémites auraient disparu d'elles-mêmes n'est-ce pas. Pour moi, désolé, le problème n'est pas le niveau de vie mais l'antisémitisme, qui atteint tous les niveaux de vie. Revenons au second point soulevé par Jeanson lui-même : ce dernier s'inscrit non pas dans la théorisation, mais dans le concret : le moment n'était pas de dresser un tableau véridique du communisme soviétique, ni de démobiliser la classe ouvrière.
Pour l'Algérie, rappelons tout de même que le déclic fut provoqué par un tas de cadavres sur une place de Sétif, où gisait la preuve que l'on en avait tué « mille pour un ». Mille Arabes pour un Français, lors des émeutes en 1945 : les Arabes voulaient la nationalité française et le droit de vote, on leur avait envoyé la troupe, et puis la troupe avait tiré. Pour Jeanson, et pour d'autres, la vraie France, c'était celle des Droits de l'homme et non celle de la torture et du massacre. Donc, ayons l'excellente idée de financer le FLN. Qui massacra les harkis. Et suscita ou laissa faire, dans les années 90, les massacreurs du Front Islamique du Salut, alias le FIS. Mais voyez-vous, si l'on se met à réfléchir à tout ce qui pourrait se passer de mal si l'on faisait ceci ou si l'on faisait cela, qui accomplirait quoi que ce soit ?
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Dans les engagements que l'on prend, ce n'est pas seulement la délibération qui compte, « j'y vas-t-y j'y vas-t-y pas », mais un élan qui se déclenche. On agit par générosité spontanée, en voyant l'exaltante difficulté de la chose. Sur le moment, dans l'instant, on s'engage. Si l'on prend du recul, alors oui, l'on devient un philosophe, un hésitant, un Camus, qui mélangeait la philosophie et la littérature, de même que Jeanson mélangea la philosophie et l'action politique, une fois de plus. La philosophie est-elle compatible avec l'action publique, ou avec la réforme de soi-même ? À proposer aux candidats du prochain bac. Nous parlerons peu des activités culturelles et transmissives de savoir et d'art auprès des citoyens de base, parce que ce n'est pas pittoresque.
Nous sommes tombés en effet de la métaphysique de l'absurde à l'activisme politique de Sartre et des membres du FLN, nous nous perdrions, encore un peu, dans les marécages caritatifs d'Emmaüs. Autre façon de présenter les choses : Francis Jeanson, refusant les spéculations qui ne s'accompagnent pas d'une action concrète, s'est dévoué à la cause humaniste sous ses trois aspects, métaphysique, activiste et pédagogiste. Et sa personnalité propre a séduit des amis, et des femmes : rien de ce qui est humain ne lui fut étranger. Comme nous en avons trop peu dit, passons au texte, pour quelques compléments et desserts : Christiane, épouse de Jeanson, pas effacée du tout, puisqu'elle refuse de réduire le rôle de Jeanson à celui de « journaliste », car il était bien plus que cela, lui laisse la parole quand c'est à lui de parler. Texte à trois voix :
« Suit un long silence. Nous ne commenterons pas les mots de Christiane. Comme si, dès qu'il s'agissait de Sartre, c'était à son mari de parler. Et c'est ce qui se passe. Comme d'habitude, Francis Jeanson hésite sur les premiers mots :
« C'est beaucoup plus un… approfondissement après coup de sa relation à Camus qui a donné ça. » Péguy approfondit son socialisme en passant au christianisme, Sartre approfondit son communisme en dézinguant l'esprit anticommuniste de Camus, ,disons antitotalitariste, sans s'apercevoir qu'il remplace un totalitarisme mou des bourgeois par un totalitarisme directement meurtrier dit « de goche ».
  1. « À mon avis leur relation était davantage une relation d'intellectuels parisiens. Avec COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »BLANCHARD « LES VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 87


  2. des connotations intéressantes de part et d'autre, évidemment. Ce sont deux cas spéciaux. D'intellectuels parisiens quand même. Ça n'était pas de l'amitié. Je pense d'ailleurs que Sartre n'a pas eu des amitiés. » Je n'aime pas quand on daube sur les « intellectuels parisiens ». On dirait que c'est une insulte. Jeanson après tout n'en était-il pas un lui aussi. « Il a eu des affections très proches, des amours, des affections puis des ...relations. Moi, quand on me pose des questions, je réponds que non, jamais, jamais je n'ai été ami de Sartre. Il avait un premier cercle qui était le cercle « de famille », comme on peut dire la « famille sartrienne ». J'aurais pu, compte tenu du nombre de fois où l'on se voyait avec Sartre – c'était quotidiennement pendant un certain nombre d'années – j'aurais pu être l'ami de Sartre… Mais non, non, non, je crois que ça n'avait pas lieu ». Pourtant on faisait la queue à la porte de son bureau pour lui serrer la main.
    1. Jeanson l'a rencontré pour la première fois de cette façon, en 18e position dans la file d'attente.
      - Ses amitiés étaient féminines, dit Christiane Jeanson
    2. - Absolument, reprend son mari. D'ailleurs, il s'en est expliqué à diverses reprises. Il est de ceux – j'en suis moi-même – qui disent qu'ils s'ennuient quand il n'y a que des hommes. Les groupes exclusivement masculins me fatiguent.
    3. - Parce que vous êtres un séducteur, monsieur Jeanson.
    4. - Mais ce sont les femmes qui me séduisent ! » Eh bien ouf. Les discussions peuvent connaître des instants de détente, et les interlocuteurs s'expriment en très bon français, même s'il existe des reprises et longueurs. C'est tout à fait différent des « en fait », « cerise sur le gâteau » et autres « c'est vrai que » dont nous sommes atrocement obsédés d'habitude. Et il est exact que Jeanson plaisait aux femmes, par comme Mr Bean et moi-même.
    5. « Ça va ensemble. Pourtant Sartre se défendait d'être un séducteur.
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    2. - Fichtre, et pourtant il l'était ! Il l'était même d'autant plus…
    3. Là, je peux terminer la phrase de Jeanson :
    4. - ...qu'il le refusait. »
      1. Je prends cette incise comme une marque d'affection, grammaticale mais discrète. Il est vrai que le meilleur séducteur est celui qui dit : « Avec tous ces Don Juan qui vous tournent autour, vous devez vous faire importuner, tout de même... » Certains autres, rien qu'à montrer leur gueule, excitent les ricanements, les soupirs et les yeux au ciel. En plus, « on » leur dit qu'ils le font exprès. Reprenons :
      2. « - Et que sans doute il lui semblait devoir conjurer sa « laideur » naturelle. »
      3. Il me vient comme une envie de brouiller un peu, à ma façon, la figure du grand homme à défaut d'assurer une défense vigoureuse de Camus :
« Est-ce que Sartre n'a pas été un enfant gâté ? Et il faut bien m'entendre : autant, spontanément, je suis toujours en train de chercher des excuses à Camus, autant je suis toujours en train de chercher des poux sur la tête de Sartre en me disant que ce n'est pas pour rien. Affectivement, je penche vers Camus, en me disant qu'il manque malgré tout quelque chose. Et je me dis aussi qu'on a de la chance de les avoir tous les deux. L'un donnant l'affectif ; l'autre donnant – comment appeler cela ? - l'exigence. » Blanchard intervient dans l'égalité, dans l'absence d'affrontement directe, mais aussi dans l'écornement d'image, comme il le reconnaît lui-même. Certains personnages des dialogues de Platon font de même en rapportant un dialogue où ils ont, eux aussi, participé. Nous avons ici un exemple de très bonne fusion entre les interlocuteurs.
Pour ce qui est de la rigueur, il me sera permis après tout d'intervenir moi aussi, une fois de plus : je croirai à cette rigueur que l'on m'imposa parfois le jour où j'observerai chez le prescripteur autant de rigueur qu'il en exige de moi. Or au lieu de cela je n'ai jusqu'ici trouvé que des zigotos qui prétendaient que pour eux « ce n'était pas la même chose », et que « je mélangeais tout » ben COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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voyons mon con. Mes interventions sont vraiment de bas étage. « Mais celui qui a déclenché les hostilités en premier [entre Sartre et Camus], c'est Breton... »
QUE VIENT FAIRE LÀ BRETON ?
Impression, là, à l'écoute, que d'introduire Breton dans « la polémique » irrite quelque peu Christiane Jeanson : « C'est merveilleux, les gens, quand ils viennent comme il vous apprennent des choses... »
Ce qui en clair peut signifier : ah ces gens qui viennent ici et qui veulent nous en remontrer, nous en apprendre à nous qui étions aux premières loges !
« Là, je sens bien que je viens de me faire remettre à ma place – de Trissotin, peut-être. Alors j'essaie d'expliquer, concernant l'irruption de Breton dans cette affaire : «Camus, je ne sais plus où, dans le bouquin, égratigne Lautréamont [que les surréalistes ont porté au pinacle.] Moi non plus je n'aime pas Lautréamont et pas davantage Breton, d'ailleurs. »
- Je ne vois pas très bien comment ça a pu déclencher quelque chose entre Sartre et Camus... », lance Francis Jeanson qu'on ne lance pas comme ça sur des chemins de traverse.
« Me voilà bien empêtré, et les Jeanson doivent, tout comme moi, se demander comment je vais m'en sortir.
« Je remets le magnéto en marche sur écoute, curieux de ce que j'ai pu raconter : « Il semble qu'avant le papier que vous avez écrit, Francis, Breton en a fait un, dans je ne sais plus quelle revue... »
- C'est intéressant ça, concède Christiane Jeanson tout à coup. »
Ces incidents égaient le parcours, très véridiques, sans oublier le décalage supplémentaire apporté par le narrateur du présent, qui remet « le magnéto en marche ». Pour Breton, évidemment, c'est le Francis Heaulme de service, toujours sur les lieux du crime à point nommé pour disculper un gros COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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gros suspect lorrain.
« Avec une gentille ironie ?
« Son mari, lui, ne lâche pas le morceau : «Mais ça ne regardait pas Les Temps Modernes. »
Où diable avais-je été chercher ça ? »
Mais, aux Éditions Ovadia, collection des « Carrefours d'Ariane », collection dirigée par Robert REDEKER.
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Fédorovski, bien connu des amateurs de mystères à deux balles (Les espionnes, La Grande Catherine) aux éditions monégasques du Rocher ou d'ailleurs, nous a déjà délectés avec son Raspoutine en 2011, ce qui confirme De Raspoutine à Poutine en 2001, et qui annonce Poutine, l'itinéraire secret, en 2014 : quel rythme haletant ! L'auteur, né en 1950, naturalisé français capable d'écrire dans notre langue, se voit fréquemment consulter pour sa connaissance des intrigues tsaristes, soviétiques et russes contemporaines. Il s'adresse au grand public, et de fait, ses livres sont aussi faciles à suivre que des articles de Paris-Match à sa meilleure forme. Poutine vient d'une racine évoquant les voyages, nous dirons, donc «le Voyageur » (Medevedev, c'est plutôt « l'Ours »). Raspoutine, c'est plus compliqué : peut-être de « raspoutitsa », « la saison des mauvaises routes », quand les chemins débordent de bouillasse, ce qui lui convenait très bien.
Toujours est-il qu'un certain jour de fin 1999, Eltsine le Bouffi, celui qu'on surnommait le Batelier de la Vodka (excellent!) déclara que ce serait Poutine, le successeur, qui ferait mieux que lui entre deux cuites, vu qu'il était tombé à 1 % de popularité. Et d'un seul coup d'un seul, voici que cet homme de l'ombre, Poutine, tout droit issu du KGB ou service d'espionnage soviétique, se met à grimper à 70 % dans les mêmes sondages, faits par des Russes, garantie n'est-ce pas leur totale exactitude. A chtobüi, pourquoi ? Pour avoir éliminé un concurrent, Boris Berezovski, aussi pourri que les autres ; pour avoir joué du menton après une série d'attentats en 98/99 (des centaines de morts, attribués sans preuve aux Tchétchènes, à moins que le fait d'être musulmans ne constitue une preuve en quelque sorte ontologique), et pour avoir prononcé cette phrase historique, « nous allons les buter jusque dans les chiottes ».
Phrase qu'il avait d'ailleurs plusieurs fois expérimentée en privé, à la grande hilarité des dits privés, puis lancée sur le marché. Et ça fonctionne : des discours aussi creux qu'enflammés, un surf effréné sur les peurs, une absence de recours au vote (vous n'y pensez pas ! d'ailleurs ils seraient aussi crédibles qu'en… je l'ai sur le bout de la langue, disons Clitoridie) – bref, rien de tel qu'une bonne nomination, une passation de pouvoir, une succession tsariste non par filiation mais par adoubement à titre personnel. Bien des gens nous vont disant que notre France aurait bien besoin d'un mec à poigne, pour gouverner à coups de pied dans le cul, ce qui remettrait les pendules à leur COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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place comme dirait Johnny, lequel n'éprouve aucune sympathie à l'égard de notre Vladimir (tiens, v'là Dimir!) - pour Depardieu, joker. Nous ne disons pas que la France en soit venue à ce point. Car s'en remettre à un Poutine, ce serait abandonner toute notion de bien public ou d'honnêteté financière, intellectuelle ou politique. Ce qui frappe à la lecture de cet ouvrage, c'est d'abord l'éparpillement : trois pages sur la vie privée, trois pages sur l'accession au pouvoir, trois pages sur l'élimination de celui-ci ou de celle-là (une journaliste, quelle surprise !), un sautillement permanent d'un sujet à l'autre, alors que chacun d'entre eux creuse un abîme insondable, au creux duquel Poutine remue ses mandibules de fourmi-lion.
Le fourmillement se poursuit par une foule de personnages aux noms forcément exotiques, tous amoureux du fric et du pognon, changeant de conviction au gré de leurs propres intérêts, faisant des volte-faces aussi fréquemment que Staline, qui collait au mur tous ceux qui n'avaient pas su pressentir ses brutaux coups de barre. Ce ne sont que des coups tordus, et à la fin, c'est Poutine qui gagne, avec des discours, des attitudes, des images publicitaires (à cheval torse nu sur la frontière mongole, les jeunes filles adorent). Berlusconi est un amateur. Macron un petit garçon, même s'il promet. Nous finissons par lire tout cela d'un derrière discret, en sachant que tôt ou tard, au détour d'une page, va paraître un fantoche utile qui sera balayé cinq paragraphes plus tard.
La série du « Seigneur des Anneaux » et autres « Harry Potter » ne procède pas autrement : oh, un obstacle ! Paf, en l'air, l'obstacle. Oh ! Un nouvel obstacle ! Vladimirdabaoum, l'obstacle. Oh ! Un troisième obstacle ! Klapaklonk, etc. Peut-être la saga de Poutine s'accorde-t-elle parfaitement au genre d'attention passionnée de nos générations nourries de jeux vidéo, quoique j'ignore le taux de pénétration desdits jeux en Russie, je reviens tout de suite. Ou bien sans doute l'histoire de Poutine, comme bien d'autres résistibles ascensions, est-elle un résultat prévisible de tout un réseau de magouilles mêlant mafia, gros pèze et criminalité de façon aussi imprévisible et prévisible que partout ailleurs.
Et méfions-nous des raisonnements qui voudraient nous faire croire qu'il existerait des formes de gouvernements propres à tels ou tels pays, genre Hippolyte Taine ou Charles-Louis de COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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Montesquieu, avec leurs théories des climats : les Anglais seraient ceci, les Noirs cela, les Arabes, dans le même panier allez donc, juste capables d'obéir à des bonnes dictatures (on dit aussi une bonne guerre). Ce livre, Poutine, l'itinéraire secret, nous rappelle avec insistance « les nombreuses zones d'ombre », mais ne prétend pas nous les éclaircir, ou ne peut pas nous les éclaircir, ou ne tient pas à nous les éclaircir, afin que leur auteur ne tombe pas sous un coup de poignard, de revolver, ou de salière à poison comme en 2006 à Londres suivez mon regard attention je louche. Poutine là-dedans sera indéchiffrable, fourchu trois et quatre fois, corruptible combattant la corruption de l'intérieur, redressant la Russie à grands coups de bluff, mais insufflant à son peuple ou ce qu'il en reste des idées de grandeur et des discours publicitaires. Le meilleur moyen de lutter contre les massacres terroristes est-il de massacrer les terroristes, on en discute dans les salons, dans les chaumières et jusque sur les places publiques. Avant de dire des conneries (trop tard!) nous soumettrons à vos sagacités sinon à vos salacités quelques pages soigneusement choisies au hasard, qui vous permettront d'effleurer quelques secrets, dont quelques-uns sans doute de Polichinelle : adoncques, braves gens, l'auteur nous présente son personnage, admiré malgré tout, dans le sillage d'Ivan le Terrible, de Boris Goudounov et d'Alexandre Ier, le vainqueur de cet autre grand démocrate Napoléon le Grand, on arrête de ricaner dans le fond :
« À l'instar de ces grand monarques, Poutine veut ressusciter l'ancienne puissance. Ces références démontent les ressorts secrets du personnage et nous expliquent à quoi, avec lui, les Occidentaux devront s'attendre. Le nouveau maître du Kremlin a surpassé, dans l'art politique, aussi bien Gorbatchev et son ambiguïté qu'Eltsine et son intuition. Il est le seul, dans l'histoire de la Russie, en étant totalement inconnu au départ, à avoir su s'imposer par la télévision et par ses capacités d'utiliser ce que Braudel appelait le « code mental du pays » !
Briser les ennemis
L'affaire Berezovski, nous l'avons vu, a été emblématique de la construction du système Poutine, dans la mesure où elle a instauré la règle suivante : si vous suivez mon jeu, je peux vous laisser des avantages non négligeables, mais dans le cas contraire, vous êtes foutu ! » - « qui n'est COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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pas avec moi est contre moi », air connu, je ne vois pas ce qu'il y a là d'extraordinaire. Pour rappel, Braudel est un grand historien qui a révolutionné la conception de l'Histoire, justement. Il ne juge pas. Poursuivons notre lecture : « Dans la seconde hypothèse, soit on était comme par hasard liquidé – les assassinats d'hommes d'affaires étaient alors nombreux – soit on était mis à la porte, comme l'a été Berezovski qui, rappelons-le, a finalement été retrouvé « suicidé » dans sa villa londonienne. Cependant, la plupart des hommes d'affaires étaient prêts à « tout comprendre » et à faire tout de suite allégeance au « nouveau tzar » en cédant une partie de leur fortune pour conserver le reste. Contraints de mettre un genou à terre, les oligarques ont perdu en termes d'influence politique et de pouvoir économique, mais ont été préservés. Rares sont ceux, parmi les personnages aujourd'hui installés en Espagne, à avoir tenté, à l'instar de Berezovski, de se dresser contre Poutine.
« Un seul a voulu lui tenir tête jusqu'au bout : Mikhaïl Khodorkovski, ancien P-DG de la compagnie pétrolière Ioukos et première fortune de Russie. » Notons pour les petits naïfs que les opposants à Poutine, les vivants comme les morts, ne sont ou n'étaient pas pour autant de purs supports de la démocratie ou de l'élévation du niveau de vie. Ils l'ont sans doute proclamé, mais juste pour les besoins de la cause. Nous désespérerons de la nature humaine une autre fois, pour l'instant, nous continuons comme ceci : « Il est incarcéré depuis 2004 pour « vol par escroquerie à grande échelle » et «évasion fiscale » , accusations que bien évidemment il réfute. « L'homme le plus riche de Russie avait fait fortune dans la pétrochimie, laquelle représente peut-être la clé de l'avenir du pays. Conscient de sa qualité de pétrolier le plus important de Russie, il a essayé d'entrer en politique – ou en tout cas de mener son propre jeu, de façon tout à fait indépendante – en misant sur les tracés des oléoducs non pas vers la Chine, mais vers les États-Unis, et en créant une sorte de lobbying au sein du Parlement russe pour qu'il vote les lois qui lui étaient les plus favorables. » Rien de nouveau sous le soleil, d'un pôle à l'autre. « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu », c'est dans l'Évangile Cécile.
Reprenons : « Poutine a alors cassé son ascension.
« Pour autant, la vie est longue et les aléas de la politique fort imprévus. L'Histoire COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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prouve que la meilleure façon de faire une carrière politique en Russie est de passer par la prison : ce fut le cas autrefois pour un certain Staline…
«Que reprochait-on à Khodorkovski ? D'avoir voulu tenir tête au système Poutine – une entité tout à fait homogène, verrouillée, où une trentaine de personnes appartenant soit aux services secrets soit au cercle de Saint-Pétersbourg se partagent l'ensemble des matières premières du pays. » - pourquoi, c'est différent ailleurs ? Ô grand âge, que tu me joues de tours… Pour la case prison, ça, c'était avant : ni Brejnev, ni Andropov, ni Gorbatchev, que je sache, n'ont tâté de la taule. « Il faut être conscient de cette nouvelle donne : Poutine en a fini avec les tentatives de décentralisation prônées d'abord par Gorbatchev, ensuite par Eltsine. Globalement, il se resitue dans la ligne d'Andropov et de la Chine.
« Il a rétabli l'autorité de l'État, arguant que sa destruction avait conduit au chaos, et instauré un système oligarchique avec une fausse opposition parlementaire qui ne compte que d'anciens membres du KGB ou des communistes complaisants à son égard. Le clan pro-occidental, quant à lui, a été proprement éliminé du Parlement.
Le système Poutine
S'il est indéniable que Poutine est revenu à Andropov, lequel demeure son grand modèle, il est aussi revenu à Brejnev. » Précisons, grâce à Wikipédia, qui est mauvais, puisque Américain : Andropov n'est resté que 15 mois au pouvoir, après la mort de Brejnev. Il était malade, et mourut en février 1984, ayant pour successeur Timochenko, très très conservateur. Andropov lutta contre la corruption et n'hésita pas à internet en hôpital psychiatrique ses opposants. Réjouissante perspective n'est-ce pas ? Ha ha, les petits rigolos qui s'imaginent qu'en changeant de gouvernement, tout va se transformer tout de suite ! Tiens, si pourtant, en Italie, quelque chose vient de changer…
Mais silence ! reprenons :
« Le système de l'URSS brejnévienne des années 1970 reposait en effet sur une centralisation très forte et apparente du pouvoir, assortie d'une stricte hiérarchisation, ce qui lui donnait une certaine solidité, appuyée sur une puissante coalition. Au sein de la direction et à tous
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FÉDOROVSKI « POUTINE, L'ITINÉRAIRE SECRET » 64 08 22 96






les niveaux de responsabilité, on trouvait des hommes qui n'étaient pas censés penser de la même façon. C'est particulièrement vrai aujourd'hui, puisque, par exemple, le ministère des Finances est longtemps resté aux mains des libéraux – autoritaires, sans doute, mais tout de même libéraux.
« De même, alors que Poutine est clairement le patron, Dmitri Medvedev a néanmoins utilisé sa fonction de président, entre 2009 et 2012, pour faire prévaloir des idées s'apparentant plutôt au courant libéral (à l'époque, Poutine est évidemment resté le personnage clé, même si formellement il occupait le poste de Premier ministre). On peut constater, par ailleurs, que le discours du ministère des Finances ne correspond pas exactement à celui du lobby pétrolier. » Rappel : ceux qui sont libéraux observent en partie les lois du marché occidental Ce qui ne veut pas dire qu'ils laissent les gens libres à l'intérieur. La note 1 précise, à propos du lobby pétrolier :
« De la sociéré Rosneft ». « Il est indiscutable que le premier vive-Premier-Ministre – Igor Chouvalov – s'est exprimé durement en comparant l'économie de la Russie à celle des Émirats et en dénonçant le fait qu'elle était entièrement engagée sur la rente pétrolière, conformément à une thématique qu'aurait développée l'opposition libérale, pour peu qu'on l'ait laissée exister. Ainsi se perpétue, à l'intérieur de ce pouvoir, bien que de manière plus soumise, le vrai débat d'idées qui a toujours subsisté en Russie quand il n'a pas été supprimé par la terreur ! » Rassurez-vous bonnes gens, il y a encore du pétrole sous l'Arctique et sous l'Antarctique, de quoi bousiller la planète pour deux siècles !
Vonsuipour : « Cependant, globalement, Poutine a instauré un système homogène qui n'est pas sans rappeler le système Brejnev, avec les colombes et les faucons pour la galerie, autrement dit les Occidentaux. Sous Poutine, il s'agit d'une sorte de façade où les rôles sont distribués comme ils l'étaient autrefois au sein du bureau politique : on vous nomme colombe et vous jouerez la colombe, mais demain, si l'on vous nomme faucon, vous serez faucon !




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« Dans le système Poutine, le personnage du «libéral » a donc été attribué à « son collaborateur direct » de l'époque, Medvedev,dont l'aspect et le discours sont assez policés et qui joue merveilleusement son rôle. D'où la prétendue rivalité, à vrai dire purement légendaire, censée opposer les deux hommes. C'est un système de verrouillage politique, de verrouillage clanique, qui n'empêche pas que s'exerce une certaine surenchère dans l'entourage de Poutine quant au partage du gâteau.
« Cela étant, quand on étudie de près le processus décisionnel, il est clair qu'il relève exclusivement de Poutine et que tout dérapage contraire à ses intérêts est corrigé sur-le-champ ». De même, braves gens, j'ai entendu dire (mais que n'ouït-on pas) que Jospin et Chirac s'étaient partagé les rôles, au sortir de l'ENA. Et comme rien n'empêche les choses de tourner selon leur cours naturel, en tant que vieux con, j'aime bien que tout change pour que rien ne change, pour parler comme dans Le Guépard. Vous apprendrez donc bien des choses que vous saviez déjà, mais sans avoir jamais voulu le demander. Poutine, l'itinéraire secret, aux éditions du Rocher, par Vladimir non pas Poutine mais Fédorovski.
Et par pitié, ignares de la chaine Euronews, cessez de nous infliger des Poutine orthographié à l'anglo-saxonne, P-u-t-i-n, ça pourrait donner aux jeunes filles des idées de stage. Bon, je sors.
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DERRIDA « LA PHARMACIE DE PLATON » 63 08 23 98






  1. Il me manquait un énergumène dans la longue liste de Mes auteurs : Derrida, auteur en 1968 d'un article dans Tel Quel. Dans ces années-là, nous faisions connaissance avec un certain Jean-Luc Eyquem, peu ou pas apparenté à Michel de Montaigne, chez qui j'essayai de comprendre les premiers paragraphes de (peut-être) L'écriture et la différence, avec un « e », où je découvris le mot « différance » qui est… ce qui diffère dans la différence. Ensuite, pour autant que j'aie pu l'entrapercevoir dans les pataugeages de l'approche, cela devient une notion floue, élastique, un peu comme Dieu, ou le « vide » chez Blanchot. Wikipédia, qui est mauvaise, puisque américaine, publie cet avertissement au début de son article « Derrida » : « L'article doit être débarrassé d'une partie de son jargon (mai 2017).
  2. Sa qualité peut être largement améliorée en utilisant un vocabulaire plus directement compréhensible ». Et toc. Parfaitement. Face au petit homme , au kleiner Mensch de Nietzsche, Derrida Soi-Même ne fait pas le poids. Il écrit, il glose, il cite à l'intérieur de sa glose, il renvoie à ses confrères, il change de sujet avant d'avoir trouvé la réponse, il atermoie, il sème de temps à autre un « donc » comme un cheveu sur la soupe, avec de temps en temps quelques jolies formules, sans aucune dialectique ni même aucun raisonnement logique visible.
Des éclairs dans la bouillie. Rien ne manque dans sa jungle référentielle, dans son obsession de n'oublier personne parmi tous ceux qui l'ont précédé, jaloux de leurs antériorités, de leurs droits d'auteurs de la pensée : hommage et délicatesse, mais aussi révérence et argument d'autorité. Telle élucubration est parue dans le numéro « juill. -déc. » 1969. « Bonjour, monsieur Juille-Déék ». Ça faisait branché, ça faisait « Révolution », ça fait ringard. Une préhistoire. Des concepts élastiques, destinés à l'exclusion de Tous-ceux-qui-ne-pensent-pas-comme-nous. Moi aussi je suis con. O.K. COLLIGNON LECTURES
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Mai je ne suis pas le seul. (Sanchal ; à explorer, en détail ; à étudier). « Autre confirmation » poursuit Jackie, imperturbable ( nous parcourons ce qui précède, sans parvenir à découvrir ce qui va ici se « confirmer « ; le raisonnement, comme chez Lacan, ou les mathématiciens, semble suivre des cheminements souterrains, ésotériques, où le moindre sous-entendu se décèle entre initiés). Peut-être sommes-nous tous ainsi, mais ne bouchons pas les narines aux poissons pour les noyer : « en 1969 paraissent les Œuvres de Mauss » (on se renseigne : « mort en 1950 », « père de l'anthropologie française »). « On peut y lire ceci :
« D'ailleurs, toutes ces idées sont à deux faces. » Oui : nous en sommes encore au « pharmaconn », qui est à la fois « poison » et «remède », car dans « remède », il y a « merde ». Dans « merde », il y a Erde, «la Terre ». Pour ne pas fermer les ouïes des poissons, bornons-noujs à ce qui est dit : « Dans d'autres langues européennes, c'est la notion de poison qui est incertaine. » Au point que « yad », qui signifie « la main » en hébreu (langue sémitique, mais il existe des passerelles…) veut dire, en russe, « le poison » - la main est ce qui donne le poison… « Kluge et les étymologistes » (c'est l'auteur d'un dictionnaire étymologique de la langue allemande) (mais bien postérieur à 1969, à moins qu'il ne s'agisse d'une dynastie ou d'une réédition) « ont le droit de comparer la série potio « poison » (« boisson » qui peut être aussi « potion ») et gift, gift) » - « le don » en anglais, de to give, en allemand « le poison », de geben, dans les deux cas, « ce qui se donne ».
Toute rencontre est l'art de neutraliser l'altérité, de transmuer l'agressivité en disposition communicative. « On peut encore lire avec intérêt la jolie discussion d'Aulu-Gelle « qui cite fort à propos Homère » (rassurons-nous : rien, dans notre culture, n'est antérieur) sur l'ambiguïté du grec pharmakon et du latin venenum ».
Stop.



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HORACE « ÉPITRES » 58 06 04 (64 08 29) 100






Me revoici plongé dans ce diffus, verbeux, pâteux Horace. Dont je me demande, moi qui manque de sel, insalsus, comment il a pu servir de référence et de maître des élégances. Ce petit gros. Il a parfois de sublimes bonheurs d'écriture, des digressions, des mots d'esprit parasites : moi en mieux... Lui-même pense qu'on l'estimera facile à imiter, mais qu'on s'en repentira si on l'essaye... Bien vu. Mais ses circonvolutions m'énervent. Étrange tâche – étrange illusion d'optique – chacun me semble moi. Je l'inviterai dit Horace à reporter ses regards, en imitateur averti, sur le modèle original de la vie et des caractères et à tirer de là un langage vivant. Excellent conseil pour un réaliste, dont l'art est d'imiter, de reproduire.
Mais ne faut-il pas aimer l'humain, le monde extérieur et le monde intérieur pour acquiescer à un tel dessein ? les autres si ternes à mazout, si dévalorisés surtout par leur mort prochaine, que rien ne vaut la peine de les distraire ! Contemplons la mort et le vide dont nous sommes faits, et noyons-nous là-dedans. Mais imiter les humains, extraire leur suc subtil afin de les aider par le miroir qu'on leur tend, est-ce là un but si élevé ? Ne devons-nous pas tous, tant que nous sommes, nous préparer à la mort ? ...À présent je regrimpe à la page de droite, qui reprend en latin le texte précédent : O ego laevus, « combien j'ai tort de me purger la bile au printemps ! » Braves Romains qui vous faisiez ainsi dégorger...
Brave Horace ironisant sur son propre sort. Tes allusions se perdent dans le gouffre. Et pourquoi te purges-tu, Horace ? De notre côté, le sommeil où nous végétons (ou sa menace) est-il l'indice de l'inspiration, pour nous prendre ainsi à chaque exercice écrit, en particulier sur toi ? Non alius faceret meliora poemata - « nul ne ferait de meilleurs poèmes ; en réalité, poursuit Horace, rien n'a plus de prix » - coup d'œil de vérification : « cela ne vaut pas le prix que j'y mettrais ». Trois mots latins, si denses qu'on s'y perd ; la mort et la torpeur sont-elles de bonnes solutions ? Ergo fingar vice cotis - allusion donc aux pierres à aiguiser, qui ne peuvent elles-mêmes couper ; aux critiques, incapables d'écrire.
Nous sommes passés par les vagues, retenus, enlacés de mille nœuds, au point de ne plus pouvoir mouvoir « ni pied ni patte ». Horace navigue d'allusions fines en allusions si fines que lui seul les comprend, et rit. Horace est loin, il l'a toujours été. Be be bous bous, je naye, je naye : peut-on être critique et prescripteur, sans être poète soi-même ? « Un bon peintre ne doit réfléchir COLLIGNON LECTURES LUMIÈRES, LUMIÈRES
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que les brosses à la main » Nous voyons mal Horace dans ce rôle de pion de jury. Scribendi recte sapere est - « pour bien écrire, il faut du bon sens » « le bon sens » ! Cette chiotte ! Cette épouvante ! Qui te donne toujours tort ! Qui te ramène à coups de pied au cul à l'essentiel, Mourir, Dormir – sentir son cerveau, en dépit des révoltes, se pétrifier...

Et je suis de nouveau attelé à cet horrible Horace, petit gros qui adorait se faire enculer en baisant une femme, chacun ses goûts. Eh bien je n'ai guère avancé depuis près de deux ans : toujours ahanant sur cette « Epître aux Pisons », mais ayant enfin compris une chose : le charme d'Horace (car il en est qui lui trouvent du charme) consiste à changer apparemment de sujet, badinant, à la Montaigne mais plus condensé, Montaigne filant le filandreux. Il me semblait en effet suspect, pour mon jugement, de ressentir la subtilité du vers, sans en suivre les méandres sémantiques : Horace a le sens de la formule qui se retient bien, du slogan. Il déroule ses nonchalances, de brillance en brillance, puis vous assène une formule qui fera date à travers les siècles : quandoque bonus dormitat Homerus, parfois notre bon Homère sommeille... « Pour moi », ce serait une honte d'être laissé en arrière et d'avouer que véritablement je ne sais point ce que je n'ai pas appris » : excellent exemple de phrase entortillée qui ne veut pas dire grand-chose.
La poésie, dès qu'elle s'éloigne des sommets, plonge dans l'abîme, dit-il en substance plus haut. Tout chacun « se mêle d'écrire », sans avoir appris. Relire l'admirable poème de Rainer-Maria Rilke pour tout ce qu'il faut avoir emmagasiné, digéré, oublié d'avoir assimilé, avant de trouver le premier mot d'un poème. « Je me suis appliqué. Quiconque se sera aussi longtemps appliqué fera aussi bien que moi », disait de son côté J.S. Bach. Jamais je n'ai voulu m'efforcer à fond, crainte de
me perdre; et je me suis perdu peut-être - « Galilée, ce grand homme, foula du pied les pays inconnus de la science, tndis que de l'autre il saluait l'aurore d'une ère nouvelle ». « Ne te soucie pas de ce que font les autres, fais ce que dois, advienne que pourra. » Je brode aussi. Anch'io Horazio. Je me souviens de ce poète en vers latins, trônant dans sa cuisine un dimanche en costume, tandis que sans relâche j'effectuais quatorze aller-retour aux toilettes.
Quatorze. Je me souviens de Montaigne farcissant de latin ses pages, et ses pages. Je me souviens de ces évêques et cardinaux se précipitant sur leurs écouteurs à traduction simultanée pour les discours latins de Sa Sainteté. Et notre Horace, par la bouche de son traducteur (ici François Villeneuve) de nous confier : « Comme le crieur qui fait accourir la foule autour des marchandises à COLLIGNON LECTURES LUMIÈRES, LUMIÈRES
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vendre, le poète invite les flatteurs à venir au gain quand il est riche en terres, riche en écus placés à intérêt. » Veux-tu dire, ô changeur de sujet, ainsi ex abrupto, qu'un richissime fera toujours de bons vers, fussent-ils exécrables ? tu dois de nos jours substituer aux riches les piliers de médias : car la gloire a plus cours que l'argent...
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Mais peut-être ai-je « raté » quelque chose ? Je me débats aujourd'hui avec l'index des noms, et parviens à Enipeus, traduit par « Enipée » dans l'édition Flammarion : « Pour toi, garde-toi d'aimer plus qu'il ne faut ton voisin Enipée : sans doute, personne au Champ de Mars n'est plus habile à dresser un cheval : personne ne descend plus vite, à la nage, le lit du fleuve Toscan ». C'est le Tibre. Que signifie bien ceci ? Cette touche de malice, d'homme à homme ? Cet Enipée est-il libre ? Peut-on l'enculer ? Ou s'agit-il seulement d'une amitié, de tête, qui peut faire perdre la tête ? Les sentiments amicaux étaient bien plus fort en ces temps-là qu'aujourd'hui. Celle-ci repose sur une admiration sportive, donc physique : jusqu'où ?
Est-ce le sujet ? Ne peut-on admirer un sportif sans aussitôt le désirer ? Tout s'éclaire en lisant la suite : « Dès que la nuit tombe, ferme ta porte ; ne regarde pas dans la rue pour y écouter les airs de la flûte plaintive ; et, même si Enipée te traite plusieurs fois de cruelle, reste inflexible. »
Ces adjectifs sont au féminin. Horace est indulgent. Il sait bien que la jeune femme sera tentée. Il existait aussi à Rome des amours hétérosexuelles. « Ennius » figure ensuite à l'index nominum. Reportons nous in vitessa au vers 54 de la Satire 10, livre I. La traduction de François Richard nous servira de base. Pourléchons-nous, et voyons : « Ne sourit-il pas de certains vers d'Ennius, inférieurs en gravité, sans songer, quand il parle de lui-même, à se mettre au-dessus de ceux qu'il blâme ? » Ennius est le premier auteur latin digne de Cenon, après le traducteur Naevius ; notre bon maître M. Rouyère (requiescat in pace) nous avait cité, en sixième, tuba taratantara dicit, « taratata, dit la trompette », comme exemple des lourdauderies d'Ennius.
Et futurs premiers communiants de pouffer. Horace, quant à lui, sourit, une fois de plus, de l'éternelle histoire de la paille et de la poutre. Il n'est pas féroce à la Martial, il bonhomise avec indulgence.
Les Romains se piquaient de littérature ; « et tout le monde se mêle d'écrire » lit-on déjà en cunéiformes. Citez-moi, par exemple, un critique exaspéré par les perpétuels changements de sujets d'un Horace ; voyez ensuite combien ce même critique papillonne lui-même dans ses écrits d'un COLLIGNON LECTURES LUMIÈRES, LUMIÈRES
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thème à l'autre, au point que ses pages ressemblent à une patience québécoise ? Gagné, c'est moi. « En lisant ses vers, nous pouvons rechercher s'il doit à sa nature ou à la difficulté du sujet de n'avoir pas fait des vers plus élégants et plus achevés que ces hexamètres, qu'il se contentait de mettre sur pied, prenant plaisir à en écrire deux cents avant dîner et autant après ? » C'est mignon. Horace écrivait bien, très subtilement, il est difficile de le lire dans le texte. Il a produit abondamment, mais dans la qualité. Cela ne s'obtient pas sans travail assidu. Le poète ici visé, sans doute reconnu par les autres, ne polit pas ses vers, les jette en vrac sans respect du lecteur. Peut-être qu'il n'y peut rien, qu'il est « comme ça », par nature. Mais alors, qu'il se connaisse, et change d'activité. Ou bien, qu'il corrige sa nature. Horace affronte bien la sienne, toute de laisser-aller je suppose. Cantat la difficulté d'un sujet, nous en doutons.
Tous les sujets, voyez-vous, sont difficiles. Ce sera là l'excuse du mauvais poète. Il ne reste plus que le reproche du mauvais travail. Noter aussi que le scrupule excessif et le polissage passant la mesure confère aux productions littéraires une obscurité galimatiesque peu recommandable non plus. Mais « Cassius, à l'inspiration plus bouillonnante qu'un fleuve rapide, qui périt, dit-on, brûlé par ses coffrets et ses livres », s'était montré plus abondant que raffiné : son fleuve fut un Phlégéton, et sa fin le réduisit en cendres avant même le bûcher ; son torrent même ne servit de rien. Qui est ce Cassius ? « Cassius l'Etrusque », identité véritable, qui est tout ce qui reste. Il ne périt pas dans un incendie, mais il l'aurait pu : ses œuvres, nous dit la note, auraient suffi à sa crémation.
Mécène, favori d'Auguste, était d'Étrurie : ne s'agit-il pas d'un ami d'ami, qui s'imagine que le talent possède, automatiquement, une patrie ? Mécène finança Virgile, Properce et Horace. Mais il était permis de citer, nommément, ses amis versificateurs. Lucilius . 'ancêtre des satiriques. Il était encore bien rudimentaire, Horace devint insurpassable. Mais il respecte les fondateurs : l'épique Ennius est de ceux-là. Nous apprenons enfin que les poètes plus anciens constituèrent une foule : tous engloutis... Ceci nous rappelle, en l'an de grâce 2064 n.s., les développements charmants et explicites du n°XVI du n°XVII, sur la vie décontractée, sur l'art de ne rien foutre appelé l' « otium », dont le contraire est le « négoce ».
Nous ne devons chercher ni la gloire, ni l'argent, mais le contentement de soi par la vertu, par l'observation de ses études, de ses vers, de ses actions, dont nous devons sans cesse être les appréciateurs uniques. Ne jamais demander son avis à la foule, qui honore et déshonore à quelques heures d'intervalle ; offre et reprend ses suffrages, sans tenir compte le moins du monde des valeurs COLLIGNON LECTURES LUMIÈRES, LUMIÈRES
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réelles. Tout un art de vivre, à l'opposé du nôtre, qui prétend que c'est aux autres de conduire notre vie, lui donner son sens et lui chier dessus. Tous comédiens, tous clowns, tous célèbres, l'autre, vous dis-je, l'autre, l'autre.
Donnons notre argent à l'autre, nos clowneries à l'autre, nos pensées à l'autre, notre logement à l'autre, notre mari à l'autre. Tous histrions, tous modèles de générosité, tous abbés Pierre, tous Coluche. Mais bande de cons, si on s'oublie, qu'est-ce qu'il nous reste à donner ? Notre vide ? Notre misère ? Notre abaissement crasseux ? Mieux vaut être « sage par ses propres conseils », et « régler nos rapports avec les grands » et les petites gens, car nous sommes à la fois les uns et les autres. N'écoutons que nos vrais amis, qui d'ailleurs n'y connaissent pas plus que nous. Écoutons les conseils de l'aveugle qui « prétend montrer aux autres le chemin ». Mais un aveugle à la fois, pas une foule qui défile avec des pancartes.
Horace, répète encore que tout le monde peut donner un excellent avis, mais qu'il faut choisir l'homme, qu'il faut choisir tel ou tel avis de tel homme, et non pas acheter « Comment devenir intelligent en dix leçons », 50 000 exemplaires vendus. Fuis la foule, répète-le, Horace, répète-le comme le répétera plus tard Sénèque. « Il n'a pas vécu malheureux, celui dont la naissance et la mort sont passés inaperçus ». « Eh quoi ? dira Montaigne. Avez-vous pas vécu ? » Si, mon Prince. Fuyez comme la peste celui qui veut parler au nom du peuple, au nom de la justice, au nom de la liberté, au nom de quoi que ce soit de collectif. « Tous ensemble, tous ensemble », beurk, beurk. Selon Horace. Selon Thatcher. Et rapproche-toi de celui qui est riche, de l'écrivain riche, du présentateur de la télé – riche, et non pas du bénévole de la Clé des Ondes. Horace et les Latins sont aux antipodes de la pensée moderne, et voilà pourquoi tout le monde a voulu détruire leur langue.
Il était une fois deux sages, Aristippe et Diogène. Aristippe mangeait bien, chez les riches. Diogène mangeait peu, chez les pauvres. S'il cesse de bien manger, il s'en fout, il s'adapte. Mais Diogène, s'il devient riche, ne voudra jamais redevenir pauvre. C'est déjà l'histoire d'Alceste et de Philinte. Diogène « mourra de froid si tu ne lui rends pas sa guenille. Rends-la lui, et laisse vivre ce lourdaud ». Bizarre : il ne faut obéir à l'opinion de personne, mais il faut, par la vertu, devenir célèbre. Horace, nous avons voulu te laisser une chance. Tu as voulu prêcher les deux choses à la fois ; rester à sa place, dans la vertu.
Puis, s'élever grâce à sa vertu, en flattant ceux qui ont de l'argent et de l'influence. Je ne comprends toujours pas. Sauf si nous comprenons, enfin et une fois de plus, que la grande affaire de la vie est de se démerder, de s'adapter, que l'on monte, que l'on descende, que l'on stagne, et d'être en accord avant tout avec soi-même et sa propre éthique. Y a qu'à, faut qu'on, vrai con, demerdieren, Tschüss.

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