Shan-Sa impératrice, et la suite
SHAN
SA « IMPÉRATRICE » 64 06 28 38
Notez
que nulle part nous n'avons décelé d'anachronisme, que ces mémoires
ont été imaginés dans le ton et dans la pensée du siècle et du
rang social. Ce n'est pas là un mince compliment ; « Par-delà
le sceau de l'Impératrice Suprême, il y avait le sceptre d'une
grande prêtresse qui incarnait la Justice Divine.
« L'an
quatrième de l'Ère des Bras Baissés et des Mains Jointes, je
chargeai un religieux, le maître des moines, Scribe de Loyauté,
d'abattre le grand palais des réceptions, situé à l'entrée de la
Cité Interdite, et d'élever sur ses ruines le temple de la Clarté
qui abriterait le sanctuaire sacré. Projet avorté au temps de mon
époux, il serait mon chef-d'œuvre. Son édification rendrait les
querelles humaines dérisoires. Appelé par la force divine, tout un
peuple s'embraserait pour atteindre le ciel. » Réflexion un :
à présent que mon époux est mort, je vais pouvoir repeindre la
chambre à coucher. Réflexion deux : il est faux en effet de
croire que les cathédrales ou tout autre édifice religieux ait été
construit à coups de pieds dans le cul, tandis qu'ils le furent dans
l'enthousiasme, autant que l'empire Aréva.
Réflexion
trois : toujours cette unité de ton et cette vraisemblance
historico-impériale, sans fausse note, qui va de pair avec
l'inexistence du style. Quant à Scribe de Loyauté, nom propre,
c'est le fameux amant vigoureux qui sait redonner de l'éclat au
vagin de Sa Majesté. « Les âmes ivres ignorent la souffrance.
La misère, mon ennemie, serait bientôt poussière et cendres.
« Les
dieux ne tardèrent pas à exprimer leur contentement à travers la
manifestation de phénomènes extraordinaires. Depuis que je
gouvernais l'Empire en tant qu'Impératrice Suprême, l'officier des
Rites du Palais avait enregistré déjà une trentaine de parutions
fastes, d'évènements atmosphériques et de configurations astrales
signalant l'approbation céleste. » C'est exactement ce que
nous recherchons tous, dans un vocabulaire différent : une
interaction entre nos vies et les phénomènes extérieurs. Car nous
sommes à nous-mêmes notre propre Majesté Divine, et ceux qui le
nient, en vérité, sont des faux-culs. « Les bons augures
atteignirent leur apogée lorsque, un matin, un pêcheur retira du
fond du fleuve Luo une pierre dont le craquellement composait une
inscription. À l'audience du matin, les ministres et les devins
déchiffrèrent l'oracle et traduisirent les caractères suivants :
« MÈRE DIVINE VENUE AU MONDE, PAR ELLE, LE RÈGNE DES
EMPEREURS SERA PROSPÈRE ET ÉTERNEL.. » Depuis que le monde
avait jailli du Chaos, pour la première fois les dieux désignaient
une femme comme souveraine des humains ! La nouvelle se répandit
dans COLLIGNON BERNARD LECTURES
« LUMIÈRES,LUMIÈRES »
SHAN
SA « IMPÉRATRICE » 64 06 28 39
l'Empire
et les lettres de félicitations tombèrent comme flocons de neige :
« Votre Majesté a poursuivi l'œuvre inachevée du souverain
précédent. Son effort et son humilité ont ému les dieux. C'est
pourquoi, depuis le commencement de la civilisation, l'écriture
divine est pour la troisième fois envoyée au monde... »
« ...Représentante de l'élément féminin, Votre Majesté est
investie de la force masculine. » Vous me direz : c'est
absurde. N'oublions pas que l'écriture chinoise, si j'ai bien
compris, aurait été inspirée, dans les temps légendaires, par les
marques gravées sur les écailles de tortues, interprétées comme
autant de messages divins, qui furent ensuite interprétés, puis
imités par les hommes.
Et
se non è vero, è ben trovato. D'autre part, nous avons nous
aussi nos superstitions, si nous pensons vraiment que nos
statistiques, nos sondages et autres algorithmes représentent
réellement un tel progrès dans nos appréciations du monde en
marche et dans l'adéquation pratique à mettre en œuvre. Quanta à
la pharaonne Hatchepsout, elle porta une barbe postiche sur les
représentations sculpturales officielles. Charlemagne, sitôt
l'impératrice morte, se hâtait d'en épouser une autre, car un
homme sans femme n'est pas un homme. Un rabbin sans femme, au temps
du Christ, n'aurait pas été crédible, y compris le Christ
lui-même.
« L'union
des deux oppositions est la source de l'harmonie qui réjouit nos dix
mille royaumes. C'est pourquoi le Ciel l'a désignée la Maîtresse
des humains... »
« Mon
passé, avec ses chutes et ses résurrections, ses chances et ses
difficultés, m'avait déjà convaincue que je portais sur mon front
le signe d'un destin singulier. J'avais connu la souffrance et frôlé
la mort. À chaque fois, repoussée à l'extrême limite du
désespoir, abandonnée des dieux et des hommes, je réussissais à
trouver en moi, dans mon corps, la force de vaincre. C'était là
l'empreinte, la voix, la musique de la Providence. ». L'autrice
elle-même est née en Chine après la révolution culturelle. Elle
a fait le pont entre nos deux civilisations. « L'Oracle venait
de dévoiler la vérité cachée des épreuves. Les dieux me
désignaient comme leur représentante sur terre après l'avoir
forgée dans la combustion des flammes et dans le saisissement de
l'eau ».
Ainsi
soit-il pour tous, qu'un bon orgueil vous maintienne, et qu'une
fausse prétention ne vous ruine pas, car ce sont là deux forces
opposées, l'une maléfique, et l'autre victorieuse.
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
VALÉRY LETTRES
À PIERRE LOUŸS 64 07 04 40
Avant
de commenter, brièvement, les premières lettres de Paul Valéry (le
grand Valéry, pas le président), il a semblé bon de replacer les
textes en question, datant de 1891, alors que leur auteur n'avait pas
19 ans, dans le contexte où je les ai trouvés : dans un volume
de 1975, destiné à rendre compte de l'actualité d'époque au sujet
de notre poète-poète. Il en paraît peut-être encore un par an,
cela s'appelle « Cahiers Paul Valéry », c'est alimenté
par des articles de fond d'universitaires ou d'écrivains. Or, il se
trouve que Paul, prononcez Peaul tas d'analphabète et non pas Pol
comme Popol-Vuh, rédigea tout au long de sa vie des Cahiers, sur
lesquels je pensais être tombé. Erreur sur le titre, erreur sur le
contenu, et désenchantement immédiat : au lieu d'avoir contact
avec une pensée toute pure, sortie droite du cerveau de Zeus-Valéry,
nous aurions donc droit à cette même pensée, mais analysée,
recouverte d'une abondante couche de vermine critique, exactement ce
que nous vous infligeons en ce moment même, car « Frédéric
n'aimait pas la flûte, mais sa flûte ».
-
Ce sont donc des entortillis de remerciements, d'adjectifs laudatifs et flagornatifs, d'excuses sur le retard de ce premier numéro dû aux habituelles difficultés administrativo-financières, le tout au service d'une honnêteté documentaire et commentatorielle absolue. Figurent en fin de volume un catalogue bibliographique des articles consacrés à notre auteur, et surtout, l'ineffable liste des premiers souscripteurs, modestement fiers de contribuer au rayonnement des lettres françaises. Et quand l'élitiste est mort, on fait suivre son nom d'une croix. En 1891, Verlaine était encore vivant, Hugo n'était mort que depuis six ans, et ceux qui régnaient sur la poésie avaient pour nom José-Maria de Heredia, Maurice de Guérin (Le Centaure), Pierre Louÿs, jeune fondateur de la revue La Conque où publiaient Mallarmé, Leconte de Lisle et Moréas.
-
Trois ans plus tard, Pierre Louÿs produisit au grand jour les Chansons de Bilitis, et en 1898 paraissait La femme et le pantin. Paul Valéry lui adressa un grand nombre de lettres pour lui demander conseil, lui soumettre des premiers vers à ne montrer à personne, et se plaint en souriant que le grand José-Maria de Heredia (Tel un vol de gerfauts hors du charnier natal) n'ait même pas répondu à l'envoi d'un sonnet : aux Conquérants du grand maître cubain, Paul Valéry envoyait Le retour du Conquistador, exaltant habilement le poète qui ramenait l'étincelle divine des autres bords de l'Atlantique. Mais José-Maria avait d'autres Guantanamos à fouetter, et ne répondit pas. Il trônait alors au sommet de sa gloire, bien qu'il ne fût pas encore naturalisé français. Les épanchements de Paul
-
COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
-
VALÉRY LETTRES
À PIERRE LOUŸS 64 07 04 41
Valéry
auprès de Louis dit Louÿs montrent un souci louable de la belle
phrase et de l'élocution distinguée, de même que les réponses du
jeune directeur de revue (où commençait de publier André Gide).
Nous pourrions parler de préciosité, mais toute la poésie du temps
en était imprégnée, ainsi que nombre de prosateurs sauf Zola :
Huysmans réussit même à faire du précieux réaliste, voire du
précieux misérabiliste. C'était
une époque où régnait le Parnasse, école élitiste, et qui
n'avait pas honte de l'afficher, face aux expansions triviales de la
civilisation industrielle. D'Annunzio, Italien flamboyant,
n'allait-il pas jusqu'à recommander aux poètes, s'ils voyaient une
humble fleur des champs, de la
transformer en lys turban, afin d'avoir quelque chose de « beau » à décrire ?
transformer en lys turban, afin d'avoir quelque chose de « beau » à décrire ?
C'était
une autre époque, une autre ère, aussi recouverte de noble
poussière qu'un vieux jéroboam, où nous ne reconnaissons plus
rien, que de vagues souvenirs de sexa et septuagénaires. On
s'écrivait, on ne se twittait pas, etc. Il serait difficile à
travers ces premières inquiétudes littéraires de pressentir celles
du
futur Valéry sur l'œuvre parfaite (mais il cultive soigneusement
l'exactitude musicale des vers – eh oui, monsieur
le Sous-Préfet – faisait des vers), ou
sa respectable tentative (échouée, mais glorieuse) d'accéder à
l'universel par l'étude approfondie, chirurgicale, maniaque, du
moi : dans l'eau de son Narcisse, dans le cerveau, le cœur et
les yeux immenses du contemplateur, se reflètent les infinités du
firmament.
De
nos jours, chacun se gargarise des « autres », et blâme
vigoureusement ceux qui ne se préoccupent pas de
leur prochain, ce qui est aussi déplacé, voire ridicule, que de
reprocher à qui que ce soit de ne pas se soucier de ses jambes :
nous sommes sans cesse envahis, fécondés, par les autres, même et
surtout si nous sommes égoïstes ou cabotins, car cela, nous ne
pouvons l'être que par rapport aux autres. À côté de cela, des
ignares qui se croient savants prononcent encore innkipit au lieu
d'incipit, comme ils diraient le «train » pour le train, les
« rails » pour les rails et le « tunnel »
pour le tunnel, sans oublier le pack-boat ou le « bull-dog ».
Passons. Le
ridicule ne tue pas.
Toutes
les analyses de la pensée de Valéry figurent en excellent place
parmi les articles des Cahiers
Paul Valéry, ad usum amatorum, car
l'auteur des belles devises gravées sur le Trocadéro se paye un
petit purgatoire à peu près définitif, mis à part le Nous
autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes
mortelles mis
à toutes les sauces par ceux qui ne savent que ça. Aggravation du
cas de cet élitiste, son désir de gloire, et qui plus est, durable,
alors que Loana goûta la potion amère de la gloire du râble,
combien
éphémère. Mais cessons de
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
VALÉRY LETTRES
À PIERRE LOUŸS 64 07 04 42
dissimuler
la minceur de notre savoir sous les pyramides de nos vannes à deux
balles (Valéry ne parle souvent qu'à mon propre intel-lect n'est-ce
pas, et très peu à mon ââââme) et faisons profiter nos huit
auditeurs et demi de ces lettres de jeune homme, accessibles
désormais dans Correspondance
à trois voix, chez
Gallimard en 2004, le troisième étant Gide de Cuverville-en-Caux :
cette lettre de février 1891 est donc adressée à Pierre Louÿs.
« À
quoi pensez-vous à cette heure, cher ami ? Voyez-vous dans la
poudre d'or des Champs-Élysées (puisque votre fenêtre y regarde)
ce beau sonnet que l'on rêve toujours et qui serait le plus beau, le
plus sonore, le plus pensif, le plus immarcescible des sonnets ?
Ou bien pensez-vous celle-là qui n'existe pas et qui a des yeux si
pâles ? Moi, dans cette après-midi dominicale de poète
mineur, minime ! je songe à des musiques lumineuses éparses
au-dessus de tout par des robes séraphiques de couleurs invues. »
En marge, 23-2-16, lettre lue 125 ans plus tard presque jour pour
jour.
Permettez-moi
de vérifier le sens du mot « immarcescible » :
incorruptible,
qui ne peut se faner. Terme
botanique. « Penser
celle-là qui n'existe pas » diffère en effet de « penser
à » une femme existante, et les couleurs « invues »
nous entraînent au cœur des imaginaires post-symbolistes. Mais
rassurez-vous : en ce temps-là se concevaient les ancêtres de
nos amateurs de smartphones et de sms ; on ne parlait jamais
d'eux, sauf sous l'appellation d'«illettrés ». Poursuivons
notre correspondance de lettrés :
« Le
plus haut chef-d'œuvre d'art est à cent coudées au-dessous du rêve
le moindre de n'importe quel petit souffleur d'images et c'est à
désespérer.
« N'avez-vous
jamais songé à des claustrations au bord de la mer en quelque
moûtier ? Les roses des jardins sont agréables aux mains qui
bénissent et l'on chercherait dans la morne habitude des gestes
augustes et dans la rêverie lente des heures immenses, un
apaisement ?
« Ô,
frère tranquille, être frère en un moûtier dédié à la Vierge,
humilier les rêves de jadis en distillant le long des journées de
longues prières et de ces litanies exquises, et
que votre nom d'auteur reste voilé sous le capuce comme au temps de
ces poètes de chapelle dont l'œuvre éternelle est toujours jeune,
l'homme étant pulvérisé sous les pierres anonymes ! Songez
doucement à ce cloître, un cloître comme St Michel où nous ne
serions que des amis réunis pour creuser leur fosse ensemble, où
nous ferions tant de poèmes et de musiques et de tout sans noircir
des feuillets, mais le soir sur les terrasses quand les cris se
taisent des oiseaux qui virent autour de la lune à son lever. »
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
VALÉRY LETTRES
À PIERRE LOUŸS 64 07 04 43
Beaucoup
d'adjectifs certes et de mots recherchés, aux antipodes apparemment
de nos goûts actuels, bien que la préciosité soit désormais
remplacée par la pédanterie dont elle est toute proche. Cette
lettre veut se faire bien voir, c'est une parade pour l'admiration,
un poème en prose déjà. Assurément nos héros devaient bien de
temps en temps lâcher un putain de bordel de merde en se détruisant
la
tronche dans
le noir sur
un
battant de porte ;
mais la question reste posée. Notons
la finesse du « petit souffleur d'images » aux bulles de
savon, apprécions ce désir de retraite emprunte de religiosité
plutôt que de religion, cette aspiration déjà désespérée de
Valéry vers la perfection, et ces rappels de Baudelaire ou
de Chateaubriand, qui n'eût pas désavoué ces « oiseaux qui
virent autour de la lune à son lever ».
Valéry
termine imprudemment sa lettre par « Amen. P.V. P.-S. » -
mais tous savent bien qu'il ne s'agit que d'une pose littéraire.
Aujourd'hui tout le monde se veut sincère. Je t'en foutrais, de la
sincérité, quand chacun finit « pulvérisé sous les pierres
anonymes » - seul vrai sujet de l'art sous toutes ses formes.
« Pourrais-je
obtenir plus d'un exemplaire de La
Conque ?
-
Après réflexion, je retire prudemment mon observation sur le mot
ailé
de votre Pégase.
Vous
avez bellement raison.
[Enveloppe
datée du 23 février 1891-
gare de Montpellier Hérault (cachet
de la poste), adressée à Monsieur
Pierre Louÿs, 49 rue Vineuse Passy
Paris.]
16
avril 1891
Mon
cher esthète,
Je
reçois ces fameux Débats
dont la lecture m'émerveille encor qu'elle me navre. Je me demande
par quel stryge tenté, le monsieur S. (je voudrais bien savoir quel
universitaire se cache là-dessous) a été me chercher parmi vous
tous et me saluer, ironique
et rusé, de
dangereuses
et
douces phrases, où se révèle toute une incompréhension savante,
riche en textes. Car me rattacher à Ovide et Verlaine, moi qui n'ai
pas lu Ovide, et qui ne préfère
pas
Verlaine, qui ignore tout autant les Alexandrins imputés même de
nom, m'a paru assez singulier.
« Beaucoup
ne s'en plaindraient pas, cependant. Mais vous me savez un peu
sensitif. Je dois COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
VALÉRY LETTRES
À PIERRE LOUŸS 64 07 04 44
pourtant
ne pas celer mon émotion à cette lecture, et comme d'habitude mon
étonnement, et mon doute sur sa réalité objective. » Oui,
Valéry est de Montpellier, lui y en a provincial. Et son
interlocuteur habite ce qui forme aujourd'hui le XVIe
arrondissement, tout de même. « Si je m'arrête ici, au moins
aurai-je connu un petit peu de la fièvre littéraire – même à
travers tant de lieues, tant de songes et tant de province… Merci
de votre envoi. » Mais non, petit Paul, ta carrière littéraire
n'est pas finie, loin de là, et tu dépasseras ce Pierre Louÿs, qui
le reconnaîtra plus tard. Réjouissons-nous d'être tombé sur des
textes de Valéry lui-même et non sur de savantes exégèses :
ce sont donc les Cahiers
Paul Valéry, tome
I, Poétique
et poésie. Bientôt
le tome II mon n'veu.
COLLIGNON LECTURES
FEBVRE «LA RELIGION DE RABELAIS » 64 07 07 1
Disons-le tout net : Gryphus fut à Lyon l'imprimeur qui
vulgarisa les publications aldines, en nouveaux caractères inventés
par Alde Manuzi. Son emblème était un griffon. Il est mentionné
dans un livre que je tenais entre les mains en 1967, 2014 nouveau
style. Nous allions quitter la ville de Tours, où je fréquentais la
bibliothèque étudiante aux bords de Loire. Et la lecture se
poursuivait, sachant qu'elle serait irrémédiablement interrompue.
Le livre intitulé Dionysos, un
autre encore sur les peintres maniéristes, subirent le même sort.
Et par la magie des moteurs de recherche, La religion de
Rabelais nous est restitué tel
quel. Ce fort volume est de Lucien Febvre, mort à St-Amour dans le
Jura.
Cinquante ans nous séparent de son
ouvrage, et ce qui n'était qu'une obstination fantaisiste s'inscrit
désormais dans notre destin… La thèse de Lucien Febvre, décédé
à 78 ans (plus que six), était de bien restituer l'atmosphère
mentale de l'époque, le XVIe
siècle en l'occurrence, en évitant comme la peste
« l'anachronisme », péché mignon de ceux qui nient la
signification même du mot histoire : c'est ainsi qu'on
reprochera au roi de France son antiféminisme, et à Vidocq son
absence totale de préoccupations écologiques. De quels crétins ne
serons-nous pas les cibles ? L'historien parcourt et relit donc
les cacographes de la Renaissance, qui furent légion, en langue
surtout latine. Ils s'insultaient, se réconciliaient, s'envoyaient
des quintaux de fleurs suivis de tombereaux d'insultes, surtout quand
ils s'accusaient de plagiat.
Mais ils n'avaient rien à dire. Ils pompaient les Anciens,
composaient plus ou moins des centons, et la mort fictive ou réelle
d'une maîtresse leur arrachait, parmi leurs plaintes, le regret
versifié de « perdre un sujet ». Il est à noter que
mutatis mutandis, et non pas
mutate mutati, les
mêmes usages s'étaient déjà observés à l'époque de Sidoine,
c'est-à-dire au Ve
siècle, et les criailleries des écrivaillons infectent tous les
siècles. La particularité du XVIe
siècle renaissant fut
d'insister sur le caractère « sodomite » ou pis encore
« athée » des écrits de celui qu'on voulait abattre.
Pour François Rabelais, ce ne pouvait guère être l'un, ce fut
l'autre : il fut traité d'athée par les jaloux, et cette
accusation courut les siècles jusqu'à nous.
C'est ainsi qu'après bien d'autres
maître Alcofribas acquit la réputation imméritée de vouloir
pourfendre le Christ et ses sectateurs, en un temps où le gras Dolet
répandait sa graisse sur le bûcher des hérétiques. Donc, en bon
précurseur de nos bienheureux temps laïques, Rabelais se voyait
obligé de se dissimuler, de prêcher le faux pour mieux cacher le
vrai (la substantifique moëlle prise
ici à contresens), et de rejoindre dans l'imaginaire des critiques
la cohorte de tous ces penseurs
COLLIGNON LECTURES
FEBVRE «LA RELIGION DE RABELAIS » 64 07 07 2
qui n'avaient rien de plus pressé
que d'annoncer nos temps radieux. Les mêmes erreurs furent propagées
sur Marivaux, précurseur de la Révolution Française quand ce n'est
pas du marxisme et allez donc, ou sur de braves peintres maniéristes
enrôlés dans les abstraits du XXe
siècle, sous prétexte qu'un recadrage ingénieux, parmi tels drapés
ou telle architecture, fait apparaître des structures « qui ne
représentent rien en soi », donc, évidemment, « abstraites »…
C'est donc à Lyon que François Rabelais publia, et peut-être
écrivit, son Pantagruel et
son Rabelais. Il dut
fuir cette ville pour échapper aux persécutions.
Mais ces persécutions frappaient avant tout les réformés, non pas
les athées. Car les réformés, que je sache, sont avant tout des
croyants, animés, justement, d'un grand désir de réformes, qui
déchaîne contre eux les fureurs chrétiennes de l’Église
catholique. Pour l'instant, Rabelais exerce la médecine à Lyon, où
il se fait une excellente réputation. Ses ouvrages burlesques
pouvaient la compromettre, d'où en partie son « Adresse aux
lecteurs », pour les mettre en garde contre une interprétation
superficielle : sous des apparences comiques, il recycle à sa
façon les positions d'Erasme, également publié chez Gryphus. Toute
imprimerie se double de correcteurs, et fait office de nos maisons
d'édition, et l'imprimeur protège, parfois héberge, ceux qui
s'honorent et se risquent dans les pensées nouvelles.
Febvre les énumère :
d’Alciat
et de Sadolet
à Rabelais et à Dolet, en passant par les Sussannée, les Baduel,
les Hotman, Baudoin, Guilland, Ducher et autres ». Presque tous
inconnus à nos bataillons…
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
SERGUINE « ISTANBUL
LOTI » 47
...Istanbul
Loti, sans séparation, comme si la ville ne devait être
appréhendée qu'à travers le fantôme de celui qui le hanta en
1877. Ce fut à Constantinople qu'il fit la rencontre d'Aziya dè,
qui fut peut-être un homme, car le monde est méchant, et les
vilains ragots se colportent. Il revint sur ses traces en 1892,
l'année de son érection à l'Académie Française, pour découvrir
qu'elle était morte de chagrin et d'ostracisme, et rapporta
semble-t-il sa pierre tombale, visible aujourd'hui dans sa maison de
Rochefort. Jacques Serguine revient sur les lieux où Loti,
lieutenant de vaisseau depuis 81, s'était pourvu en cassation auprès
de ses souvenirs. Et ce Serguine le voit partout à tout détour de
rue, dans ces minuscules cafés de trois tables et six chaises, au
sein des quartiers sinueux, partout où il sent la lumière et la
brume, envahi puis pénétré d'une constante mélancolie.
L'auteur
mange turc, parle turc, flâne turc, monte et redescend les pentes,
multiplie les métaphores, évoque, décrit, se baigne et vous vautre
dans une atmosphère de loukoum doux amer, de façon pour finir
obsédante ou lassante, mais d'où l'on ne peut s'extirper qu'à
l'instar des sables mouvants. Il revoit le mort illustre et vaporeux,
le sent, le respire, débusque son fantôme aux croisement de rues
qu'il vient juste de passer, parle avec lui dans les bouffées de
narguilé, avant, bien avant les convulsions de l'empire ottoman que
Loti aura vu se produire, avant, bien avant les soubresauts actuels.
L'histoire
de Turquie fut souvent, dit l'auteur, sombre et cruelle, mais chaque
Stambouliote semble à Serguine, auteur du scénario de La fiancée
du pirate, pétri d'amabilité, d'affabilité, serviable et
souriant. Pour prendre congé, ne se dit-on pas güle güle, ce
qui veut dire « en souriant » ? Et nous nous
promenons sans trêve à travers un rêve de rêve d'une rive à
l'autre, d'un palais à l'autre, d'une silhouette à d'autres visions
fugitives. Et nous pourrions ainsi poursuivre pendant des pages,
accumulant et mêlant diversement les bouffées de nostalgie, les
considérations sur le temps qui passe, les laideurs modernes dont il
faut détourner le regard, les songeries nuageuses et les formules
justes, combien appropriées, sur la fugacité de l'existence humaine
et l'ingratitude des saisons qui passent, mais nous avons tout
oublié, après ces grandes manœuvres de l'âme soupirante.
C'est
pourquoi, n'ayant pas même complété notre première page, nous
nous inspirerons de la quatrième de couve pour conclure sur une
rencontre amoureuse féminine, dont Serguine affirme avoir observé
l'oscillation sentimentale entre lui-même et le grand auteur auquel
il rend hommage COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
SERGUINE « ISTANBUL
LOTI » 48
dans
Istanbul Loti. Avant de passer au bref extrait, nous ne
serions pas nous-même si nous n'introduisions ici quelques lignes
aigres-douces sur l'orthographe turque bien sûr mais surtout
inévitablement anglo-saxonne d'Istanbul, dont les Français, honteux
et massacreurs de leur langue, ont affublé l'ancienne
Constantinople : chez nous, le son « ou » s'écrit
encore, que je sache, « ou », et le « n »
devient « m » devant « b », ce qui donne
« I-s-t-a-M-b-O-u-l », « à la ville » en
grec populaire. Mais notre époque en est au Bélarus à la place de
Biélorussie n'est-ce pas, « parce qu'ils prononcent comme
ça ».
Pour
ceux qui s'obstinent à massacrer le français et qui ne sont pas
forcément très forts en géographie, précisons que pour atteindre
le Bélarus il faut d'abord traverser le Deutschland, puis la Polska,
et que Istanebül ne se situe pas en Turquie, mais en Tourkiya.
Kahretsin ! (« merde » ! en turc ;
enrichiassez votre vocabulaire) – au texte, au texte :
l'auteur vient de visiter je cite « la mosquée où dort Eyoub
Ansari, le compagnon du Prophète ». « On sort,
contournant la toute petite enceinte intérieure où se tient la
géante foi d'Eyoub, par l'autre extrémité, selon une ligne
diagonale, de l'enceinte plus spacieuse qui constitue la mosquée. On
suit alors une sorte de passerelle couverte, un couloir tapissé,
tendu, plafonné de lourdes étoffes. Je rêve. Loti raconte que dans
les temps où il vivait en effet à Istamboul, lorsqu'il y avait sa
petite maison à terrasse, tout près d'une fontaine et d'un bouquet
d'amandiers, ici-même, à Eyoub, on eût mis en pièces l'étranger,
le non-musulman, qui se fût seulement approché du territoire de la
mosquée sainte. Et vers le premier quart du XXe siècle
encore, un des trop nombreux imbéciles qui se sont ingérés à
parler de Loti, à venir le relancer jusqu'ici afin de pouvoir dire
qu'ils avaient vu de près son visage d'homme célèbre, raconte,
lui, dan son bavardage, que Loti s'obstinait à croire, à se faire
croire, à des périls, qu'il prétendait contraindre ses invités
inévitables à se déguiser, à s'armer au besoin, avant de se
résigner à les conduire ne fût-ce qu'aux abords de la mosquée, ne
fût-ce, peut-être, que dans le village d'Eyoub ».
Perspective
de guide touristique donc, sans le style gnangnan achetez-ci
achetez-ça, perspective de voyage dans le passé, de nostalgie, avec
une empathie Pierre Lotique (Loti lui vient d'un surnom qu'une femme
lui avait donné à l'île de Pâques). « Il jouait, dit
l'imbécile. Et moi, je le demande, pourquoi n'aurait-il pas joué,
le grand Loti, alors que pour lui ni la mort, ni le vieillissement,
ni la vie sans doute, n'étaient un jeu ! Je comprends que ce
que je respecte, ce que je dois respecter en lui, en Loti, c'est le
jeu. Ainsi au moins, par le jeu, il défiait ses épouvantes.
« D'autres
imbéciles, des Léon Daudet, des Barrès, combien d'autre des
chiens, des lémures, COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
SERGUINE « ISTANBUL
LOTI » 49
ont
lâché sur lui, sa vie durant, ou la leur plutôt, cette existence
piètre, la bave de leurs ricanements. » Pas sérieux, Pierre
Loti ; amateur, qui se déguise, qui joue au Turc, au Japonais
(Mademoiselle Chrysanthème), au
Basque (Ramuntcho), un
auteur pour jeunes filles (Pêcheurs
d'Islande) mais pas
toujours (Mon frère
Yves, un peu plus que
fraternel)… Alors on bave, on le traite de puéril cabotin, et
qu'est-ce que nous sommes d'autres, nous tous les guignols de nos
vies ? sans avoir le talent de Loti… Notons ici que
« des lémures », ce sont des fantômes gluants. « André
Breton, mieux adressé, souvent le coudoie d'une injure plus sotte
que vile au détour d'un tract dont l'urgence s'est perdue. Un vieil
enfant, bien sûr, d'esprit faible, qui pleure et tremble,
n'abandonne jamais que d'une main, dans sa grande peur du noir, les
jupons maternels. Les lémures disent cela, le disent encore. Et moi,
je dis que cet homme vrai, qu'en vérité aussi je respecte comme je
respecterais un frère alors même qu'il me déconcerte et m'inspire
pitié, je dis qu'il a eu, par-dessus des millions de pauvres hommes,
un courage au moins, selon moi, incomparable. Celui de vivre ses
rêves. Les rêves le tuaient, ou il les tuait, les exténuait eux. »
Bien défendu, Serguine, né Gouzerh. J'irai au bout de mes rêves.
Et je les vivrai, ne serait-ce que comme rêves.
Reprenons :
« Tant pis. C'est la chair de l'âme qui est chère. Mais le
courage étonnant qui le poussait, qui s'usait, que lui Loti
nourrissait et recréait toujours, n'en existait pas moins, n'en
existe pas moins toujours, telle une leçon admirable. Que les assis,
les insincères, rient et bavent, c'est là leur mission. Lui Loti,
l'inquiet, à l'âme vulnérable et à l'orgueilleux courage, partait
loin et seul, courait les mers, traversait à cheval parmi la
poussière et la sueur irritantes, oubliant argent et gloire, des
terres ingrates, où la moindre fleur, un brin d'herbe, dont il
reconnaissait ou retrouvait aussitôt le nom, l'enchantaient. »
Il a même séjourné en Chine, il est revenu plusieurs fois à
Constantinople-Istamboul-Byzance.
Mais
il n'y a pas d'un côté les assis et les pauvres types, et de
l'autre leurs victimes. Il semblerait que nous ayons toujours nos
périodes de connerie et nos périodes de curiosité inquiète. Et
nous ne serions tous qu'un seul et immense être humain. Seulement,
il faut bien établir et renforcer nos différences, voire nos
hostilités, afin d'avoir quelque chose à sentir, à penser, à
faire. Quittons cette philosophie pour terminales, et comme nous
avons parlé d'Istamboul au début, faisons parler le Serguine sur
Loti pour finir : « Il aimait d'amour, aimait
splendidement de désir charnel, une jeune femme à la peau sombre,
parce qu'il était en Afrique, ou une enfant ambrée, là-bas, dans
les Îles mêmes du désir, parée de fleurs plus éclatantes.
Ailleurs, car pour l'inquiétude et le COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
SERGUINE « ISTANBUL
LOTI » 50
courage
il y a toujours des ailleurs, c'était en Extrême-Orient, une jeune
femme encore, au nom de fleur. Ici, très jeune homme lui-même, et
bel et bien au péril de sa vie, cette autre enfant, la petite
esclave Hakidjé, dont il nous a parlé, et pour moi cette confidence
honore, en l'appelant Aziyadé. On dit que dans la langue turque, ce
nom de tendresse, de jeunesse, ce nom de chair et de sang, comme tous
les noms, pourrait provenir de yad, qui signifie souvenir, et de
aziz, très cher ». À vérifier dans mon dictionnaire.
Si
j'ai oublié ce livre Istanbul Loti, n'y voyez que du trop
plein, et si vous le lisez, vous bénéficierez d'une vue de la
Turquie en parfaite contradiction avec celle que nous impose un
ramassis de nationalistes
bien
étrangers à notre goût, et plus encore à Pierre Loti, lieutenant
de vaisseau...
KOHN-LILIOM
HARDT VANDEKEEN « LECTURES »
THEOCRITE (56
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« Tâche
de beaujolais nouveau difficile et ingrate : commenter un extrait de
grec, avec texte d'origine, alors que je n'aime pas la littérature
grecque, à cinq prestigieuses exceptions près : Homère (quand
même...), Eschyle, Pindare, Aristophane, Thucydide. Peut-être
Hésiode. Mais le reste, c'est froid, sec, artificiel, mathématicien,
constipé (Platon, Aristote... et tous ces logiciens qui ont toujours
raison). Théocrite, c'est le rabâchage des légendes antiques, ici
Héraclès, dont je me suis toujours demandé pourquoi il avait
acquis une telle renommée, car à peine supérieur à Superman. Je
le trouve vulgaire, pas crédible, impossible à utiliser pour une
quelconque identification ».
Voici
bien nos propos d'autrefois, lorsque la 9e année du
millénaire sévissait encore. On y redécouvre hélas le
nombrilisme, l'infatuation, la condescendance avec laquelle un
sexagénaire puéril se laisse aller aux invectives les plus
incultes. À présent certes nous admirerions Héraklès en symbole
sensible de la force, du courage et de l'intelligence des humains.
Écoutons se déchaîner
l'insolence ignare et révolutionnaire :
« Des
gros bras, dès la naissance, dès son étranglement de serpents,
déjà niais, poupin, ridicule et m'as-tu vu. Déjà s'attendrir sur
des bébés, je trouve ça insupportable, mais sur ce poupon gras du
bide et gonfleur de biceps, c'est carrément dégoûtant et vomitif.
Voilà qui va vous changer des extases recuites universitaires (la
familiarité du père qui se lève sans prendre le temps d'enfiler
ses sandales, oui, ces gens-là avaient des pieds, on ne va pas en
faire un plat tout de même...) Je règle mon compte aux études
classiques, à Papa, dont je rêve encore cette nuit : il voulait
m'enfoncer une planche avec un clou en pleine tête. Eh bien c'est
que je ne suis pas « guéri », Docteur Freud.
Ouvrons
donc le
« Collection Budé,
côté grec, et transcrivons à l'aide de mon petit alphabet grec,
plus qu'imparfait, Héraklès
enfant, Idylle
(« forme
brève » étymologiquement parlant) – n°
xxiv
(Théocrite
est considéré comme le fondateur de ce genre dit « pastoral »,
« amours
champêtres »)
:vers
83,
θνητά δέ πάντα πυρά Τραχίνιος εξεϊ - je
sais depuis peu qu'Héraklès
est monté sur le bûcher à Trachinios. « le bûcher de
Trachis aura toute sa dépouille mortelle » (« panta »
s'applique à une totalisation du corps, et non à une qualification
du bûcher).
Suite : γαμβρός δ' αθανάτων κεκλήσεται,
οί τάδ' επωρσαν / κνώδαλα : « et il
deviendra gendre des immortels » (Héraklès
épousa Hébé, qui versait à boire)
« et il sera appelé gendre des immortels, qui envoyèrent
(« pour le détruire enfant », « bréphos
diadèlèsasthai ») ces
KOHN-LILIOM
HARDT VANDEKEEN « LECTURES »
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monstres
habitants des cavernes » -
knôdalon,
tout animal sauvage, muni de crocs (da-kn-eïn, mordre).
« Phôleuonta » : qui habite un phôléos », un
trou… Cela rejoint ma
foi la
chiottulence des textes de Romilly, lorsqu'elle essaye de transmettre
à des profanes ses ravissements hellénistiques, en y échouant : si
tu lis du Romilly, c'est que tu sais déjà
le grec. Autrement, des transcriptions illisibles et, il faut le
dire, très laides, en
caractères latins, ne
peuvent que te rebuter si tu ignores la langue d'Homère, ou
t'indisposer si tu la connais, car on s'adresse à toi, l'initié,
comme à un plouc.
Heinrich
Böll ou Günther Grass disaient
« Je
suis contre les traductions : celui qui veut s'intéresser à mon
œuvre, qu'il apprenne l'allemand, et qu'il me lise. »
62
06 13
Plus
que jamais j'accomplis
un devoir sacré, plus
que jamais je dois baiser la couverture de mon livre avant de le
remettre aux étagères : en ces temps où la culture classique est
jetée au rebut comme les plâtres des Beaux-Arts, Théocrite mérite
de se voir dédiées ces quelques pages maladroites, car si je brille
auprès des aveugles, je me recroqueville
avec
les spécialistes, ces gens supérieurs qui vous foudroient des
éclairs de leurs yeux. Je viens d'achever les
Idylles
de
Théocrite,
différemment
numérotées selon leur éditeur. Chez Budé, on a la manie de
bouleverser tout cela. Les éditions d'Homère (par Mazon, je crois)
souffrirent plus que nulles autres de ces remaniements charcutiers.
Zeus
merci, la Pléiade a toujours trouvé des raisons de respecter la
tradition : des vers, chez
Homère,
sont répétés ? Et alors ? N'y a-t-il pas des refrains dans les
chansons, fussent-elles "de gestes" ? Les Idylles
s'achèvent
par La
syrinx, dont
les vers se rétrécissent progressivement, pour dessiner, justement,
une
flûte de Pan. Le traducteur-commentateur, rivalisant de cuistrerie
avec lui-même, se demande comment il se fait que les vers en
viennent à former dix tuyaux, alors qu'un tel instrument n'existait
pas "en vrai". Il n'évoque ni les idéogrammes, ni les
calligrammes d'Apollinaire. Il se plaint de la "puérilité"
des jeux de mots et devinettes proposés parfois
par
Théocrite : ah le niais !
...Il
s'agissait de la plus élaborée forme technique de la virtuosité
précieuse ! "Le poète", dit-il doctement, "ne prend
pas au sérieux ses incessants jeux de langage" : autrement,
n'est-ce pas, il eût été "de mauvais goût" - mais c'est
vous qui êtes inculte, Monsieur Legrand, Membre Viril de KOHN-LILIOM
HARDT VANDEKEEN « LECTURES »
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l'Institut
! Chaque mot cache une énigme, comme un calendrier de l'Avent !
...Notre lecture en pointillés de
Théocrite ne
nous permet plus, au moment d'achever par la Table des matières, de
nous rappeler autre chose que des titres
: il est tant de livres antiques dont nous n'avons plus que le
sommaire, ou quelques citations éparses dans le corpus entier ! Il
existe donc 30 titres, dont seules les idylles I, II, VII à XI, XV
et XVI furent cochées en marge, témoignage de lointaines
agrégations ratées. De quoi s'agissait-il ? d'amours, hétéro- ou
homosexuelles, nos Anciens ne regardaient pas à cela, et ne se
précipitaient pas chez les psychiatres pour se remettre la bite
droite.
Thyrsis
ou le chant, p. 17. Si je pouvais encore consulter mes sources
électroniques, je confirmerais que ce nom masculin fut réutilisé
par Virgile, dans ses Bucoliques.
C'est
ainsi qu'arrive le crépuscule. P. 94, Les
magiciennes : ne
pensons pas que l'Idylle "I" occupe 77 pages ! il ne s'agit
que du charcutage de notre Instituteur. Supposons que ces magiciennes
concoctent des sucs pour faire remonter la quéquette à Monsieur,
car les femmes n'aiment que ça malgré leurs airs dégoûtés. Le n°
III s'appelle La
visite galante : ma
foi, il ne m'en souvient plus. Bientôt j'aurai fini ce livre et ma
course.
Mon
nom suivra peut-être la chronique familiale, puis s'infiltrera dans
les sables. A la fin de ce livre, je serai soulagé, puis qu'il
s'agit de faire de l'ordre, d'éliminer ces plus de cent ouvrage qui
m'auront accaparé. En même temps, j'aurais aimé tout relire, en
savourant bien tout, mais je n'ai plus le temps de me reconcentrer :
j'ai privilégié la quantité, par goinfrerie. Quelques années
encore à me disperser, avant de l'être moi-même sur une "aire
du souvenir", pour peu que l'on me brûle. Lisons ces titres
encore : Les
pâtres, Chevriers et bergers. Rappelons-nous
ces chants amœbées
ou alternés : Les
chanteurs bucoliques, pratiquants
ces joutes poétiques : le premier lance une strophe, le second
improvise la réponse, sur le même thème, ou tel mot repéré que
l'on développe, ou bien prend le contre-pied de ce que le concurrent
précédent
chantait.
Fallait-il
qu'ils s'emmerdassent, à moins qu'ils ne suivissent les traces
sensibles et poétiques de leurs ancêtres ! Certainement d'autres
peuples africains respectent encore cette tradition de toutes les
cultures. Les
Thalysies, page
2, feuilletons-les
: ce sont des fêtes de l'île de Cos. Un texte qui, si KOHN-LILIOM
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j'en
crois notre sévère censeur, n'est finalement pas si excellent. Ô
redoutable spécialiste, recialiste spédoutable ! Des poètes qui
se croisent, avec
des fleurs dans les cheveux, autre chose que des costumes-cravates,
et qui s'échangent des improvisations pour se mettre en bouche ! Les
ouvriers ou les moissonneurs : toute
une vie, idyllique précisément, revisitée par des urbanicoles (ou
citadins)
endurcis !
64
07 18
À
mesure que j'écris, la relecture de mes lignes d'antan me montre des
faiblesses et des complaisances dignes des simples œuvres de
jeunesse ; ce que toute ma vie j'aurai composé. Avec ce je ne
sais quoi de rot juvénile et lait caillé rebutant toutes les
indulgences. Mon rêve est devenu Pascal Quignard. Beau vieillard au
crâne de bois qui drague encore à septante ans sur les plateaux de
télévision. Les poèmes de Théocrite… De quels commentaires
affligeants ne les aurai-je pas aggravés, passant par dessus les
amours homos et d'une femme à l'homme qu'elle désire, mon Dieu se
peut-il que les femmes déjà aient désiré, quand un accouchement
mal fait pouvait les tuer, de quel héroïsme toutes nos femmes,
toutes les parts féminines de nous-mêmes, ont-elles dû faire
preuve, et quelle grandeur.
Nous
verrons tout à l'heure les éloges de Philippe-Ernest
Legrand, glorieux Berrichon,
qui place Les
magiciennes au plus haut rang
des plaintes amoureuses, du patrimoine mondial des plus hautes
œuvres. Je crains que la traduction
exacte n'ait nui, dans toute sa poussière, à ce qui ne pouvait être
qu'une floraison. Me relire me paralyse. La littérature dite
alexandrine se situe un bon siècle après la mort d'Alexandre, et
se développa en Égypte, ou dans les îles proches de la côte
d'Asie Mineure, où pas un Turc n'avait encore montré le nez. Après
avoir vagabondé de Théocrite à moi-même et à d'autres, penchons
nos yeux archéologues sur le tome I des Idylles de
Théocrite : « Iynx [i-ünks],
attire vers ma demeure cet homme, mon amant ».« L'iynx
était un oiseau (le torcol), en lequel avait été changée, par la
vengeance d'Héra, la nymphe du même nom, fille d'Écho,
qui avait au moyen de ses philtres rendu Zeus amoureux d'Io ou
d'elle-même. Attaché sur une roue, le torcol servait à des
opérations de magie amoureuse. Aussi bien que l'oiseau, le mot iynx
peut
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07 18 55
désigner
la roue où on l'attachait, et d'autres instruments de sorcellerie
susceptibles d'un vif mouvement giratoire. Voir l'article (illustré)
de Gow dans le J[ournal]
of hellenic Studies, 1934,
p. 1-13. » Le temps ne compte pas, pour nos chercheurs
d'antiquités. Ainsi donc il existe un oiseau appelé le « torcol »,
ou cou tordu. Il tord le cou en tous sens et ressemble à un
passereau. Il se nourrit surtout de fourmis, grâce à sa langue
repliée puis dépliée. C'est peut-être pour cela qu'on lui demande
de dénicher les baiseurs camouflés. L'héroïne abandonnée se
livre donc à des rites, en compagnie de sa confidente Séléné,
comme nous le voyons en deuxième partie.
La femme elle-même se nomme Simaïtha, qui raconte ses malheurs.
Mais « c'est en qualité de déesse des incantations, au même
titre que Hécate » (chasseresse nocturne »), que la
magicienne l'interpelle ici ; le « bel éclat » de
Séléné garantira sa présence et fera espérer son secours ;
« à voix basse » doit avoir un intérêt rituel. »
Cette
sorcière consultante et sévèrement plaquée se compare à
Périmède, « probablement la même que « la blonde
Agamède » d'Homère (Il[iade],
XI
740), qui connaissait « tous les φάρμɑκɑ »
(poisons, remèdes et philtres) de la terre ». Le nom même de
Périmède reparaît chez Properce (II 4 18), où il désigne une
sorcière. ΦΑΡΜΑΚΕΥΤΡΙΑΙ
(II) Πa
μοι τải δậφνằỉ ; Phẻrẽ, Thẹṡṭṵḻi.
C'est
le début des Magiciennes, où tout le monde a parfaitement compris
« Où sont mes branches de laurier ? » - dans ton
cul, au fond à gauche. « Apporte, Thestylis. Où sont les
philtres ? Couronne la coupe » - on va boire - « de
fine laine teinte en rouge ». Apporte le crapaud qu'on
l'encule. « Je veux enchaîner à moi l'amant, cher, qui me
fait de la pi- euh de la peine. Voilà douze jours qu'il n'est même
pas venu le malheureux le fils de trouduc, qu'il ne s'est pas
occupé de savoir si nous sommes morte ou vivante, qu'il n'a pas
frappé à ma porte, d'en bas, le cruel, con d'Adèle. Sans doute
Éros a emporté ailleurs son cœur mobile de Playmobil », et
je m'arrête parce que je vais dire des conneries – trop
tââârd… Il est trop tard bondabour, jai tout perdu ET sans
retour trop
tèèèèr – Le
Idylles de Théocrite, préface de Buffet et Bontems, chez « Les
belles lettres ». HARDT
VANDEKEEN "LUMIERES, LUMIERES"
VALERY
LARBAUD "...A.O. BARNABOOTH"48 10 05 53
02 18
Comment
parler exactement de ce qu'on aime, en y mettant toute la finesse,
toute l'émotion ? entre la platitude et le dithyrambe, comment bien
situer la place ineffaçable qu'a prise dans mon âme l'oeuvre infime
et précieuse de Valery Larbaud, Les Poésies de A.O. Barnabooth ?
... de ce grand voyageur de luxe que je ne fus point, et ne serai
désormais jamais plus, friqué, immense et bedonnant dans ses
costumes wildiens, légers, tropicaux, puis finissant aphasique et
privé de mémoire, astreint à répéter cent fois la même phrase
pour en tirer le sens ?
Moi
qui ne suis jamais sorti de mon trou, qui ai toujours répété que
j'allais cette fois fiche le camp pour de bon et incapable de me
couper du fil à la patte de Bordeaux-mes-Couilles ce qui est bien la
preuve que je n'en ai pas eu n'est-ce pas mes psys en chambre et que
"j'ai choisi" de ne pas voyager n'est-ce pas mes connards
"j'ai réponse à tout", jamais sorti de mon trou sinon
pour des espaces infiniment limités, l'Aquitaine comme ma poche, un
bout de Languedoc, cet été les Hautes-Alpes putain l'aventure, sans
oublier, tout de même, tout de même, une fois l'Ecosse, plus quatre
ans à vienne et quatre ans au Maroc, n'empêche, pour quelqu'un qui
voulait "faire la route" ça la fout mal et toute petite,
toute petite...
Bref
! Not'Valery descendait dans les hôtels de luxe et les grands
paquebots blancs de luxe aux temps bénis - je hais la démocratie,
je hais la démocratie - où seuls les riches cultivés sachant ce
qu'ils voyaient avaient le droit de voyager sans devoir bousculer de
sales et ignares et prétentieux et suants touristes rigolards comme
en Grèce à toute heure et par troupeaux - d'ailleurs on va y
revenir, j'espère bien qu'on va parquer tous ces bestiaux dans des
fac-simile comme à Lascaux
HARDT
VANDEKEEN "LUMIERES, LUMIERES"
VALERY
LARBAUD "...A.O. BARNABOOTH" 5 10 01 2
puisqu'il
s'en contentent, et moi avec mon fric et mon instruction je pourrai
me payer Venise tout seul et la Pointe du Raz tout seul vive la
parano bordel vive la parano...
Valery
Larbaud grand chantre de l'Europe aussi et pourfendeur des exotismes,
qui n'ont rien d'autre à proposer que des hamacs et de la beauté
sans engendrer jamais la profondeur du savoir et de l'homme empilé
sur des siècles comme Venise justement, alors que l'Amazone a plus
d'îles encore et plus belles mais avec seulement des singes qui font
crouï crouïc - tout de même bon, l'Amazone, là je déconne...
"L'Europe,
l'Europe" qu'il gueule sans sauter comme un cabri vu son asthme,
"là où dans les brouillards sont les bibliothèques" - en
fait, en fait, jamais moi le prolo dégrossi tout juste verni de
culture jamais je n'eusse trouvé grâce devant une telle
aristocratie issue de générations d'argent, moi qui toute ma vie ai
désiré enfiler des costumes trop larges pour moi : Don Juan
dépourvu de rouerie, écrivain sans moyens du moins de vente,
voyageur trop immédiatement ruiné - dès le troisième jour d'hôtel
- incapable aussi bien d'endurer le moindre inconfort.
J'ai
toujours été semblable à ce des Esseintes, toute aristocratie
british mise à part, qui fait sans cesse des valises et renonce ;
celui qui se lamente sur les quais de gare en voyant partir tous les
trains de la vie. Mais j'éprouvais parfois, comme Larbaud, ces
sensations de redites, de confusion, qui fait que tout lieu sur la
terre lui en rappelle un autre, pensant à Lisbonne lorsqu'il se
trouve à Yokohama, et à Dakar à Knokke-le-Zoute.
C'est
ainsi que rien ne ressemble plus aux rues piétonnes de Rodez que
celles de St-Jean-de-Luz, celles de Cognac à celles de Montaigu - la
France seule, Corse exceptée - traversée trop chère ! exorbitante
! - restant à ma portée. Tout chez ce vrai voyageur et chez ma
modeste personne jeansonnienne ("je-je-je") se superpose,
et jusqu'en sa richesse extrême on voit Larbaud le Grand se demander
ce qu'il faut faire encore pour être plus heureux, car il n'est rien
de plus déshérité comme chacun sait que d'errer par le monde,
accablé de richesses et cherchant au-delà comme un vulgaire pauvre.
Parler
de Baudelaire serait trop ou trop peu, quoiqu'il ne renie pas sa
dette, parler d'époques révolues sentirait son convenu (dépaysement
à la fois spatial et temporel) - c'est peut-être Corto Maltese,
d'Ugo Pratt, qui correspondrait le mieux au personnage de cet
armateur imaginaire nommé avec quel accent "A.O. Barnabooth",
je suis l'alpha et l'oméga. Cette courtoisie, cet appétit de
vivre, et ce détachement, et ces éternelles nostalgies d'Italie, de
"Basilicate funèbre".
C'est
une explication de texte assez docte qu'il faudrait en définitive,
sans crainte de pédantisme, tant les références s'entassent et
s'éclairent dans chacun de ces petits poèmes où s'enchaînent les
syllabes, les sons, les consonnes, les rythmes, avec une science si
consommée du génie français de la langue, mais comment
décortiquez-vous donc Franz Schubert, ô musicologues ?
HARDT
VANDEKEEN "LUMIERES, LUMIERES"
VALERY
LARBAUD "...A.O. BARNABOOTH" 5 10 01 4
Et
ce ne sont pas les rencontres que cherche Valery Larbaud, tout
éloigné d'un vulgaire Sylvain Auger, car les hommes sont partout
les mêmes, et les femmes amoureuses partout de leurs propres
reflets, pourrais-je dire en paraphrasant Baudelaire encore : celui
que le voyageur cherche n'est autre que lui-même, ou d'éphémères,
très éphémères intenses amitiés ou amours, encore qu'il n'en
parle guère, et non pas son voisin de palier quéchua ou papou qui
boit du sirop Teissère à rafraîchir dans son torrent du Vogelkopf
(Nouvelle-Guinée).
C'est
une solitude extrême qu'entraîne la mouvance, quels que soient les
fantômes, servantes d'hôtel effleurées ou vieilles épuisées dans
le compartiment d'un train, et la voluptueuse nostalgie de ces
espaces trop lointains à la fois sur la carte et sur l'infatigable
noria des calendriers : je suis né trop tard et trop pauvre, et trop
dépourvu de cette aristocratique sensitivité.
Il
faudra me borner aux tables des matières, "Les Poésies de A.O.
Barnabooth", chez NRF/Gallimard :
I.
LES BORBORYGMES 21
Prologue. 23
Ode. 25
Centomani. 27
Nuit dans le port 29
Le masque. 31
Océan Indien. 32
Nevermore... 33
L'Eterna voluttà. 34
L'ancienne gare de Cahors 38
Voix des servantes 40
HARDT
VANDEKEEN "LUMIERES, LUMIERES"
VALERY
LARBAUD "...A.O. BARNABOOTH" 5 10 01 5
Matin de novembre près d'Abingdon 43
Alma perdida. 44
Yaravi. 45
Mers-el-Kébir. 48
Voeux du poète. 49
Musique
après une lecture. 50
Scheveningue,
morte-saison. 52
Thalassa. 53
121
Ma
muse. 56
Le
don de soi-même. 57
Carpe
diem... 59
Images. 61
Un jour, à Kharkow... 61
Un matin, à Rotterdam... 62
Entre Cordoue et Séville... 62
Post-scriptum. 63
Madame
Tussaud's. 65
Etc...
Apparemment
oui, le seul hommage étant de lire et de sentir couler en vous
d'innombrables images. Ô ne rien faire, rester seul en voyageant
sans fin, sans rencontres pesantes, sans le pesant boulet de la
métaphysique, sans autre souci que d'être bien servi et dépenser
son fric en arrondissant des fins de phrases, cousant les mots d'or
de ses propres soieries...
HARDT
VANDEKEEN "LUMIERES, LUMIERES"
VALERY
LARBAUD "...A.O. BARNABOOTH" 5 10 01 6
Et
puis je lis aussi Robert Mallet page 7, et je m'aperçois que j'ai
cru, au premier degré, tout ce qu'il m'a été donné de lire. Je ne
pensais pas qu'il fût encore justifiable d'invoquer la plus ou moins
grande conformité entre l'auteur et l'homme... Pourquoi diable
réduire ainsi à cela ce que c'est que la critique, et n'y faut-il
pas voir là un effet de cette dictature culturelle des années 60,
lorsque régnaient encore en maîtres l'insupportable Marx et
Siegmund Freud ? - sans vouloir nier par ailleurs la similitude
entre ces deux fils de bourgeois rejetés et soumis au fameux
"conseil de famille", Valery et Larbaudelaire.
Tu
es bien banal, Robert Malet, mais d'un bien grand secours aussi.
Merci tout de même pour l'anecdote : "C'est Barnabooth",
dis-tu, "le mystérieux narrateur de ses frasques, le
milliardaire enfant gâté ; mais c'est aussi Valery Larbaud,
l'héritier d'une famille aisée, le mystificateur passionné de
vérité."
Je
ne peux résister à vous lire mon poème à moi, sur la neige, écrit
en portugais, français, allemand, espagnol, italien, latin, anglais
et catalan - c'est une incomparable prouesse - just listen:
Un
ano màs und iam eccoti mit uns again
Pauvre
et petits on the graves dos nossos amados édredon
E
pure pionsly tapàndolos in their sleep
Dal
pallio glorios das virgens und infants.
With
the mind's eye ti sequo sobre l'europa estasa,
On
the vas Northern pianure dormida, nitida nix,
Oder
on lone Karpathian slopes donde, zapada,
Nigorum
brazilor albo disposa velo bist du.
Doch
in loco nullo more te colunt els meus pensaments
Quam
in Esquilino Monte, ove della nostra Roma
Corona de platàs ores,
Dum
alta iaces on the fields so duss kein Weg seve,
Y
el alma, d'ici détachée, su camin finds no cêo.
Bergen-op-Zoom,
29. XII. 1934.
BERNARD
COLLIGNON LECTURES
VALERY
LARBAUD 53 02 18 64 07
22
Ecrit
à la main comme un glas. Relégation inexorable au samizdat,
Soljenitsyne, Pascal. Ténèbres extérieures. Jamais un auteur ne
resurgit. Il paraît ça. Ce privilège des sculpteurs et peintres ne
nous est pas concédé à nous. Léon Bloy revient ? « Die
Fackel » auch, von Karl Kraus.
Journal de Goebbels. Etranges cohérences. L'écrivain, comme
l'animal, regarde vers le sol, vers le bas de sa page, où bâtir -
pourtant excède tout animal (homo
computoris, lui,
lève ses yeux cernés de brillances frivoles) - j'achève Beauté
mon beau souci de
Valéry L. , conte de fées post-victorien (Tess d'Urberville
épouserait un jeune riche, oublieuse de son déshonnête fiancé
français). Brouillon de Proust.
Relent
de Hardy, pincée de Balzac. Je suis heureux du dénouement heureux :
argent, bonheur du monde. Et
par moments il semblait que la vie matérielle était enfin devenue
digne de l'esprit, et pouvait le satisfaire. « Apollon a bien
dîné quand il crie « Evohé ! » Je
le crie sur mes sommets forestiers - divins parchemins, et vous,
sublimes palimpsestes, épouse reprenant à l'huile des visages que
l'aquarelle excessivement pâlit, âmes secrètes et lumineuses
empesées d'honnêtetés et de provinces – placée devant la toile,
éclairage gauche arrière. Le jour baisse, dernières lueurs,
lecteurs un jour devant habiter là, lorsque
éclatera
le Choc des Civilisations, j'écris à la main, en vérité non
l'éditeur mais le monde même, l'homme se dérobe, ravalé,
profondément incurieux de nous - c'était
aussi l'époque des premiers rag-times et de la « fureur du
nu ». Le
rag-time « fut joué en 1897 aux States et fit son apparition
en France l'an 1913. » - toujours nous avions cru à
l'imminence d'un conflit.
Répète
après moi : « Je suis important ». Aux
devantures des boutiques luxueuses, dans les journaux illustrés,
partout, le regard tombait sur des photographies de baigneuses et de
plages jonchées de nudités féminines.
Apporte mon chocolat. Si
bien que l'homme que ses occupations ou son plaisir retenaient dans
l'atmosphère de bains turcs de la ville s'imaginait les côtes de la
Grande-Bretagne telles que durent apparaître aux yeux de Télémaque
les rivages de l'île de Calypso. L'abordage
des femmes est proscrit, les hommes mêmes baissent les yeux, en ce
temps-là nue signifiait montrant ses cuisses et son bonnete de
bain, qu'il était doux d'aimer, avec des pincements de cœur, à
l'ancienne. Un
millions de nymphes debout ou couchées, sur les grèves. Ces
eaux sont trop amères. Une salle entière et mixte fixait de
l'orchestre au balcon ce couple qui baisait; comme lui je suis
pénétré de respect pour toute œuvre - d'une seule idée, sans un
regard.
64
07 22
Et
puis dans ce volume inépuisable, où j'ai cru des années discerner
mon modèle, un modèle du moins de mon écriture, je suis parvenu à
ce délice de préciosité snob (ce mot veut dire « cordonnier »
en vieil anglais, ce qui fout en l'air la bonne blague du « sans
noblesse ») intitulé Jaune bleu blanc. Monsieur Valery
sans accent promène son panama et ses costars légers immaculés
sous les soleils de l'Italie, se réjouissant de rencontrer des
francophones, et de ne pas être obligé de partager cet éternel
présent, mortifère, des sous-préfectures ou leur équivalent
d'Itale. Ce qui le soutient, ce sont les paysages, monuments,
bâtiments, à condition de ne pas se mêler à la populace, et
désormais, curieusement, nous le comprenons, car une grande ère de
connerie criminelle semble désormais tomber sur nous comme une nuit
noire. Partout ce ne sont qu'adjectifs piquants, remarques
minimalistes s'alliançant avec des envolées célestes, et
dégustations de voluptés culturelles. Tenez : ces pas de
Valery mis dans les pas de Leonardi, suicidé à 39 ans, bel « amant
de la mort » disait Musset, autre immense poète romantique. La
vie de Leonardi s'est souvent écoulée dans le petit bourg de
Recanati au-dessus de l'Adriatique. Mais le château de famille
tournait le dos à l'agglomération.
La
vie de Leopardi semble aussi passionnante que son œuvre, asphyxié
qu'il était entre un père couardissime qui rêvait de fournir un
pape à l'Italie, et une mère atroce et rabrouante issue de la
paysannerie. Les deux plus radins l'un que l'autre. Et pour Leopardi,
pour Larbaud, rien de pire que de ne pouvoir sortir d'un lieu, d'une
ville, d'une paralysie, puisque ce dernier a fini hémi- ou
tétraplégique, horreur. Petit style délicieux admiré des ploucs,
jugez-en plutôt. Valery Larbaud sonde en effet les ondes
concentriques par lesquelles s'établit la renommée d'un grand
écrivain, mais avant guerre, autant dire en pleine préhistoire.
Nous parvenons au stade des « pèlerinages » : sur
les traces de Chateaubriand à Dol (et non pas Dôle) de Bretagne, de
Leopardi à Recanati, région des Marches, province de Macerata :
« Les noms de Stendhal, Taine et Paul Bourget illustrent ce que
je viens de dire.
« Ou
bien un écrivain qui est suivi par l'élite de la jeunesse, Maurice
Barrès, introduit dans son domaine linguistique le culte d'un grand
classique étranger, Gœthe (je renonce au parallèle avec le Moyen
Âge, trop facile). Mais le culte du héros littéraire étranger
consiste, forcément, moins dans l'étude de son œuvre (étude qui
ne peut être directe que pour un nombre limité de fidèles) que
dans la contemplation de l'exemple proposé par sa vie, par son
caractère, par son attitude à l'égard de son art et par la ligne
générale de sa conduite, toutes choses qui ont pu être plus ou
moins dénaturées, stylisées, arrangées par son introducteur. Ce
culte, par sa nature même, est destiné à changer de forme tôt ou
tard et à devenir un culte restreint, limité aux seules personnes
qui peuvent étudier directement, dans la langue originale, l'œuvre
de l'écrivain. Cependant, c'est-à-dire aussi longtemps que sa vogue
dure, ce culte peut exercer une influence salutaire et servir de voie
de communication et d'échange entre les élites de deux domaines
linguistiques ».
Cette
longue citation imite celles de Péguy, tout aussi malencontreuses,
et recevra sa petite monnaie. Stendhal passa une nuit au relais de La
Ciotat, et le bâtiment est resté debout : une plaque le
mentionne. Le petit gros mal embouché en serait le premier surpris.
Taine et Paul Bourget se sont effondré dans le précipice des
vieilles gloires, le premier déduisant les caractéristiques des
races en fonction de leurs climats, ce qui fait facho, Paul Bourget
n'étant parvenu à se hisser qu'au niveau des feuilletonistes de
Nous Deux. Au moins reste-t-il superficiel et français, alors que
Schnitzler nous ensevelit sous sa choucroute garnie. Péleriner pour
Taine, ce serait (je consulte) visiter Vouziers, où mon père a
vécu. Pour Paul Bourget, devenu « antidreyfusard, ignoré
voire méprisé », la question ne se pose même plus. Nous
touchons encore aux grands mythes de la prédestination, au salut
éternel, à la gloire ici-bas : nos radotages amènent à
penser que de nos jours, le peuple occupe le devant de la scène, car
tous ces bourgeois coincés de Recanati ou de Belley dans l'Ain sont
condamnés à mort aussi bien que les Valeru Larbaud ou ses
prétendues « élites de la jeunesse ». Nous avons
découvert, ou plutôt feint de découvrir, que les « civilisations »
sont « mortelles », mais écartant un peu plus nos doigts
écartés de nos paupières, nous avons frémi de constater ceci :
Balzac, Platon, Aristote, ne furent pas plus immortels que M. Dugland
ou Sua Santitá il Papa. Hugo disait pour Honoré « de tels
cercueils font croire à l'immortalité ». Mais le bon peuple,
ou le peuple féroce, ne veut connaître que le coup de faux
égalitaire et vengeur : et comme il n'y a plus de Dieu, ou
qu'il est aussi bien le Néant que lui-même, la célébrité post
mortem ou même à 50 ans s'est enfoncée dans la désuétude.
Qui ne s'impose pas d'emblée ne s'impose jamais. Même les grands
ont leurs nègres. Même Hugo a dû ramer pour imposer ses
« Misérables » : ils étaient « trop sales ».
Et la jeunesse ne veut plus d'élite, fût-ce en son sein. Ou alors,
elle est tout entière « l'élite », au seul motif
qu'elle est née plus tard. Les survivants des camps sont célébrés
comme des héros, alors qu'ils n'ont fait que survivre, justement. La
valeur, c'est d'être en vie. Nous avons même des guignols qui
s'imaginent résister au terrorisme en continuant de boire en
terrasses de café : la gloire n'est jamais tombée si bas.
Barrès lui-même, confondu par les ignares avec son adversaire
Maurras, n'est plus qu'une occasion de cracher.
HARDT
VANDEKEEN "LUMIÈRES, LUMIÈRES"
PIETRA
Régine « L'idée fixe » ou
le mal de Teste 64
Revenons,
bien à notre corps défendant, sur cette fameuse série des «Cahiers
Paul Valéry », publiés en 1977 et fauchés à la Bibliothèque
municipale d'Arès avant dépôt dans une petite boîte en bois de
jardin public. Ce tome 2 s'intitule Mes
théâtres, et
nous rend compte des tentatives de représentations auxquelles se
livra Paul Valéry. Ma'af,
notre
galaxie se propulse dans l'univers à une vitesse croissante, et ces
époques d'écrivains bien vendants et très bien vêtus ressemble de
plus en plus aux débris de civilisations disparues, celles qui sont
mortelles. Valéry avait tenu registre de ses pensées abstraites et
préoccupantes, sous forme de journal intime et philosophique. La
série « Monsieur Teste » se conjuguera selon deux
paradigmes, la séparation du moi et de moi-même, autrement dit
Narcisse témoin, voire espion de Narcisse, et aussi, par conséquent
et
deuxièmement,
le « fonctionnement » du moi intérieur.
Notons
que selon une théorie qui nous est chère, le cerveau et le cœur
de Narcisse reflètent l'univers entier, observant ainsi dans
son reflet le
mécanisme du microcosme et du macrocosme. Nous portons tous en
nous-même la totalité du monde et des hommes. Plus nous nous
connaîtrons
nous-mêmes, plus nous comprendrons les autres, ces fameux autres
dont on nous rebat les oreilles. Quant
au thème de l' « idée fixe », il s'agit d'un jeu de mot
très fécond, d'après lequel nous essayerions de fixer l'idée, de
façon abstraite ou plutôt absolue, alors que fixer l'idée revient
déjà
à
modifier l'idée observée. Nous n'en sortirions pas, et ces apories
peuvent sembler vaines, un peu comme les énigmes policières du
Journal de Mickey, le
vrai, celui
des années 50.
Avant
de passer à la longue citation qui va suivre, ajoutons que les
diverses tentatives théâtrales de notre moustachu se trouvent ici
passées au peigne fin, alors que ces débats philosophiques pour
anciennes classes de terminales semblent désormais bien déconnectés
de nos préoccupations, car nous sommes devenus superficiels,
pratiques, et parfaitetement
cons. Voyons si la fréquentation du texte de Régine Piétra peut
nous inspirer une ou deux pensées, en conclusion de ce volume
fastidieux et dépassé : Valéry
voudrait cerner, délimiter, définir peut-être, ce que c'est qu'une
idée. Or, habituellement, notre cerveau n'est qu'un vaste brouillard
disparate, où « relations » et « coordinations »
ne sont que des vœux
pieux. Régine Piétra, à grand renfort de citations ou de
paraphrases (nous vous épargnerons les références précises) nous
dit ce qui suit :
HARDT
VANDEKEEN "LUMIÈRES, LUMIÈRES"
PIETRA
Régine « L'idée fixe » ou
le mal de Teste 65
« Si
les relations se coordonnent, ce qui était diffus, général, étalé,
se resserre, se spécialise : « nous entrons dans le monde
de l'attention ». Mais
cette concentration des énergies – comme dans « un espace où
l'on produit un champ magnétique » - ne saurait durer. L'idée,
par nature, ignore le temps. Sa fulguration est essentielle à son
existence. Comme le cogito cartésien, elle est instantanéité,
ponctualité. « […] tout ce qui vaut dans la vie est
essentiellement bref. » De sorte que l'idée fixée devient
bientôt écharde dans la chair. » De quoi en vérité exciter
cette sorte de rage qui nous tient lieu de verve, ou sorte de rave
qui nous tient lieu de verge. L'idée, ou plus exactement son
surgissement, foudroie comme l'éclair : il plaît à Valéry de
se la figurer ainsi, sous forme de point, d'où le terme de
« ponctualité », le fait d'être un point.
Mais
c'est là un point de vue d'orgasme masculin. Le féminin, paraît-il,
s'allonge
dans le temps. Ensuite, la métaphore devient confuse : comment
un point brûlant, l'idée, peut-elle être « une écharde dans
la chair » ? dans
l'esprit, certes, comme tout problème irrésolu, comme toute aporie.
Valéry
ressent donc cette impossibilité de repérer l'instant comme une
exaspérante écharde. C'est son
problème. La
commentatrice tisse son propos de citations exactes, que nous ne
mentionnons pas toutes, pour ne pas hacher menu cette lecture. « Il
faut renverser le rapport habituel qui lie le corps à l'éphémère
et l'esprit à la durée. C'est le contraire qui est le vrai. Le
corps supporte, endure ; l'esprit refuse tout établissement. On
ne peut s'y installer. « […] toute pensée qui dure un peu
plus qu'il ne faut, se fait sentir…
Sentir,
comme un écart.
Un
écart à quoi ? Elle
se fait pénible, - sensation. »
Notre
Paul Valéry introduit ici un corps qui n'y a que faire.
Nous
concevons cependant qu'un problème insoluble, rendu insoluble par
les a
priori, tout
à fait personnels, de Paul Valéry, ait pu endommager son corps
comme une intrusion, qui écarte la peau comme une écharde,
obsédante et piquante comme elle. Nous pouvons nous demander, après
tant de philosophes, si l'idée reste idéale, ou si c'est un
phénomène corporel. De là à ressentir cela comme une obsession,
il y a une marge. Tolérons, depuis
les
bas-fonds
de notre stupidité, les égarements de notre grande âme, de notre
Mahatma Valéry.
Il postule cependant un peu trop, à notre goût vulgaire, ses
tourments personnels en tant qu'universels. « On songe à une
résistance introduite, et qui transformerait en un fait de l'ordre
sensible ce qui est empêché de suivre son cours dans l'ordre des…
idées. Vous
avez donc une sensation de peine qui altère, brouille, absorbe
bientôt
HARDT
VANDEKEEN "LUMIÈRES,
LUMIÈRES"
PIETRA
Régine « L'idée
fixe » ou
le mal de Teste 66
votre
pensée, - comme la fixation par l'œil,
la contemplation continue d'un point, fait disparaître ce point,
altère la perception. Impossible de s'attarder. »
L'idée,
comme l'esprit, est évènement.
Ils
ne connaissent qu'un seul temps : le présent. L'expression
présence d'esprit serait problématique. Les dimensions temporelles
n'existent qu'en fonction du présent, gros d'ailleurs de tous les
possibles qui prétendent à l'existence et qui constituent notre
« implexe ». Ou « nœud
interne », nexus.
Le
mot est repris
par
Valéry, je cite : « L'implexe
que
j'ai mis dans L'Idée
fixe –
est le reste
caché structural et
fonctionnel
(non le sub-conscient -) d'une connaissance, ou action consciente »
- il écrit cela dans son Cahiers,
t.
XVII. Les vrais Cahiers
de
Valéry, et non les Cahiers
sur
Valéry, qui contiennent aussi le verbe « chier », ce à
quoi je n'aurais jamais pensé
en lisant Valéry lui-même.
Nous
vous épargnons la référence à Derrida en fin de note, car nous
aimons la clarté de la langue française. Toujours est-il que la
rédactrice de cet article, insérant sans cesse dans sa laborieuse
dissertation des citations de Valéry entre
guillemets, en arrive à se fondre avec
la
démarche de
ce dernier comme
le crapaud dans le goudron fondu, et
ne s'avise même plus que la démarche dudit Valéry est particulière
audit Valéry, et ne nous concerne pas forcément. Elle dit « vous »,
et je pense « lui ». Valéry suit un chemin escarpé,
mais personnel, avec un vocabulaire personnel, des notions
personnelles et une façon personnelle de les interpréter. Il
semble qu'il s'égare dans ses propres broussailles, et tente de
poursuivre une démarche dans une perspective ontologique
philosophique, alors que la neurologie serait bien plus à même de
lui fournir une espèce de réponse.
Ce
qui ne révélerait
pas le mystère de la formation de la pensée, de l'idée. De même,
notre connaissance de l'atome ne nous a pas renseignés sur la
formation proprement dite de la matière. Soit. Poursuivons
la démonstration, ou plutôt l'exhibition de notre
imperméabilité (car de plus, la rédactrice et non pas la
rédacteure, ô féministes ignares, donne dans la digression de
remplissage) : « Il ne sert à rien de parler ici de
mémoire ; d'ailleurs « nous ne savons rien de cette
illustre et inconcevable propriété ». Ce qui nous est donné
n'existe qu'en fonction de l'actuel qui joue le rôle d'un pôle
d'attraction ; ainsi, réentendu dans six mois, le nom du
docteur pourra suffire à « rappeler
HARDT
VANDEKEEN "LUMIÈRES,
LUMIÈRES"
PIETRA
Régine « L'idée
fixe » ou
le mal de Teste 67
ce
bel endroit où nous sommes et l'enveloppe externe de nos débats ».
Si le présent ne l'utilise pas, le passé est déjà mort :
« Un souvenir isolé, et que rien ne renforce plus, est à la
merci. »
« Cet
impérialisme du présent, qui convoque le passé et annexe le futur,
tient au fait que la pensée ne se sépare guère du mot qui la
profère. La rage de l'expression, la conjugaison, ici et maintenant,
« à tous les temps et à tous les modes » constituent la
pointe médiane de ce trident qu'est la temporalité : pointe
qui touche au centre de là cible, là où on l'attend parce qu'on a
calculé son entrée, à propos : « L'à
propos est
l'intelligence de l'Implexe. » C'est-à-dire que l'à propos
n'est pas la spontanéité. » Le
docteur, c'est celui que rencontre Paul Valéry, appelé « Moi »,
et le médecin qui l'aidera dans sa recherche philosophique. Pierre
Fresnay jouait le Moi, Julien Bertheau le docteur.
Nous
suivons tant bien que mal ces idées qui surgissent comme autant
d'obstacles buissonneux sur le chemin qui monte. Les concepts
inadaptés, « mémoire », « spontanéité »,
sont écartés. Nous savons du moins ce que l'Implexe n'est pas, un
peu comme pour Dieu.
Mais puisque, faute de comprendre la démarche saisie de l'intérieur,
nous nous attachons à son extérieur, à son aspect épistémologique,
il se fait jour dans notre cervelle que Paul Valéry non seulement
s'égare dans la philosophie, mais, plus grave, dans le littéraire.
Et débrouiller le littéraire est encore plus difficile que de
nettoyer les parties sexuelles de ses parasites. L'à-propos
serait donc un instinct mystérieux que nous aurions, comme celui de
renvoyer le tir au but au dixième
de seconde.
La
spontanéité seul n'y suffirait pas : « Celle-ci est
trompeuse. Le présent se prépare et s'attend. La notion d'imminence
– qui
joue chez Valéry un rôle important – se trouve relayée ici par
celle de pressentiment.
Assurément
ce n'est pas une simple « réminiscence » que
cette pensée qui, comme chez Platon, se fait reconnaître,
« […]
l'esprit reconnaît ce qu'il désirait… Et cependant… il ne
connaissait pas ce qu'il reconnaît… Mais il ne pouvait s'y
tromper »… On sonne à la porte et on attend. « Mon
hésitation à ce point se changera en réponse, - en lueur, - en
évènement. »Nous sommes toujours dans la recherche « à
l'antique », trébuchant de mot en mot pour les éliminer. Y
a-t-il de la conscience dans la reconnaissance instinctive ?
HARDT
VANDEKEEN "LUMIÈRES,
LUMIÈRES"
PIETRA
Régine « L'idée
fixe » ou
le mal de Teste 68
Ce
n'est plus une aiguille, mais une pointe d'aiguille que nous
cherchons dans une botte de foin. Cette pointe, ce surgissement de
l'évènement, est-elle pourvue d'une conscience, qui serait en même
temps la pointe de notre conscience, transférée d'un point à
l'autre par un phénomène d'étincelle magnétique ? Cet éclair
de conscience viendrait-il de nous même, ou d'une transcendance,
d'une historicité préalable et latente ? « Une certaine…
tension se changera en acte – en parole, en phrase... »
Aborder
le temps autrement, avec un agenda, en sécrétant du lendemain ou
encore formuler des promesses, concevoir des espoirs, c'est ne rien
penser et ne rien dire. L'esprit ne veut le temps qu'instantanément
maîtrisé et à son profit. Bien plus, il fait quelquefois ce pari
d'essayer, par son propre effort, de le supprimer. C'est ans doute la
gageure tenté par Edmond T. « venu dans ses rochers… pour
faire des exercices d'adaptation spéciale à chaque pas… pour
rompre un cycle, celui de l'idée fixe. Il nous prévient, dès le
prologue : « Je trouvais en moi le désir insensé de
faire par l'esprit en quelques instants ce que trois ans de vie
eussent peut-être fait. Mais comment produire du temps ? »
Engendrer le temps afin d'obtenir, à sa guise, cette usure, ce lent
dépérissement qu'il est seul à opérer. » Mais le temps est
une impureté.
Il
est une dimension humaine. La recherche de la nature de l'Idée, de
la déesse Idée, fait place à celle de l'être humain, tributaire
du temps, que
Valéry avait orgueilleusement, ou imprudemment, ôté de son
raisonnement, de sa quête. C'est
ainsi qu'il nous est quasiment impossible de concevoir le
milliardième de seconde qui aurait connu le Big Bang ou le Grand
Boum. Dans notre cerveau, la foudre de l'Idée peut-elle
se mesurer en étalons de temps. Quant
à Edmond T., c'est monsieur Teste, à prononcer Tête, comme sur le
bassin. D'Arcachon.
.COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
JUNG
CHANG « L'IMPÉRATRICE CIXI » 64 08 01 69
Jung
Chang est une Chinoise occidentalisée, née en 1952, garde-rouge en
1964, puis « médecin aux pieds nus », puis épousant un
certain John Halliday et rédigeant en anglais, d'abord une
biographie de Mao-Zedong, et, en 2015, une biographie de Cixi,
dernière impératrice du Japon, avant Pou-Yi, « le dernier
empereur ». Nous avions l'habitude de voir «Tseu-Hi »,
mais le pinyin, transcription du chinois en caractères latins, nus
impose C-I-X-I, que notre oreille intérieure identifie malgré tout
à « Si-Ksi », ce qui est d'un certain embarras. Ce n'est
que récemment (à l'échelle de l'Histoire) que les archives
complètes de ce long règne glorieux et perplexe ont été dévoilées
dans leur intégralité.
Mais
depuis fort longtemps la Chine grouille de Chinois comme l'Europe
d'Européens, et notre autrice (un acteur/une actrice donc un
auteur/une autrice), traduite pas Marie Boudewyn, se fondant sur une
multitude de documents, s'évertue à nous citer en fin de livre
toutes les références et les sources : un grouillement où le
pauvre Occidental se perd, de même que parmi les innombrables
acteurs de ce règne fourmillatoire.
C'est
comme dans Le château
de Kafka, ou tout
roman feuilleton qui se respecte : un nom en amène un autre,
puis d'autres surgissent, unis en un tissu vite inextricable, à la
façon, dont le mésentère
nous relie à tous les entrailles pour leur éviter de ballotter dans
la cavité abdominale. Et nous pourrions parler de la physique, de la
chimie, de la médecine, puisque tout feuilleton, toute biographie
comme ici, n'est que le débouchage incessant d'une pièce dans une
autre, d'une explication dans une autre, d'un lien de parenté dans
un autre. Ce qui donne à
penser que la forme fondamentale, que la constitution originelle de
tout ce qui existe est tout bonnement le labyrinthe, que toute
structure cognitive, historique, biologique
ou littéraire se fonde
sur un labyrinthe, et que tout labyrinthe recèle ses propres
structures à découvrir sans trêve ni repos.
À
ce perpétuel va-et-vient du simple au complexe va se mêler dans
notre cas particulier de l'Occident penché sur l'Orient des noms
propres, de personnages tous plus influents les uns que les autres.
Or, la langue chinoise présentant à nos oreilles (sans parler de
l'infernale transcription pinyin censée nous faciliter la tâche, tu
parles) des sonorités exotiques, à base de sifflantes, chuintantes
et .COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
JUNG
CHANG « L'IMPÉRATRICE CIXI » 64 08 01 70
autres
fricatives, le béotien européen s'égare entre tous ces Tching
Tchang Tchong et finit, s'il n'est pas attentif, par confondre tout
un chacun avec tout le monde. Il serait expédient de
traduire dans la mesure du possible toutes ces identités, ce qui
donnerait « Boit-Sans-Soif », « le Noir »,
« Furibond » ou « Bouton de Rose ». Mais les
puristes se récrieraient,
en hurlant à la désinisation, à l'ethnocentrisme et que sais-je
encore. Il n'est pas question ici pour nous de retracer
tout le règne de cette parvenue Tseu-hi
(toute personne de pouvoir
est parvenue), qui régna comme régente ou comme remplaçante d'un
mari mort jeune, d'un fils débile ou d'un enfant adopté
complètement névrosé voire nécrosé : consultez votre
Wikipédia, car, comme c'est écrit quelque part, à quoi bon le
savoir.
Sachez
simplement qu'après avoir longtemps moisi dans ces fameux harems où
les femmes se frottaient ensemble par paquets de cent à longueur de
vie, tout en boitillant sur des pieds bandés et c'est bien tout ce
qu'elles pouvaient voir de bandé, les contraignant gémir
sur leurs moignons durant mille années (Tseu-Hi a supprimé cette
barbarie), l'impératrice dut faire face aux appétits effrénés des
puissances étrangères, qui multiplièrent les comptoirs
(« Tsingtao » pour les Allemands, qui donnèrent ce nom à
la première bière germanique chinoise) (sans compter Changhaï,
Macao, Hong-Kong ou « Rivière Parfumée », c'est la
même). Les Japonais, les Russes, lorgnaient aussi sur l'Empire du
Milieu, chacun voulant se tailler un morceau comme les salauds qui
découpent en tranches les ventres de tortues vivantes bloquées sur
le dos).
Le
seul remède était un gouvernement à l'occidentale et
l'introduction d'une presse, d'une espèce plus ou moins boiteuse de
démocratie, ainsi que l'abandon de certaines
pratiques gestionnaires paralysantes et inadaptées. Vous
verrez, lorsque débarqueront les extra-terrestres, les longues
tronches que vous tirerez…
Cela donne pour
la Chine un salmigondis
extrêmement judicieux, bien dosé, ourdi décennies après décennies
par une femme qui unifia l'Empire au sein des plus grandes
difficultés de son histoire. Les
oppositions écartelèrent sa volonté, entre ceux qui estimaient que
vraiment Sa Majesté allait trop vite, foulant aux pieds l'ancestrale
tradition divine, et ceux qui auraient voulu aller tellement moins
progressivement, quitte à trahir le pays lui-même, qui n'existe pas
suivant les macronistes de l'époque.
.COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
JUNG
CHANG « L'IMPÉRATRICE CIXI » 64 08 01 71
Après
sa mort, elle fut déterrée pour que les révolutionnaires, race
éminemment désintéressée comme chacun sait, profitassent de ses
richesses ensevelies et laissassent son cadavre à 'air libre. Et
puis tout alla très vite, de République en Tchang-Kaï-Tchek et de
ce dernier en Mao-Dzédong, ce qui signifie « Poil-de-Chat ».
Ces luttes pour le pouvoir se retrouvent chez les progressistes comme
Atatürk, aussi bien que chez les premiers capétiens français, où
l'on se foutait sur la gueule pour gagner quelques lieues carrées.
On retrouve les mêmes tensions chez tous les empereurs de Chine ou
tous les Seigneurs de la guerre du Japon.
Aussi,
au lieu de vous trimballer au sein des convulsions d'un empire ou
d'une époque à peu près interchangeables, vais-je rétrécir la
focale sur l'année 1898, après la cession (l'année précédente)
de Hong-Kong à la couronne britannique). Tseu-Hi faillit se faire
descendre par un complot, selon un processus bien connu, mais que
voulez-vous, l'humain est monotone. L'empereur s'appelle Guang-Xu. Il
a 27 ans, mais n'a que la maturité d'un gosse soumis à sa maman,
ici adoptive, l'impératrice. Cette dernière ne peut, rituellement,
intervenir qu'en sous-main. Et puis, une armée de fonctionnaires qui
ne servent à rien (puisque tout le monde le dit) et de puissants
provinciaux préfèrent soutenir une impératrice-mère expérimentée
plutôt que d'emboîter le pas à l'empereur, dont il est pourtant
très dangereux d'enfreindre les ordres.
Un
intrigant nommé Kang « le Renard », (« Hùli »,
mais merci pour le surnom) écrit à l'empereur, lève des pétitions,
le flatte et le flagorne (« vos yeux lancent des éclairs »),
se lie avec un général qui concentrera ses troupes près du palais
d'été de l'Impératrice, et propose même à un Japonais éminent
le poste de premier ministre, carrément. Mais le général cafte
tout cela immédiatement, et l'Impératrice,
revenue de sa villégiature dorée, fait
incarcérer l'empereur
faible dans une île dans
un lac dans le palais. Fini la mumuse, le débilos. C'est maman
adoptive qui reprend la balle, et, chose extraordinaire, sans
effusion de sang (alors que les complices de son fils voulaient un
grand massacre, en particulier de la « Sale Vieille »,
merci pour le surnom).
Notre époque n'est plus violente, pas en
Europe en tout cas, bande
de trouillards. L'impératrice
a toujours été considérée comme clémente, parce qu'elle ne
faisait pas systématiquement exécuter
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
JUNG
CHANG « L'IMPÉRATRICE CIXI » 64 08 01 72
toute
une famille à la suite d'un crime de lèse-majesté, mais châtiait
seulement le coupable, avec le moins de tortures possibles. Eh bien
dans ce complot précis, que des emprisonnements, que des exils dans
de lointaines provinces du sud. Ensuite, les conseils
gouvernementaux reprirent avec tout le cérémonial traditionnel.
Mais personne ne voulait encore de république : les rapports
des Empereurs avec le peuple se modelaient en effet sur ceux d'un
père ou d'une mère (c'était rare) avec leurs enfants. Et dans une
famille nombreuse, que serait-ce si les parents n'exerçaient pas
leur autorité absolue sur leurs mouflets de 27 ans ?
Réponse :
une colonie de vacances pendant un grève des moniteurs. Alors, le
modernisme, oui, les réformes, oui, la chienlit, non. Prenons
le texte, aux éditions Jean-Claude Lattès, dernier paragraphe,
silence au fond : « Kang aurait du être le premier visé,
mais Cixi réagit deux jours trop tard. Le Renard comprit que sa
combine était éventée en apprenant que le général Yuan refusait
de se compromettre – de même, d'ailleurs, qu'un autre conspirateur
répondant au nom de Bi, enrôlé pour tuer Cixi. Ce Bi relata par la
suite sa visite à Tan, le jour suivant à l'aube. « M. Tan se
peignait d'un geste alangui »,
raconte-t-il. Tan informa Bi que le général ne s'était engagé à
rien. » On croirait des noms de héros de BD : Tan, Bi,
pour vous. « Bi demanda : « Êtes-vous sûr que Yuan
soit l'homme indiqué pour une telle mission ? » Tan, qui
se méfiait à l'évidence de Yuan, répondit : « J'en
ai discuté à maintes reprises avec M. Kang, mais il n'en démord
pas : il veut faire appel à Yuan. Qu'y puis-je ? »
Bi s'étonna : « Vous avez mis
Yuan au courant de
tout ? » L'autre le lui confirma
et Bi s'exclama : « Nous sommes fichus. Nous sommes
fichus ! Vous ne vous rendez donc pas compte de quel genre de
machination il s'agit ? » Le général Yuan devait en
effet creuser le sol à proximité du Palais d'Été de
l'Impératrice, sou prétexte de récupérer un trésor d'or et
d'argent, afin de recapitaliser les finances publiques :
astucieux, non ?
« Vous
ne pouvez pas en parler à la légère ! Je crains que vous et
vos familles ne finissiez entre les mains du bourreau ! »
Là-dessus, Bi s'enfuit à la hâte, abandonnant les conspirateurs à
leur sort.
« Le
Renard rendit quant à lui visite à deux
ressortissants étrangers : Timothy .COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
JUNG
CHANG « L'IMPÉRATRICE CIXI » 64 08 01 73
Richard,
un de ses amis, missionnaire baptiste et gallois, et Ito – la
veille de son audience avec Guangxu. Kang cherchait alors à se
réfugier en lieu sûr. Cultivant l'amitié de fonctionnaires et de
lettrés, Richard connaissait beaucoup d'hommes influents, dont le
comte Li. » Révision : l'empereur, qui voudrait faire
tuer sa mère adoptive, c'est Guangxu, Il donne audience, et presque
toujours, après une audience, on est promu. Un missionnaire
« baptiste et gallois », c'est un cumulard de la
ringardise, mais ça peut toujours servir. Ito, c'est le Japonais qui
préparait la collaboration entre guillemets de Chine et du Japon,
vous voyez tout de suite au profit de qui.
Le
comte Li, je ne sais pas qui c'est, car ce livre, Dieu merci
d'ailleurs, ne comporte pas d'index. Mais pour cette fois, il nous
aurait été utile. En tout cas, la main de l'étranger est là.
Méfiez-vous des étrangers. Que vont devenir les conjurés ?
Mon cœur défaille, volcanique : « Il rêvait non
seulement « d'établir le royaume de Dieu » sur le sol
chinois, mais aussi de diriger le pays - »de réformer la
Chine, remodeler ses institutions et, en résumé, de se charger de
la gouverner », comme le nota Robert Hart, à qui une telle
perspective semblait « par trop délicieuse ! » Les
diplomates britanniques, eux, jugeaient « absurdes » les
projets grandioses de Richard. (Il
voulait entre autres que « deux gouvernantes étrangères
entrent au service de l'impératrice douairière ».) Kang avait
recommandé à Guangxu de réserver au missionnaire une place dans
son conseil consultatif, qui n'inclurait qu'un seul autre étranger :
Ito. Richard lui en fut reconnaissant.Il s'empressa pour l'heure de
rameuter des appuis à Kang ; en vain, compte tenu, selon
Richard, des « mauvaises dispositions » envers Kang de
l'ambassadeur britannique, Sir Claude McDonald.
« Ito
n'offrit pas l'asile à Kang au sein de la légation japonaise. »
Les collabos n'ont pas pu monter dans les camions, pas plus à Vichy
qu'en Algérie après le
cessez le feu. Le
missionnaire pourra toujours repartir sans emmener ses convertis.
Mais sa revue imprimée
avait influencé les
courants réformistes. La douairière, c'est Cixi, veuve d'un autre
empereur (Xiangfen) depuis 1861, et qui conserve certaines
prérogatives. Son nom, Cixi, qu'elle
a choisi, signifie « Mère
vénérable ». Déjà du vivant de son mari, elle participait
au pouvoir, ce qui était parfaitement scandaleux. « Le
marché qu'ils avaient conclu ne
supposait certainement pas de confier à une bande d'amateurs la
mission ô combien hasardeuse d'assassiner l'impératrice douairière.
En plus, Ito devait rencontrer l'empereur le lendemain. Cela .
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
JUNG
CHANG « L'IMPÉRATRICE CIXI » 64 08 01 74
ferait
mauvais effet que Guangxu lui demande de lui livrer Kang.
Le Renard se vit donc dans
l'obligation de quitter Pékin, dont il partit aussitôt. Le temps
d'ordonner son arrestation, il quitta Tianjin à
bord d'un vapeur britannique à destination de Shanghai. » Oui,
voit-on franchement l'empereur demander à Ito de lui livrer Kang,
alors que ces deux derniers se trouvaient complices. Tianjin, c'est
évidemment Tien-Tsin. « Là-bas, sur le quai, « des
inspecteurs et des policiers » l'attendaient « fébriles
à la perspective d'empocher les 2000 dollars » promis en
échange de sa capture. Les journaux attribuant à Kang la paternité
des réformes (et compte tenu du secret gardé à la cour sur le rôle
de Cixi dans l'affaire), le consul général britannique Byron Brenan
voulut sauver la peau de Kang, comme il le relata plus tard. Ne
pouvant, en qualité de représentant officiel de la Grande-Bretagne,
s'y risquer au grand jour, il envoya en mer le correspondant du
Times, J.O.P.
Bland, à bord d'une chaloupe, juste avant l'accostage du vapeur ».
« John Otway Percy
Bland », 1863-1945, vivait en Chine à l'époque, et s'occupait
du Conseil Municipal de Shangai, tout en rédigeant des piges bien
rémunérées. « Une
canonnière britannique conduisit ainsi Kang à Hong Kong. Là-bas,
le consul japonais lui rendit visite et l'invita à séjourner au
Japon ». Comme vous le voyez, la Chine était grignotée par
les concessions étrangères, dans un statut parfois semi-colonial.
Le mot « canonnière » en dit long. « Aux dires de
Kang, qui ne tarda pas à débarquer au Japon, Tokyo « chérissait
l'aspiration à construire une Grande Asie orientale ».
« Le
lendemain de l'audience d'Ito, son bras droit Liang demanda asile à
la légation japonaise, qui l'aida à se réfugier au Japon. Une fois
coupés ses cheveux qu'il attachait d'ordinaire en une longue queue,
et habillé à l'européenne, il prit place à bord d'un navire de
guerre japonais sous la protection des Japonais à Tianjin.
« Tan,
le radical qui prônait la violence, reçut lui aussi une proposition
d'asile au Japon. Mais il la refusa. » Voyez comme la Chine
était ligotée par tous ceux qui convoitaient ses richesses. Et ne
jugez pas sévèrement l'impératrice Cixi. Par la même occasion,
épargnez-nous par pitié « il a gagné une bonne virole en
chêne » et autres « arriver à pied par la Chine ».
En revanche, nous apprécions beaucoup « La Chine renouvelle
son soutient au Pakistan ». Ciao !
Zài jian !
BERNARD
COLLIGNON LECTURES
PESSOA « POESIA »
- I (63 11 06) 64 08 07 75
Ce
fut une longue aventure. Une commande cours de la Marne, à
l'épicerie portugaise « Oui, nous pouvons vous commander,
aussi, des volumes de poésies ». J'en ai obtenu II, présentés
par António
Quadros, le tome I présentant les productions en portugais de 1902 à
1929, après une longue, une interminable et très fouillée
dissertation sur tout ce que l'on peut dire de Pessoa, de son enfance
à Durban puis aux Açores, de ses hétéronymes, de ses sentiments
de ceci, de cela,, une documentation, une somme, un assommoir. Et
tout en portugais, puisqu'il est aussi facile de lire cette langue
que difficile à comprendre. Il faut savoir qu'hélicoptères, en
portugais, s'écrit
helicópteros
mais
se prononcera [lipch],
de
l'aveu même de ma collègue de langue.
Aussi,
pour enseigner le portugais, elle interdit d'écrire ou de lire,
projetant les élèves en pleine matière auditive, afin qu'ils ne
soient pas tentés de reconstituer à partir d'un texte ce que l'on
entend : la démarche inverse, partir de l'oreille pour
descendre à l'écriture, se révèle bien plus facile et féconde. À
Lisbonne, pour celui qui n'a su que lire, il est à la lettre
impossible de s'y retrouver parmi ces voyelles sonores et impératives
embrouillées dans un fouillis de consonnes chuintantes. Le pire est
encore d'essayer d'omettre, soi aussi, des syllabes : un peu
comme les étrangers qui s'imaginent faire « français »
en prononçant « intressant » ou pis encore
« quelk'chose » alors que nous disons, n'est-ce pas,
« quèkchose » : les Lisboètes ne comprennent pas
mes omissions, parce que je n'y mets pas l'intonation, le
sous-entendu imperceptible et
ultraprécis que
tous les Portugais trouvent, bien entendu, parfaitement évident.
Je
me fatiguais donc à prononcer de mon mieux, selon la « prononciation
Assimil », ce texte de haute valeur qui ne faisait pour moi que
retarder l'accès aux vers proprement dit de notre poète. Une telle
étude, aussi fouillée, sur près de quatre-vingt dix impitoyables
pages en italiques, m'eût semblé bien plus indiquée en postface.
Lisez donc plutôt, en apnée, Le
livre de l'intranquillité. Lisez
aussi Le
banquier anarchiste, en
évitant les récupérations moralisatrices : non, Pessoa
n'appartenait pas à notre époque gavée de moraline et de
prêchi-prêcha niais à chier. À
12, 13, 14 ans, Fernando versifiait déjà, en anglais ou en
portugais. Ce
n'était pas encore parfait, mais l'éditeur nous les présente « à
titre documentaire ».
Il
a perdu très tôt son père, son frère et une demi-sœur
tus deux en bas âge. Un poison le hante, « qui vanc la vérité
même, et qui presque nous tue pour finir. » Il traînera ça
toute sa vie. Le Portugais n'est pas « toujours gai », il
cultive la saudade
et
le fado, il
est baigné de poésie plus que le fanfaron Français, il en compose,
et
la maman de Pessoa versifiait à l'occasion. Noter la facilité,
BERNARD
COLLIGNON LECTURES
PESSOA « POESIA »
- I (63
11 06)
64 08 07 76
l'indulgence
peut-être, avec lesquelles se forme, s'accueille et se lit la poésie
de cette langue souple et riche – Este
que me fere a mim
Foi causado
pela sorte
Foi cavado
pela morte -
Não
posso viver assim -
-
ce qui me blesse à moi
Fut causé par le sort
Fut creusé par la mort
Je ne peux pas vivre ainsi. »
Enfance errante et déracinée,
mère tôt remariée, Durban, Le Cap, Açores, avant la fixation
définitive à Lisbonne, au sens d'abcès de fixation : il
mourut du foie et de l'alcool, bourré d'érudition et d'hépatite.
Cette queue de poème date de 1903, en Afrique du Sud, il
avait 14 ans, triste déjà comme tous, mort à peu près vierge (une
fois dégoûtante je crois). Il lasse. L'être et le non-être en
lui s'entrelacent et se fondent. Inaction,
méninges et boissons fortes. Mote
– Refrain – Um
adeus – à despedida – un
adieu – pour se
séparer…
64
08 07
Longtemps après, Pessoa outra
vez. M'évertuant à
lire à mi-voix, dans le texte, en un portugais d'enfant qui ânonne.
Un reflux de saudade,
mot
facile, à tous les carrefours, au fond d'un saladier noir.
L'impression de rabâcher Blanchot, qui fit du vide un fonds de
pensée. L'absurde, le vide, l'aube grise éternellement bloquée qui
brre la journée sans l'ouvrir, et se remmitouflage de mort en son
linceul propre, poésie près de laquelle même Leopardi joue au
joyeux luron. Et de beaux vers à mi-vois massacrés par l'approche,
coulant si profond au dedans de nous. Le matin coup de plom terrible
sur les épaules dasn l'exaltation du recoucher, qund on s'en
retourne pour rêver lourd et long et interminable.
Se
réveiller avec un goût de cendre et de meurtre jusqu'aux piliers du
palais dans le fond. En 1913 de l'ancienne ère, le monde jeune se
prépare à s'entr'égorger dans sa vigueur même, Pessoa lacère
cotonneusement son sentiment de vie amère et douce. Il
est âgé de 25 ans, il ressasse et remâche, enivre aussi de
justesse. Nous étions assis sur le parapet d'un pont, à deux pas
d'un virage BERNARD
COLLIGNON LECTURES
PESSOA « POESIA »
- I (63
11 06)
64 08 07 77
en
lacet, et nous reposions notre fatigue extrême. Il ne s'agissait
plus de restituer ce que pensait, ce qu'imaginait la génération de
cet ultime année de paix : des hauteurs du cimetière sur tout
un versant couronné de maisons, les tombes de la guerre
mentionnaient encore les victimes éparses du carnage. Nous
raconterions encre ces histoires d'entre nous et nous, d'entre nous
et vous, restreignant le courant communicatif : non plus le
génie en herbe Fernando P. mais l'éternel auteur à la Carrère,
qu'emportera le vent. Il
connaît mal, presque pas du tout, le portugais. Il évite l'ouvrier
sur le quai de gare.
Près
de 25 ans plus tard, le temps que Pessoa se développe, il reconsulte
son lexique, il ouvre la rubrique « traduction »,
tradução,
où
le dictionnaire orange ne suffit pas : le poème s'appelle
« Impressions au crépuscule ». mélancolie de ce qui
finit, science profuse des syllabes, enchantements de la langue
étrangère, et ces trepadeiras
de despropósito
lambendo de hora os aléns qu'il
faudra mot à mot déplucher. Le despropósito,
c'est
l'absurde, l'hors-de-propos, le non-pertinent. Péguy passionne par
ses mot à mot du grec, mais peu de temps ; l'année 1913 est sa
dernière complète en notre monde.
Les
traductions s'inscrivent dans un écran rectangulaire scientifique,
« sas garantie » précisent-ils. Les
trepadeiras
sont
des reptations, d'absurde. L'absurde rampe et bave à ras d'horizon
couchant. Morbidezza.
« Mais
alors mais alors mais alors, quoi de plus normal, métaphore parlant,
filature parlant, qu'une reptation qui « lèche »,
« léchant » « à l'heure » « les
étrangers » ? Ou « les altitudes en temps et
heures » ? et
je me cherche en vain des traductions pour fuir mes organes en fonte.
« Horizons faisant les yeux à l'espace où ils sont eux-mêmes
en erreur errante » ou à peu près, nous montons sur la chaise
et voyons la Tour Eiffel sans pouvoir s'en approcher, lorsque tant de
traducteurs restituent ces rebords d'abîme…
...Les
yeux se noient dans l'espace - « fanfares opiacées de silences
futurs… Longs, longs trains… Visions de portails lointains… A
travers d'arbres... tant de fer ! » Paru en revue.
« L'Heure absurde ». On ressort de Pessoa malade, rincé.
Y
compris mal traduit, il irradie et contamine.
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
PESSOA « O
BANQUEIRO ANARQUISTA » 64 08 08 78
O
banqueiro anarquisto - Le banquier anarchiste –
lu en portugais, joué par votre serviteur en français, avec
l'ambition de la jouer dans sa langue d'origine. Une Portugaise, une
Brésilienne, m'en dissuadèrent : ma prononciation était
approximative, et si bien disposées que fussent les populations
Lisboète ou Paulista, jamais elles ne tiendraient tout un dialogue
mal prononcé, partant, mal joué. A moins de devenir parfaitement
bilingue, et si bien intégré parmi les lusophones que rien ne m'en
pourrait distinguer : ce qui à 53 ans relevait du tchallènndge
le plus irréaliste. Mais pourquoi jouer ce texte, puisqu'il s'agit
primitivement d'un dialogue narratif, du moins cursif, ou plutôt
d'un monologue, le partenaire n'étant là que pour renvoyer la balle
de temps en temps ?
Parce
que, répondait Alvarez, metteur en scène, chacun devait pouvoir
accéder à cet ouvrage mathématiquement délirant, qui mène de
l'anarchisme le plus exalté au capitalisme le plus décomplexé,
mais sur les planches, ce qui est nous ne dirons pas plus facile, car
le théâtre n'est pas « facile », mais plus directe,
plus émotionnelle. Le lecteur ordinaire, même
assis, fait
effort, le spectateur s'assoit pour écouter, s'imaginant
que ce sont les acteurs qui travaillent et pas lui – illusion, mais
une de plu, une de moins… Bref, le dialogue était tout écrit. La
première fut une catastrophe : voix haut perchée, et surtout,
un énorme oubli de la moitié du texte, par saut du même au même,
vous savez, ces morceaux de phrase qui se ressemblent à un mot près,
et vous mènent à la bonne suite ou bien beaucoup plus loin d'un
coup, par erreur d'aiguillage.
La
pièce allait se terminer en moins de vingt minutes, et je parvins,
en réfléchissant par-dessous
le
rôle, à retrouver très exactement la coupure, à revenir en
arrière au moment voulu, puis à ressauter par-dessus ce que j'avais
dit en avance, le tout impeccable. Les spectateurs s'aperçurent de
ce tour de passe-passe, applaudirent longuement et poliment, mais le
metteur en scène me mit, justement, un sacré savon en coulisses.
Pourquoi
cet accident ? Parce que le texte se présente sous la forme
d'un développement minutieux, éliminant petit à petit les fausses
pistes pour mener à la vérité, du moins à une vérité. Sans
arrêt reviennent les expressions comme « fictions sociales »,
dont les anarchistes veulent se débarrasser, « liberté
individuelle », « nature humaine » et autres
concepts indispensables au raisonnement.
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
PESSOA « O
BANQUEIRO ANARQUISTA » 64 08 08 79
Or
c'est un banquier qui parle. Un banquier anarchiste, c'est absurde.
Comment lutter contre l'oppression économique et capitaliste alors
qu'on représente, par sa profession même, la cible essentielle du
combat anarchiste ? C'est ce que le banquier lui-même va
expliquer à son ami, seul à seul, à la suite d'un bon repas bien
arrosé. Il raconte sa jeunesse de
fils d'ouvrier,
les convictions généreuses de son adolescence, la rencontre de
camarades aussi convaincus et déterminés que lui, et le voilà au
sein d'un groupe animé d'un même idéal, noble et grandiose,
l'anarchisme. Lorsque
deux spectatrices du premier rang, vêtues de splendides robes du
soir, se furent aperçues qu'il n'y aurait ni combat d'épée ni
rigolade de cocus sur scènes, elles se levèrent en faisant bien
bruire (et non pas bruisser bande de barbares) le tissu chatoyant de
leur couvre-cul, et disparurent, alors que j'aurais dû les attirer
sur scène et improviser une discussion à quatre.
Mais
très attentivement, très éloquemment, je m'efforçais de capter
l'attention de mon interlocuteur, le metteur en scène lui-même,
et de le convaincre du bien-fondé de mon raisonnement vicieux. En
effet, ce banquier en
question,
qui ne l'était pas encore évidemment, se rendit compte que les
anarchistes,
entre eux, développaient de nouvelles tyrannies, alors qu'ils
prétendaient lutter contre la tyrannie sociale. Des relations de
groupe s'établissaient, les uns et les autres obéissant à leur
caractère, et des rivalités se faisaient jour, des
hiérarchisations, un esprit d'entraide tournant à une répartition
entre ceux qui aidaient et ceux qui se laissaient un peut trop
souvent secourir. Cette nouvelle tyrannie, surajoutée aux anciennes,
n'étaient-elles que l'inévitable répercussion du seul modèle
civilisationnel que les humains avaient jamais eue à leur
disposition, ou bien, pis encore, fallait-il conclure que la nature
de l'homme était mauvaise en soi, comme dans la théorie du péché
originel ?
Comment
se fait-il que deux garçons marchant sur le même chemin, l'un
d'entre eux parvient-il toujours à entraîner l'autre dans telle ou
telle direction, machinalement, même si celui qui cède voulait
aller autre part ? Conclusion (j'abrège) : il fallait
rester anarchistes, mais séparément, briser le groupe qui
s'autogénérait en quelque sorte ses propres contraintes, aggravées
par la proximité voire la promiscuité ? Facile, nous dit le
banquier : rompre le groupe, et travailler chacun dans son coin
et dans son domaine à l'établissement d'une société libre, après
quoi la révolution surviendrait inévitablement, surgirait de ce
terrain rongé par-dessous.
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
PESSOA « O
BANQUEIRO ANARQUISTA » 64 08 08 80
Tout
le monde se mit à l'engueuler, à lui dire que « ce n'était
pas ça, l'anarchisme », sans dire ce que c'était. Vous savez,
ces fameux conseilleurs qui vous critiquent sans cesse, mais bien
incapables de vous indiquer la bonne direction, parce que c'est à
vous de la trouver, style « c'est à toi de faire, trouve
tout seul ta solution, je
ne sais pas, moi » - ben justement, quand on ne sait pas, on
ferme sa gueule. Bref,
notre anarchiste voulut agir tout seul. Comme
terroriste alors ? Non, car, dit-il, tuer douze capitalistes ne
sert à rien ; dans un combat, douze soldats de moins
affaiblissent les forces de l'adversaire ; mais dans une lutte
sociale, c'est comme si le terroriste anarchiste éliminait non pas
douze soldats, mais douze civils : ils se régénèreraient
spontanément.
Non.
L'ennemi,le vrai, celui qui gâche tout, qui pervertit tout, qui
pourrit tout, c'est l'argent. Comment combattre l'argent ?
Admirez la précision paranoïaque du raisonnement : en
l'éliminant par lui-même. Au lieu de le poursuivre toute sa vie
parce qu'on n'en a pas, en acquérir au point de ne plus y penser du
tout ! En avoir, et s'en servir, fin des soucis d'argent, fin
des pensées sur l'argent ! Notre banquier s'est donc transformé
en prédateur libre, anarchiste, ayant au moins libéré une personne
puisqu'il est impossible de libérer tout un peuple, contaminé par
les poisons sociaux et les chaînes sociales !
Nous
ne rions plus. Cet homme est dangereux. Il contemple, du haut de son
tas d'or, la veulerie et la pleutrerie des humains qui ne savent que
s'engueuler et se nuire, il va même jusqu'à prétendre que la
lâcheté, que l'agressivité, sont héréditaires,
et qu'il ne vaut pas la peine de sacrifier sa liberté personnelle si
chèrement et si malhonnêtement acquise pour sauver cette bande de
larves, juste capable d'attendre le bonheur et le salut comme un
cadeau fait par autrui, au lieu d'aller le décrocher elle-mêmes !
Il existe donc des races d'esclaves héréditaires, et lui, le
banquier, s'estime le seul véritable anarchiste sur cette terre !
Eh
bien figurez-vous qu'après l'une de nos représentations, un
charmant couple de vingt ans est venu m'enguirlander au bar parce
que j'étais bien le personnage, correspondant très bien à la folle
saloperie que j'avais représentée.
Ils
ont été très soulagés
quand je leur ai dit que je jouais, et que non, je n'étais pas un
sale capitaliste fascisant moi-même ! Et j'étais très flatté
de leur hostilité, qui valait compliment ! Plus
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
PESSOA « O
BANQUEIRO ANARQUISTA » 640808 81
tard,
ou avant, je ne sais,
Stéphane
Alvarez me parla d'une autre mise en scène parfaitement inepte, où
l'on avait mélangé Le
banquier anarchiste avec
d'autres textes de Pessoa, poétiques, cafardeux, nuageux, afin
d'opposer le faux Pessoa Fernando avec le vrai, l'auteur des
considérations sur le rien, l'auteur du Livre
de l'intranquillité : mais
on n'avait réussi qu'à produire un gloubiboulga dans l'air du
temps, de la doxa de goche, animé de bons sentiments larmoyants. Eh
bien non. D'ailleurs
Salazar
et Pessoa n'ont pas été en bons termes. Le poète accusa le
dictateur d'avoir éteint et complètement étouffé l'intelligence
du peuple portugais.
Ce
n'est pas parce qu'il invente un personnage complètement fou dans
ses raisonnements exacts qu'il est lui-même dans l'approbation, dans
la fusion avec ce personnage. La pièce (exactement
la nouvelle) date
de 1922,
se voit qualifiée par Wikipédia de « brûlot provocateur, où
il fustige aussi bien la société capitaliste que l'intellectualisme
des révolutionnaires », qui affectionne l'impuissance des
petits roquets. Salazar
ne prendra le pouvoir qu'en 1935. Ce furent 35 années de paix bigote
et de capitalisme chrétien. Le
banquier anarchiste,nouvelle
refaçonnée, après sa mort, mis
en pièce de théâtre, fut considérée par lui comme sa seule œuvre
véritablement achevée. Je suis très fier de l'avoir jouée une
vingtaine de fois en 99 et 2000, mais je ne veux plus la rejouer :
en effet, pendant que le public prend son pied, l'acteur, lui, sur
scène, bosse, et serre les boulons, il
boulonne.
Ceux
qui ont la vocation persévèrent, et découvrent le plaisir de
jouer. Les mollassons laissent tomber. J'ai mollassonné dans ce
domaine. Pour le texte, nous aurons plutôt recours à la
langue française : « J'essayai de voir quelle était la
première, la plus importante des fictions sociales. Ce
serait elle qu'il m'importerait, plus qu'aucune autre, d'essayer de
soumettre, d'essayer de réduire à l'impuissance. La plus
importante, à notre époque du moins, est l'argent. Comment
soumettre l'argent ? ou, plus précisément, la force, ou la
tyrannie de l'argent ? En me rendant libre de son influence, de
sa force, me faisant supérieur à son influence, la réduisant à
l'impuissance en raison de ce qu'il me disait respectivement à
moi. » Nous voyons venir le paradoxe : « Mais par
rapport à ce qu'il me disait à moi, vous comprenez ? parce que
j'étais, moi,
celui
qui le combattais ; si je l'avais réduit à l'impuissance par
rapport à tout le monde, ce ne serait plus le vaincre, mais le
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
PESSOA « O
BANQUEIRO ANARQUISTA » 640808 82
détruire,
car
ce serait en finir avec
la fiction de l'argent. Or je viens de vous démontrer que toute
fiction sociale ne pouvait se « détruire » que par la
révolution sociale, entraînée avec les autres dans la
chute de la société bourgeoise.
« Comment
pouvais-je me rendre supérieur à la force de l'argent ? Le
procédé le plus simple était de m'éloigner de la sphère de son
influence, c'est-à-dire, de la civilisation ; aller en pleine
campagne manger des racines et boire de l'eau de source ;
marcher tout nu et vivre comme un animal. Mais cela, même s'il n'y
aurait pas eu de difficulté à le faire, n'était pas combattre une
fiction sociale,
pas même combattre, mais fuir. » Notre banquier refuse toute
solution autre que la sienne, il les disqualifie toutes en les
poussant à l'extrême. En voulant rester seul, il a tourné le dos à
la révolution sociale, il semble dire que ce n'est pas son boulot,
il l'attend sur un plateau, comme il le reprochait aux autres dans
son groupe autrefois. « Concrètement,
celui qui se refuse à engager le combat ne subit pas de défaite.
Mais moralement il est vaincu, puisqu'il n'a pas combattu. Le procédé
devait bien être un autre, un processus de combat et non de fuite.
Comment soumettre l'argent, comment le combattre ? Comment
me soustraire à son influence, à sa tyrannie, sans éviter de
l'affronter ? » Oui, on se le demande, monsieur
l'éloquent, monsieur l'anti-Socrate, qui remplacez l'anarchisme par
l'individualisme. La réponse est devenue simple :
«Il
n'y avait qu'un seul procédé : en
acquérir, en
acquérir en quantité suffisante pour ne plus subir son influence ;
et plus j'en acquerrais en quantité, plus je me libérerais de cette
influence. Ce fut lorsque je m'aperçus de cela clairement, avec
toute la fore de ma conviction anarchiste, et toute ma logique
d'homme lucide, que j'entrai dans la phase actuelle – commerciale,
et bancaire, mon cher – de mon anarchisme. »
Il
mit une trêve à la violence, soudainement accrue, dans
l'enthousiasme de sa démonstration. Puis il poursuivit, avec une
certaine chaleur encore, sa narration. » Nous ne le suivrons
pas davantage. Il est passé de la quantité, d'argent, à la
qualité, celle de la libération. Ne le réfutons pas, restons
silencieux et sceptique à la façon de son interlocuteur, à qui
nous avons été invités à nous identifier. Amis
anarchistes, amis cyniques (mon cœur balance), bonsoir.
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
BLANCHARD « LES
VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 83
Les
valises du professeur Jeanson : ce
titre, de Dominique-Emmanuel Blanchard, fait explicitement allusion à
ce scandale d'époque, d'une époque révolue, où ledit Francis
Jeanson transportait des valises de billets de banque à l'usage du
Front de Libération Nationale, autrement dit le FLN. Jeanson fut
traité de « traître à la nation » française, en ces
années chaudes de la guerre d'Algérie, qui n'étaient au début
qu'une mission de maintient
de l'ordre
et qui évolua comme on sait. « Professeur » évoque
surtout cette partie de la vie (car il s'agit d'une biographie, pour
faire simple) où Francis Jeanson, en Bourgogne, s'efforçait non
sans succès d'amener le bas peuple, celui que l'on méprise, à la
connaissance, y compris celle de la musique classique.
Enfin, last but not least, le rôle de Jeanson dans la brouille entre Sartre et Camus est la première chose qui vient à l'esprit lorsqu'on parle de lui. Cette brouille intervint en 1952, après la parution de L'homme révolté, chef-d'œuvre de Camus qui n'eut pas l'heur de plaire à l'intelligentsia de goche. À ces trois axes, pédagogie, philosophie, activisme, viennent se mêler ce rapport intime de l'auteur avec son sujet, qu'il considère sans erreur comme son père spirituel, ce qui parasite le propos, ou qui l'enrichit, le complexifie, l'humanise, et le met en perspective chronologique : en effet, l'auteur s'est plusieurs fois entretenu avec son objet d'étude et ami, tandis que tournait un magnétophone bien visible, à partir de 1996.
Enfin, last but not least, le rôle de Jeanson dans la brouille entre Sartre et Camus est la première chose qui vient à l'esprit lorsqu'on parle de lui. Cette brouille intervint en 1952, après la parution de L'homme révolté, chef-d'œuvre de Camus qui n'eut pas l'heur de plaire à l'intelligentsia de goche. À ces trois axes, pédagogie, philosophie, activisme, viennent se mêler ce rapport intime de l'auteur avec son sujet, qu'il considère sans erreur comme son père spirituel, ce qui parasite le propos, ou qui l'enrichit, le complexifie, l'humanise, et le met en perspective chronologique : en effet, l'auteur s'est plusieurs fois entretenu avec son objet d'étude et ami, tandis que tournait un magnétophone bien visible, à partir de 1996.
Évacuons
d'abord les toxines, qui sont aussi les miennes, mais pas seulement.
Se mêler en tant qu'auteur, en tant que proche, du sujet que l'on
traite, c'est comme se pencher sur son instrument en se faisant
entendre, comme Glenn Gould au-dessus de son piano :
personnellement, je déteste, et pourquoi ? Parce que je le fais
aussi, en ce moment même tenez, mais à ma façon. Or, il est bien
connu que les détestations surviennent non pas entre personnes qui
s'opposent mais
entre
celles
qui se ressemblent, mais
dont chacune reproche à l'autre précisément ce qu'elle fait
elle-même, tellement mieux que l'autre, n'est-ce pas. Mais
Dominique Blanchard tenait à cet ouvrage depuis longtemps, et juste
avant que le vieil homme ne meure, a tenu à le mettre en entier dans
son livre à lui, mêlé à lui, dans une recherche commune, dans des
circonstances communes.
Cela
fait indiscret. Ou bien touchant. Ou bien agaçant. Bref, ça
dérange. Nous avons ici une interview, en anglais une entrevue,
décryptée telle quelle depuis l'enregistreur ; des
commentaires, COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
BLANCHARD « LES
VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 84
des
discussions entre l'auteur et le sujet vivant
de
son étude ; des
incidents, des parenthèses, des intervention de Christiane, compagne
de Francis Jeanson, des labyrinthes, des lacets, des digressions, des
mises au point, des omissions, des détails inutiles (mais est-ce que
ça existe, des « détails inutiles ») et des chipotages
aussi bien que des objections sérieuses, ainsi que des réponses non
moins sérieuses, qui résolvent ou non les objections, ou bien
bifurquent – mais dans ce cas l'auteur insiste, remet tout sur le
tapis, et tous deux essaient de dénouer le nœud gordien, avec le
plus d'honnêteté possible.
Et
ceci d'autant plus que l'œuvre et les interventions de Francis
Jeanson (qui sont souvent inséparables dans la perspective) sont
demeurées peu connues du grand public, voire, même, du domaine de
la littérature. Le commun des mortels ou des professeurs du
secondaire n'ont retenu que ce qui accroche, ce qui choque. Et
puis c'est trop vieux, tout ça. Les éditeurs contemporains ou
«marchands de pommes de terre » (je cite Blanchard)
considèrent désormais que tout ce qui précède la mort de Lady
Diana relève de la préhistoire et ne saurait souiller leur
catalogue. Robert Redeker, qui nagea lui aussi à contre-courant,
s'est lancé dans la publication de ces « valises du professeur
Jeanson » aux éditions Ovadia, collection « Les
carrefours d'Ariane ».
D'emblée,
comme Bernard-Henri Lévy, l'interviewer a foncé sur l'affaire
Camus : BHL disait, « je rencontre un mythe et ce mythe
n'aime pas Camus ». Tout le
monde « cale » là-dessus. Jeanson fut « l'exécuteur
des basses œuvres » de Jean-Paul Sartre. Avec les arguments
que l'on sait, répétés cent fois, y compris dans ma vie propre
(tiens, je fais comme l'auteur) : Camus « n'est pas un
vrai philosophe » ou « pour classes de terminales »)
(heureux les terminales qui l'auraient eu comme prof), il
« est resté sur le bord du chemin » pendant que les
autres « se mettaient les mains dans la boue » ou « dans
le cambouis », Camus plane sur son petit nuage et donne des
leçons de morale, mais nous, nous les gens de goche, on milite,
camarade.
Il
ne fallait pas « désespérer Billancourt », il fallait
bien se rendre compte que dans les années 50, le communisme était
le seul espoir des classes ouvrières (dont on feint à présent de
croire qu'elles ont disparu) et il ne fallait pas dire « ces
choses-là », il fallait « les mettre sous le COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
BLANCHARD « LES
VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 85
tapis »
parce que cela donnerait des ailes à la droite et plomberait la
lutte des sans grades, on ne disait pas encore les « sans
dents », lutte éminemment sacrée, rédemptrice. Mais on ne
met pas le goulag sous le tapis. L'Histoire et la Philosophie se
contredisaient. Après coup, nous avons vu
que ce n'était pas là une lutte entre la philosophie, la vraie,
celle de gauche et communiste, contre l'idéologie fumeuse et
individualiste de « l'homme révolté » qui trépigne en
faisant pipi dans ses couches, mais l'opposition entre l'absolu et la
politique, thème des « Mains sales » en somme :
Camus était un philosophe, et les sartriens des politiciens, qui
pensaient améliorer la condition humaine pour amener l'humanité à
la réflexion, alors que la condition humaine améliorée par
l'augmentation du niveau de vie n'amène, hélas, qu'à la
consommation du tourisme de masse et
des burkinis
fluo.
J'ai
même entendu de mes propres oreilles un éminent socialiste réagir
aux feuilletons antisémites pour enfants à la télévision
égyptienne en déplorant qu'il n'y ait pas assez de télévisions
dans le pays, car s'il y en avait eu plus, et que le niveau de vie
des Égyptiens se fût élevé n'est-ce pas, les émissions
antisémites auraient disparu d'elles-mêmes n'est-ce pas. Pour
moi, désolé, le problème n'est pas le niveau de vie mais
l'antisémitisme, qui atteint tous les niveaux de vie. Revenons
au second point soulevé par Jeanson lui-même : ce dernier
s'inscrit non pas dans la théorisation, mais dans le concret :
le moment n'était pas de dresser un tableau véridique du communisme
soviétique, ni de démobiliser la classe ouvrière.
Pour
l'Algérie, rappelons tout de même que le déclic fut provoqué par
un tas de cadavres sur une place de Sétif, où gisait la preuve que
l'on en avait tué « mille pour un ». Mille Arabes pour
un Français, lors des émeutes en 1945 : les Arabes voulaient
la nationalité française et le droit de vote, on leur avait envoyé
la troupe, et puis la troupe avait tiré. Pour Jeanson, et pour
d'autres, la vraie France, c'était celle des Droits de l'homme et
non celle de la torture et du massacre. Donc, ayons l'excellente idée
de financer le FLN. Qui massacra les harkis.
Et suscita ou laissa faire, dans les années 90, les massacreurs du
Front Islamique du Salut, alias
le
FIS. Mais voyez-vous, si l'on se met à réfléchir à tout ce qui
pourrait se passer de mal si l'on faisait ceci ou si l'on faisait
cela, qui accomplirait quoi que ce soit ?
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
BLANCHARD « LES
VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 86
Dans
les engagements que l'on prend, ce n'est pas seulement la
délibération qui compte, « j'y vas-t-y j'y vas-t-y pas »,
mais un élan qui se déclenche. On agit par générosité spontanée,
en voyant l'exaltante difficulté de la chose. Sur le moment, dans
l'instant, on s'engage. Si l'on prend du recul, alors oui, l'on
devient un philosophe, un
hésitant, un Camus,
qui mélangeait la philosophie et la littérature, de même que
Jeanson mélangea la philosophie et l'action politique, une fois de
plus. La philosophie est-elle compatible avec l'action publique, ou
avec la réforme de soi-même ? À proposer aux candidats du
prochain bac. Nous
parlerons peu des activités culturelles et transmissives de savoir
et d'art auprès
des citoyens de base, parce que ce n'est pas pittoresque.
Nous
sommes tombés en effet de la métaphysique de l'absurde à
l'activisme politique de Sartre et des membres du FLN, nous nous
perdrions, encore un peu, dans les marécages caritatifs d'Emmaüs.
Autre façon de présenter les choses : Francis Jeanson,
refusant les spéculations qui ne s'accompagnent pas d'une action
concrète, s'est dévoué à la cause humaniste sous ses trois
aspects, métaphysique, activiste et pédagogiste. Et sa personnalité
propre a séduit des amis, et des femmes : rien de ce qui est
humain ne lui fut étranger. Comme nous en avons trop peu dit,
passons au texte, pour quelques compléments et desserts :
Christiane, épouse de Jeanson, pas effacée du tout, puisqu'elle
refuse de réduire le rôle de Jeanson à celui de « journaliste »,
car il était bien plus que cela, lui laisse la parole quand c'est à
lui de parler. Texte à trois voix :
« Suit
un long silence. Nous ne commenterons pas les mots de Christiane.
Comme si, dès qu'il s'agissait de Sartre, c'était à son mari de
parler. Et c'est ce qui se passe. Comme d'habitude, Francis Jeanson
hésite sur les premiers mots :
« C'est
beaucoup plus un… approfondissement après coup de sa relation à
Camus qui a donné ça. » Péguy approfondit son socialisme en
passant au christianisme, Sartre approfondit son communisme en
dézinguant l'esprit anticommuniste de Camus, ,disons
antitotalitariste, sans s'apercevoir qu'il remplace un totalitarisme
mou des bourgeois par un totalitarisme directement meurtrier dit « de
goche ».
-
« À mon avis leur relation était davantage une relation d'intellectuels parisiens. Avec COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »BLANCHARD « LES VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 87
-
-
-
des connotations intéressantes de part et d'autre, évidemment. Ce sont deux cas spéciaux. D'intellectuels parisiens quand même. Ça n'était pas de l'amitié. Je pense d'ailleurs que Sartre n'a pas eu des amitiés. » Je n'aime pas quand on daube sur les « intellectuels parisiens ». On dirait que c'est une insulte. Jeanson après tout n'en était-il pas un lui aussi. « Il a eu des affections très proches, des amours, des affections puis des ...relations. Moi, quand on me pose des questions, je réponds que non, jamais, jamais je n'ai été ami de Sartre. Il avait un premier cercle qui était le cercle « de famille », comme on peut dire la « famille sartrienne ». J'aurais pu, compte tenu du nombre de fois où l'on se voyait avec Sartre – c'était quotidiennement pendant un certain nombre d'années – j'aurais pu être l'ami de Sartre… Mais non, non, non, je crois que ça n'avait pas lieu ». Pourtant on faisait la queue à la porte de son bureau pour lui serrer la main.
-
Jeanson l'a rencontré pour la première fois de cette façon, en 18e position dans la file d'attente.
- Ses amitiés étaient féminines, dit Christiane Jeanson -
- Absolument, reprend son mari. D'ailleurs, il s'en est expliqué à diverses reprises. Il est de ceux – j'en suis moi-même – qui disent qu'ils s'ennuient quand il n'y a que des hommes. Les groupes exclusivement masculins me fatiguent.
-
- Parce que vous êtres un séducteur, monsieur Jeanson.
-
- Mais ce sont les femmes qui me séduisent ! » Eh bien ouf. Les discussions peuvent connaître des instants de détente, et les interlocuteurs s'expriment en très bon français, même s'il existe des reprises et longueurs. C'est tout à fait différent des « en fait », « cerise sur le gâteau » et autres « c'est vrai que » dont nous sommes atrocement obsédés d'habitude. Et il est exact que Jeanson plaisait aux femmes, par comme Mr Bean et moi-même.
-
« Ça va ensemble. Pourtant Sartre se défendait d'être un séducteur.
-
-
COLLIGNON BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
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BLANCHARD « LES VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 88
-
-
-
- Fichtre, et pourtant il l'était ! Il l'était même d'autant plus…
-
Là, je peux terminer la phrase de Jeanson :
-
- ...qu'il le refusait. »
-
Je prends cette incise comme une marque d'affection, grammaticale mais discrète. Il est vrai que le meilleur séducteur est celui qui dit : « Avec tous ces Don Juan qui vous tournent autour, vous devez vous faire importuner, tout de même... » Certains autres, rien qu'à montrer leur gueule, excitent les ricanements, les soupirs et les yeux au ciel. En plus, « on » leur dit qu'ils le font exprès. Reprenons :
-
« - Et que sans doute il lui semblait devoir conjurer sa « laideur » naturelle. »
-
Il me vient comme une envie de brouiller un peu, à ma façon, la figure du grand homme à défaut d'assurer une défense vigoureuse de Camus :
-
-
« Est-ce
que Sartre n'a pas été un enfant gâté ? Et il faut bien
m'entendre : autant, spontanément, je suis toujours en train de
chercher des excuses à Camus, autant je suis toujours en train de
chercher des poux sur la tête de Sartre en me disant que ce n'est
pas pour rien. Affectivement, je penche vers Camus, en me disant
qu'il manque malgré tout quelque chose. Et je me dis aussi qu'on a
de la chance de les avoir tous les deux. L'un donnant l'affectif ;
l'autre donnant – comment appeler cela ? - l'exigence. »
Blanchard intervient dans l'égalité, dans l'absence d'affrontement
directe, mais
aussi dans
l'écornement d'image, comme il le reconnaît lui-même. Certains
personnages des dialogues de Platon font de même en rapportant un
dialogue où ils ont, eux aussi, participé.
Nous
avons ici un exemple de très bonne fusion entre les interlocuteurs.
Pour
ce qui est de la rigueur, il me sera permis après tout d'intervenir
moi aussi, une fois de plus : je croirai à cette rigueur que
l'on m'imposa
parfois le jour où j'observerai chez le prescripteur autant de
rigueur qu'il en exige de moi. Or au lieu de cela je n'ai jusqu'ici
trouvé que des zigotos qui prétendaient que pour eux « ce
n'était pas la même chose », et que « je mélangeais
tout » ben COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
BLANCHARD « LES
VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 89
voyons
mon con. Mes interventions sont vraiment de bas étage. « Mais
celui qui a déclenché les hostilités en premier [entre Sartre et
Camus], c'est Breton... »
QUE
VIENT FAIRE LÀ BRETON ?
Impression,
là, à l'écoute, que d'introduire Breton dans « la
polémique » irrite quelque peu Christiane Jeanson :
« C'est merveilleux, les gens, quand ils viennent comme il vous
apprennent des choses... »
Ce
qui en clair peut signifier : ah ces gens qui viennent ici et
qui veulent nous en remontrer, nous en apprendre à nous qui étions
aux premières loges !
« Là,
je sens bien que je viens de me faire remettre à ma place – de
Trissotin, peut-être. Alors j'essaie d'expliquer, concernant
l'irruption de Breton dans cette affaire : «Camus, je ne sais
plus où, dans le bouquin, égratigne Lautréamont [que les
surréalistes ont porté au pinacle.] Moi non plus je n'aime pas
Lautréamont et pas davantage Breton, d'ailleurs. »
-
Je ne vois pas très bien comment ça a pu déclencher quelque chose
entre Sartre et Camus... », lance Francis Jeanson qu'on ne
lance pas comme ça sur des chemins de traverse.
« Me
voilà bien empêtré, et les Jeanson doivent, tout comme moi, se
demander comment je vais m'en sortir.
« Je
remets le magnéto en marche sur écoute, curieux de ce que j'ai pu
raconter : « Il semble qu'avant le papier que vous avez
écrit, Francis, Breton en a fait un, dans je ne sais plus quelle
revue... »
-
C'est
intéressant ça, concède Christiane Jeanson tout à coup. »
Ces
incidents égaient le parcours, très véridiques, sans oublier le
décalage supplémentaire apporté par le narrateur du
présent,
qui remet « le magnéto en marche ». Pour Breton,
évidemment, c'est le Francis Heaulme de service, toujours sur les
lieux du crime à point nommé pour disculper un gros COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
BLANCHARD « LES
VALISES DU PROFESSEUR JEANSON » 64 08 15 90
gros
suspect lorrain.
« Avec
une gentille ironie ?
« Son
mari, lui, ne lâche pas le morceau : «Mais ça ne regardait
pas Les
Temps Modernes. »
Où
diable avais-je été chercher ça ? »
Mais,
aux Éditions Ovadia, collection des « Carrefours d'Ariane »,
collection dirigée par Robert REDEKER.
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
FÉDOROVSKI « POUTINE,
L'ITINÉRAIRE SECRET » 64 08 22 91
Fédorovski,
bien connu des amateurs de mystères à deux balles (Les
espionnes, La Grande Catherine) aux éditions monégasques du
Rocher ou d'ailleurs, nous a déjà délectés avec son Raspoutine
en 2011, ce qui confirme De Raspoutine à Poutine en
2001, et qui annonce Poutine, l'itinéraire secret, en 2014 :
quel rythme haletant ! L'auteur, né en 1950, naturalisé
français capable d'écrire dans notre langue, se voit fréquemment
consulter pour sa connaissance des intrigues tsaristes, soviétiques
et russes contemporaines. Il s'adresse au grand public, et de fait,
ses livres sont aussi faciles à suivre que des articles de
Paris-Match à sa meilleure forme. Poutine vient d'une racine
évoquant les voyages, nous dirons, donc «le Voyageur »
(Medevedev, c'est plutôt « l'Ours »). Raspoutine, c'est
plus compliqué : peut-être de « raspoutitsa »,
« la saison des mauvaises routes », quand les chemins
débordent de bouillasse, ce qui lui convenait très bien.
Toujours
est-il qu'un certain jour de fin 1999, Eltsine le Bouffi, celui qu'on
surnommait le Batelier de la Vodka (excellent!) déclara que ce
serait Poutine, le successeur, qui ferait mieux que lui entre deux
cuites, vu qu'il était tombé à 1 % de popularité. Et d'un
seul coup d'un seul, voici que cet homme de l'ombre, Poutine, tout
droit issu du KGB ou service d'espionnage soviétique, se met à
grimper à 70 % dans les mêmes sondages, faits par des Russes,
garantie n'est-ce pas leur totale exactitude. A chtobüi,
pourquoi ? Pour avoir éliminé un concurrent, Boris Berezovski,
aussi pourri que les autres ; pour avoir joué du menton après
une série d'attentats en 98/99 (des centaines de morts, attribués
sans preuve aux Tchétchènes, à moins que le fait d'être musulmans
ne constitue une preuve en quelque sorte ontologique), et pour avoir
prononcé cette phrase historique, « nous allons les buter
jusque dans les chiottes ».
Phrase
qu'il avait d'ailleurs plusieurs fois expérimentée en privé, à la
grande hilarité des dits privés, puis lancée sur le marché. Et ça
fonctionne : des discours aussi creux qu'enflammés, un surf
effréné sur les peurs, une absence de recours au vote (vous n'y
pensez pas ! d'ailleurs ils seraient aussi crédibles qu'en…
je l'ai sur le bout de la langue, disons Clitoridie) – bref, rien
de tel qu'une bonne nomination, une passation de pouvoir, une
succession tsariste non par filiation mais par adoubement à titre
personnel. Bien des gens nous vont disant que notre France aurait
bien besoin d'un mec à poigne, pour gouverner à coups de pied dans
le cul, ce qui remettrait les pendules à leur COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
FÉDOROVSKI « POUTINE,
L'ITINÉRAIRE SECRET » 64 08 22 92
place
comme dirait Johnny, lequel n'éprouve aucune sympathie à l'égard
de notre Vladimir (tiens, v'là Dimir!) - pour Depardieu, joker. Nous
ne disons pas que la France en soit venue à ce point. Car s'en
remettre à un Poutine, ce serait abandonner toute notion de bien
public ou d'honnêteté financière, intellectuelle ou politique. Ce
qui frappe à la lecture de cet ouvrage, c'est d'abord
l'éparpillement : trois pages sur la vie privée, trois pages
sur l'accession au pouvoir, trois pages sur l'élimination de
celui-ci ou de celle-là (une journaliste, quelle surprise !), un
sautillement permanent d'un sujet à l'autre, alors que chacun
d'entre eux creuse un abîme insondable, au creux duquel Poutine
remue ses mandibules de fourmi-lion.
Le
fourmillement se poursuit par une foule de personnages aux noms
forcément exotiques, tous amoureux du fric et du pognon, changeant
de conviction au gré de leurs propres intérêts, faisant des
volte-faces aussi fréquemment que Staline, qui collait au mur tous
ceux qui n'avaient pas su pressentir ses brutaux coups de barre. Ce
ne sont que des coups tordus, et à la fin, c'est Poutine qui gagne,
avec des discours, des attitudes, des images publicitaires (à cheval
torse nu sur la frontière mongole, les jeunes filles adorent).
Berlusconi est un amateur. Macron un petit garçon, même s'il
promet. Nous finissons par lire tout cela d'un derrière discret, en
sachant que tôt ou tard, au détour d'une page, va paraître un
fantoche utile qui sera balayé cinq paragraphes plus tard.
La
série du « Seigneur des Anneaux » et autres « Harry
Potter » ne procède pas autrement : oh, un obstacle !
Paf, en l'air, l'obstacle. Oh ! Un nouvel obstacle !
Vladimirdabaoum, l'obstacle. Oh ! Un troisième obstacle !
Klapaklonk, etc. Peut-être la saga de Poutine s'accorde-t-elle
parfaitement au genre d'attention passionnée de nos générations
nourries de jeux vidéo, quoique j'ignore le taux de pénétration
desdits jeux en Russie, je reviens tout de suite. Ou bien sans doute
l'histoire de Poutine, comme bien d'autres résistibles ascensions,
est-elle un résultat prévisible de tout un réseau de magouilles
mêlant mafia, gros pèze et criminalité de façon aussi
imprévisible et prévisible que partout ailleurs.
Et
méfions-nous des raisonnements qui voudraient nous faire croire
qu'il existerait des formes de gouvernements propres à tels ou tels
pays, genre Hippolyte Taine ou Charles-Louis de COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
FÉDOROVSKI « POUTINE,
L'ITINÉRAIRE SECRET » 64 08 22 92
Montesquieu,
avec leurs théories des climats : les Anglais seraient ceci,
les Noirs cela, les Arabes, dans le même panier allez donc, juste
capables d'obéir à des bonnes dictatures (on dit aussi une bonne
guerre). Ce livre, Poutine, l'itinéraire secret, nous
rappelle avec insistance « les nombreuses zones d'ombre »,
mais ne prétend pas nous les éclaircir, ou ne peut pas nous les
éclaircir, ou ne tient pas à nous les éclaircir, afin que leur
auteur ne tombe pas sous un coup de poignard, de revolver, ou de
salière à poison comme en 2006 à Londres suivez mon regard
attention je louche. Poutine là-dedans sera indéchiffrable,
fourchu trois et quatre fois, corruptible combattant la corruption de
l'intérieur, redressant la Russie à grands coups de bluff, mais
insufflant à son peuple ou ce qu'il en reste des idées de grandeur
et des discours publicitaires. Le meilleur moyen de lutter contre les
massacres terroristes est-il de massacrer les terroristes, on en
discute dans les salons, dans les chaumières et jusque sur les
places publiques. Avant de dire des conneries (trop tard!) nous
soumettrons à vos sagacités sinon à vos salacités quelques pages
soigneusement choisies au hasard, qui vous permettront d'effleurer
quelques secrets, dont quelques-uns sans doute de Polichinelle :
adoncques, braves gens, l'auteur nous présente son personnage,
admiré malgré tout, dans le sillage d'Ivan le Terrible, de Boris
Goudounov et d'Alexandre Ier, le vainqueur de cet autre
grand démocrate Napoléon le Grand, on arrête de ricaner dans le
fond :
« À
l'instar de ces grand monarques, Poutine veut ressusciter l'ancienne
puissance. Ces références démontent les ressorts secrets du
personnage et nous expliquent à quoi, avec lui, les Occidentaux
devront s'attendre. Le nouveau maître du Kremlin a surpassé, dans
l'art politique, aussi bien Gorbatchev et son ambiguïté qu'Eltsine
et son intuition. Il est le seul, dans l'histoire de la Russie, en
étant totalement inconnu au départ, à avoir su s'imposer par la
télévision et par ses capacités d'utiliser ce que Braudel appelait
le « code mental du pays » !
Briser
les ennemis
L'affaire Berezovski, nous l'avons vu, a été emblématique de la
construction du système Poutine, dans la mesure où elle a instauré
la règle suivante : si vous suivez mon jeu, je peux vous
laisser des avantages non négligeables, mais dans le cas contraire,
vous êtes foutu ! » - « qui n'est COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
FÉDOROVSKI « POUTINE,
L'ITINÉRAIRE SECRET » 64 08 22 94
pas
avec moi est contre moi », air connu, je ne vois pas ce qu'il y
a là d'extraordinaire. Pour rappel, Braudel est un grand historien
qui a révolutionné la conception de l'Histoire, justement. Il ne
juge pas. Poursuivons notre lecture : « Dans
la seconde hypothèse, soit on était comme par hasard liquidé –
les assassinats d'hommes d'affaires étaient alors nombreux – soit
on était mis à la porte, comme l'a été Berezovski qui,
rappelons-le, a finalement été retrouvé « suicidé »
dans sa villa londonienne. Cependant, la plupart des hommes
d'affaires étaient prêts à « tout comprendre » et à
faire tout de suite allégeance au « nouveau tzar » en
cédant une partie de leur fortune pour conserver le reste.
Contraints de mettre un genou à terre, les oligarques ont perdu en
termes d'influence politique et de pouvoir économique, mais ont été
préservés. Rares sont ceux, parmi les personnages aujourd'hui
installés en Espagne, à avoir tenté, à l'instar de Berezovski, de
se dresser contre Poutine.
« Un
seul a voulu lui tenir tête jusqu'au bout : Mikhaïl
Khodorkovski, ancien P-DG de la compagnie pétrolière Ioukos et
première fortune de Russie. » Notons pour les petits naïfs
que les opposants à Poutine, les vivants comme les morts, ne sont ou
n'étaient pas pour autant de purs supports de la démocratie ou de
l'élévation du niveau de vie. Ils l'ont sans doute proclamé, mais
juste pour les besoins de la cause. Nous désespérerons de la nature
humaine une autre fois, pour l'instant, nous continuons comme ceci :
« Il est incarcéré depuis 2004 pour « vol par
escroquerie à grande échelle » et «évasion fiscale » ,
accusations que bien évidemment il réfute. « L'homme le plus
riche de Russie avait fait fortune dans la pétrochimie, laquelle
représente peut-être la clé de l'avenir du pays. Conscient de sa
qualité de pétrolier le plus important de Russie, il a essayé
d'entrer en politique – ou en tout cas de mener son propre jeu, de
façon tout à fait indépendante – en
misant sur les tracés des oléoducs non pas vers la Chine, mais vers
les États-Unis, et en créant une sorte de lobbying au sein du
Parlement russe pour qu'il vote les lois qui lui étaient les plus
favorables. » Rien de nouveau sous le soleil, d'un pôle à
l'autre. « Heureux les
cœurs
purs,
car ils verront Dieu »,
c'est dans l'Évangile
Cécile.
Reprenons :
« Poutine a alors cassé son ascension.
« Pour
autant, la vie est longue et les aléas de la politique fort
imprévus. L'Histoire COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
FÉDOROVSKI « POUTINE,
L'ITINÉRAIRE SECRET » 64 08 22 95
prouve
que la meilleure façon de faire une carrière politique en Russie
est de passer par la prison : ce fut le cas autrefois pour un
certain Staline…
«Que
reprochait-on à Khodorkovski ? D'avoir voulu tenir tête au
système Poutine – une entité tout
à fait homogène,
verrouillée, où une
trentaine de personnes appartenant soit aux services secrets soit au
cercle de Saint-Pétersbourg se partagent l'ensemble des matières
premières du pays. » - pourquoi,
c'est différent ailleurs ? Ô grand âge, que tu me joues de
tours… Pour la case
prison, ça, c'était avant : ni Brejnev, ni Andropov, ni
Gorbatchev, que je sache, n'ont tâté de la taule. « Il
faut être conscient de cette nouvelle donne : Poutine en a fini
avec les tentatives de décentralisation prônées d'abord par
Gorbatchev, ensuite par Eltsine. Globalement, il
se resitue dans la ligne d'Andropov et de la Chine.
« Il
a rétabli l'autorité de l'État, arguant que sa destruction avait
conduit au chaos, et instauré un système oligarchique avec une
fausse opposition parlementaire qui ne compte que d'anciens membres
du KGB ou des communistes complaisants à son égard. Le clan
pro-occidental, quant à lui, a été proprement éliminé du
Parlement.
Le
système Poutine
S'il
est indéniable que Poutine est revenu à Andropov, lequel demeure
son grand modèle, il est aussi revenu à Brejnev. » Précisons,
grâce à Wikipédia, qui est mauvais, puisque Américain :
Andropov n'est resté que 15
mois au pouvoir, après la mort de Brejnev. Il était malade, et
mourut en février 1984, ayant pour successeur Timochenko, très
très conservateur. Andropov lutta contre la corruption et n'hésita
pas à internet en hôpital psychiatrique ses opposants. Réjouissante
perspective n'est-ce pas ? Ha
ha, les petits rigolos qui s'imaginent qu'en changeant de
gouvernement, tout
va se transformer tout de suite ! Tiens, si pourtant, en Italie,
quelque chose vient de changer…
Mais
silence ! reprenons :
« Le
système de l'URSS brejnévienne des années 1970
reposait en effet sur une
centralisation très forte et apparente du pouvoir, assortie d'une
stricte hiérarchisation, ce qui lui donnait une certaine solidité,
appuyée sur une puissante coalition. Au sein de la direction et à
tous
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
FÉDOROVSKI « POUTINE,
L'ITINÉRAIRE SECRET » 64 08 22 96
les
niveaux de responsabilité, on trouvait des hommes qui n'étaient pas
censés penser de la même façon. C'est particulièrement vrai
aujourd'hui, puisque, par exemple, le ministère des Finances est
longtemps resté aux mains des libéraux – autoritaires, sans
doute, mais tout de même libéraux.
« De
même, alors que Poutine est clairement le patron, Dmitri Medvedev a
néanmoins utilisé sa fonction de président, entre 2009 et 2012,
pour faire prévaloir des idées s'apparentant plutôt au courant
libéral (à l'époque, Poutine est évidemment resté le personnage
clé, même si formellement il occupait le poste de Premier
ministre). On peut
constater, par ailleurs, que le discours du ministère des Finances
ne correspond pas exactement à celui du lobby pétrolier. »
Rappel : ceux qui sont libéraux observent en partie les lois du
marché occidental Ce qui ne veut pas dire qu'ils laissent les gens
libres à l'intérieur. La note 1 précise, à propos du lobby
pétrolier :
« De
la sociéré Rosneft ». « Il est indiscutable que le
premier vive-Premier-Ministre – Igor Chouvalov – s'est exprimé
durement en comparant l'économie de la Russie à celle des Émirats
et en dénonçant le fait qu'elle était entièrement engagée sur la
rente pétrolière, conformément à une thématique qu'aurait
développée l'opposition libérale, pour peu qu'on l'ait laissée
exister. Ainsi se perpétue, à l'intérieur de ce pouvoir, bien que
de manière plus soumise, le vrai débat d'idées qui a toujours
subsisté en Russie quand il n'a pas été supprimé par la
terreur ! » Rassurez-vous bonnes
gens, il y a encore du pétrole sous l'Arctique et sous
l'Antarctique, de quoi bousiller la planète pour deux siècles !
Vonsuipour :
« Cependant,
globalement, Poutine a instauré un système homogène qui n'est pas
sans rappeler le système Brejnev, avec les colombes et les faucons
pour la galerie, autrement dit les Occidentaux. Sous Poutine, il
s'agit d'une sorte de façade où les rôles sont distribués comme
ils l'étaient autrefois au sein du bureau politique : on vous
nomme colombe et vous jouerez la colombe, mais demain, si l'on vous
nomme faucon, vous serez faucon !
COLLIGNON
BERNARD LECTURES « LUMIÈRES,LUMIÈRES »
FÉDOROVSKI « POUTINE,
L'ITINÉRAIRE SECRET » 64 08 22 97
« Dans
le système Poutine, le personnage du «libéral » a donc été
attribué à « son collaborateur direct » de l'époque,
Medvedev,dont l'aspect et le discours sont assez policés et qui joue
merveilleusement son rôle. D'où la prétendue rivalité, à vrai
dire purement légendaire, censée opposer les deux hommes. C'est un
système de verrouillage politique, de verrouillage clanique, qui
n'empêche pas que s'exerce une certaine surenchère dans l'entourage
de Poutine quant au partage du gâteau.
« Cela
étant, quand on étudie de près le processus décisionnel, il est
clair qu'il relève exclusivement de Poutine et que tout dérapage
contraire à ses intérêts est corrigé sur-le-champ ». De
même, braves gens, j'ai entendu dire (mais que n'ouït-on pas) que
Jospin et Chirac s'étaient partagé les rôles, au sortir de l'ENA.
Et comme rien n'empêche les choses de tourner selon leur cours
naturel, en tant que vieux con, j'aime bien que tout change pour que
rien ne change, pour parler comme dans Le
Guépard. Vous
apprendrez donc bien des choses que vous saviez déjà, mais sans
avoir jamais voulu le demander. Poutine,
l'itinéraire secret, aux
éditions du Rocher, par Vladimir non pas Poutine mais Fédorovski.
Et
par pitié, ignares de la chaine Euronews, cessez de nous infliger
des Poutine orthographié
à l'anglo-saxonne, P-u-t-i-n, ça pourrait donner aux jeunes filles
des idées de stage. Bon, je sors.
COLLIGNON LECTURES
DERRIDA « LA
PHARMACIE DE PLATON »
63 08 23 98
-
Il me manquait un énergumène dans la longue liste de Mes auteurs : Derrida, auteur en 1968 d'un article dans Tel Quel. Dans ces années-là, nous faisions connaissance avec un certain Jean-Luc Eyquem, peu ou pas apparenté à Michel de Montaigne, chez qui j'essayai de comprendre les premiers paragraphes de (peut-être) L'écriture et la différence, avec un « e », où je découvris le mot « différance » qui est… ce qui diffère dans la différence. Ensuite, pour autant que j'aie pu l'entrapercevoir dans les pataugeages de l'approche, cela devient une notion floue, élastique, un peu comme Dieu, ou le « vide » chez Blanchot. Wikipédia, qui est mauvaise, puisque américaine, publie cet avertissement au début de son article « Derrida » : « L'article doit être débarrassé d'une partie de son jargon (mai 2017).
-
Sa qualité peut être largement améliorée en utilisant un vocabulaire plus directement compréhensible ». Et toc. Parfaitement. Face au petit homme , au kleiner Mensch de Nietzsche, Derrida Soi-Même ne fait pas le poids. Il écrit, il glose, il cite à l'intérieur de sa glose, il renvoie à ses confrères, il change de sujet avant d'avoir trouvé la réponse, il atermoie, il sème de temps à autre un « donc » comme un cheveu sur la soupe, avec de temps en temps quelques jolies formules, sans aucune dialectique ni même aucun raisonnement logique visible.
Des éclairs dans la bouillie.
Rien ne manque dans sa jungle
référentielle, dans son obsession de n'oublier personne parmi tous
ceux qui l'ont précédé, jaloux de leurs antériorités, de leurs
droits d'auteurs de la pensée : hommage et délicatesse, mais
aussi révérence et argument d'autorité. Telle élucubration est
parue dans le numéro
« juill. -déc. » 1969. « Bonjour, monsieur
Juille-Déék ». Ça
faisait branché, ça faisait « Révolution », ça fait
ringard. Une préhistoire. Des concepts élastiques, destinés à
l'exclusion de Tous-ceux-qui-ne-pensent-pas-comme-nous. Moi aussi je
suis con. O.K. COLLIGNON LECTURES
DERRIDA « LA
PHARMACIE DE PLATON »
63 08 23
98
Mai
je ne suis pas le seul. (Sanchal ;
à explorer, en détail ; à étudier). « Autre
confirmation » poursuit Jackie, imperturbable ( nous parcourons
ce qui précède, sans parvenir à découvrir ce qui va ici se
« confirmer « ; le raisonnement, comme chez Lacan,
ou les mathématiciens, semble suivre des cheminements souterrains,
ésotériques, où le moindre sous-entendu se décèle entre
initiés). Peut-être sommes-nous tous ainsi, mais ne bouchons pas
les narines aux poissons pour les noyer : « en 1969
paraissent les
Œuvres
de Mauss » (on se renseigne : « mort en 1950 »,
« père de l'anthropologie française »). « On peut
y lire ceci :
« D'ailleurs,
toutes ces idées sont à deux faces. » Oui : nous en
sommes encore au « pharmaconn », qui est à la fois
« poison » et «remède », car dans « remède »,
il y a « merde ». Dans « merde », il y a
Erde,
«la Terre ». Pour
ne pas fermer les ouïes des poissons, bornons-noujs à ce qui est
dit : « Dans d'autres langues européennes, c'est la
notion de poison qui est incertaine. » Au point que « yad »,
qui signifie « la main » en hébreu (langue sémitique,
mais il existe des passerelles…) veut dire, en russe, « le
poison » - la main est ce qui donne le poison… « Kluge
et les étymologistes » (c'est l'auteur d'un dictionnaire
étymologique de la langue allemande) (mais bien postérieur à 1969,
à moins qu'il ne s'agisse d'une dynastie ou d'une réédition) « ont
le droit de comparer la série potio
« poison »
(« boisson » qui peut être aussi « potion »)
et gift,
gift) » - « le
don » en anglais, de to
give, en
allemand « le poison », de geben,
dans
les deux cas, « ce qui se donne ».
Toute
rencontre est l'art de neutraliser l'altérité, de transmuer
l'agressivité en disposition communicative. « On peut encore
lire avec intérêt la jolie discussion d'Aulu-Gelle « qui
cite fort à propos Homère » (rassurons-nous : rien, dans
notre culture, n'est antérieur) sur l'ambiguïté du grec pharmakon
et
du latin venenum ».
Stop.
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HORACE « ÉPITRES »
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Me
revoici plongé dans ce diffus, verbeux, pâteux Horace. Dont je me
demande, moi
qui manque de sel, insalsus,
comment
il a pu servir de référence et de maître des élégances. Ce petit
gros. Il a parfois de sublimes bonheurs d'écriture, des digressions,
des mots d'esprit parasites : moi
en mieux... Lui-même pense qu'on l'estimera facile à imiter, mais
qu'on s'en repentira si on l'essaye... Bien vu. Mais ses
circonvolutions m'énervent. Étrange
tâche – étrange
illusion d'optique
– chacun me semble moi. Je
l'inviterai dit
Horace à
reporter ses regards, en imitateur averti, sur le modèle original de
la vie et des caractères et à tirer de là un langage vivant.
Excellent
conseil pour
un réaliste, dont l'art est d'imiter, de reproduire.
Mais
ne faut-il
pas aimer l'humain, le
monde extérieur et le
monde intérieur pour acquiescer à un tel dessein ? les
autres si ternes à mazout, si dévalorisés surtout
par
leur mort prochaine, que rien ne vaut la peine de les distraire !
Contemplons
la
mort et le vide dont nous
sommes
faits, et noyons-nous
là-dedans. Mais
imiter les
humains,
extraire leur
suc
subtil afin de les aider par
le miroir qu'on leur tend,
est-ce là un but si élevé ? Ne devons-nous
pas tous, tant que nous sommes, nous préparer
à la mort ? ...À
présent je regrimpe à la page de droite, qui reprend en latin le
texte précédent : O
ego laevus, « combien
j'ai tort de me purger la bile au printemps ! » Braves Romains
qui vous faisiez ainsi dégorger...
Brave
Horace ironisant sur son propre sort. Tes allusions se perdent dans
le gouffre.
Et pourquoi te purges-tu, Horace ? De
notre côté, le
sommeil où nous
végétons
(ou sa menace) est-il l'indice de l'inspiration, pour nous
prendre
ainsi à chaque exercice écrit, en
particulier sur toi
? Non
alius faceret
meliora
poemata - « nul
ne ferait de meilleurs poèmes ; en réalité, poursuit
Horace, rien
n'a plus de prix » - coup d'œil de vérification : « cela
ne vaut pas le prix que j'y mettrais ». Trois mots latins,
si
denses qu'on s'y perd ; la
mort
et la
torpeur
sont-elles de bonnes solutions ? Ergo
fingar vice cotis - allusion
donc aux pierres à aiguiser, qui ne peuvent elles-mêmes couper ;
aux critiques, incapables d'écrire.
Nous
sommes passés par les vagues, retenus, enlacés de mille nœuds, au
point de ne plus pouvoir mouvoir « ni pied ni patte ».
Horace navigue
d'allusions
fines en allusions si fines que lui seul les comprend, et rit. Horace
est loin, il l'a toujours été. Be
be bous bous, je naye, je naye :
peut-on être critique et prescripteur, sans être
poète soi-même
? « Un bon peintre ne doit réfléchir
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HORACE « ÉPITRES »
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que
les brosses à la main » Nous voyons mal Horace dans ce rôle
de pion de jury. Scribendi
recte sapere est - « pour
bien écrire, il faut du bon sens »
« le
bon sens » ! Cette chiotte ! Cette épouvante ! Qui te donne
toujours tort ! Qui te ramène à coups de pied au cul à
l'essentiel, Mourir, Dormir – sentir son cerveau, en dépit des
révoltes, se pétrifier...
Et
je suis de nouveau attelé à cet horrible Horace, petit gros qui
adorait se faire enculer en baisant une femme, chacun ses goûts. Eh
bien je n'ai guère avancé depuis près de deux ans : toujours
ahanant sur cette « Epître aux Pisons », mais ayant
enfin compris une chose : le charme d'Horace (car il en est qui lui
trouvent du charme) consiste à changer apparemment
de
sujet, badinant, à la Montaigne mais plus condensé, Montaigne
filant le filandreux. Il me semblait en effet suspect, pour mon
jugement, de ressentir la subtilité du vers, sans en suivre les
méandres sémantiques : Horace a le sens de la formule qui se
retient bien,
du slogan. Il déroule ses nonchalances, de brillance en brillance,
puis vous assène une formule qui fera date à travers les siècles :
quandoque
bonus dormitat Homerus, parfois
notre bon Homère sommeille... « Pour moi », ce serait
une honte d'être laissé en arrière et d'avouer que véritablement
je ne sais point ce que je n'ai pas appris » : excellent
exemple de phrase entortillée
qui ne veut pas dire grand-chose.
La
poésie, dès qu'elle s'éloigne des sommets, plonge dans l'abîme,
dit-il en substance plus haut. Tout chacun « se mêle
d'écrire », sans avoir appris. Relire l'admirable poème de
Rainer-Maria Rilke pour tout ce qu'il faut avoir emmagasiné, digéré,
oublié d'avoir assimilé, avant de trouver le premier mot d'un
poème. « Je me suis appliqué. Quiconque se sera aussi
longtemps appliqué fera aussi bien que moi », disait de son
côté J.S. Bach. Jamais je n'ai voulu m'efforcer à fond, crainte de
me
perdre; et je me suis perdu peut-être - « Galilée, ce grand
homme, foula du pied les pays inconnus de la science, tndis que de
l'autre il saluait l'aurore d'une ère nouvelle ». « Ne
te soucie pas de ce que font les autres, fais ce que dois, advienne
que pourra. » Je brode aussi. Anch'io
Horazio. Je
me souviens de ce poète en vers latins, trônant dans sa cuisine un
dimanche en costume, tandis que sans relâche j'effectuais quatorze
aller-retour aux
toilettes.
Quatorze.
Je
me souviens de Montaigne farcissant de latin ses pages, et ses pages.
Je me souviens de ces évêques et cardinaux se
précipitant sur leurs écouteurs à traduction simultanée pour les
discours latins
de
Sa Sainteté. Et notre Horace, par la bouche de son traducteur (ici
François Villeneuve)
de nous confier : « Comme le crieur qui fait accourir la foule
autour des marchandises à COLLIGNON LECTURES LUMIÈRES,
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HORACE « ÉPITRES »
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vendre,
le poète invite les flatteurs à venir au gain quand il est riche en
terres, riche en écus placés à intérêt. » Veux-tu dire, ô
changeur de sujet, ainsi ex
abrupto, qu'un
richissime fera toujours de bons vers, fussent-ils exécrables ? tu
dois de nos jours substituer aux riches les piliers de médias : car
la gloire a plus cours que l'argent...
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Mais
peut-être ai-je « raté » quelque chose ? Je me
débats aujourd'hui avec l'index des noms, et parviens à Enipeus,
traduit par « Enipée » dans l'édition Flammarion :
« Pour toi, garde-toi d'aimer plus qu'il ne faut ton voisin
Enipée : sans doute, personne au Champ de Mars n'est plus
habile à dresser un cheval : personne ne descend plus vite, à
la nage, le lit du fleuve Toscan ». C'est le Tibre. Que
signifie bien ceci ? Cette touche de malice, d'homme à homme ?
Cet Enipée est-il libre ? Peut-on l'enculer ? Ou s'agit-il
seulement d'une amitié, de tête, qui peut faire perdre la tête ?
Les sentiments amicaux étaient bien plus fort en ces temps-là
qu'aujourd'hui. Celle-ci repose sur une admiration sportive, donc
physique : jusqu'où ?
Est-ce
le sujet ? Ne peut-on admirer un sportif sans aussitôt le
désirer ? Tout s'éclaire en lisant la suite : « Dès
que la nuit tombe, ferme ta porte ; ne regarde pas dans la rue
pour y écouter les airs de la flûte plaintive ; et, même si
Enipée te traite plusieurs fois de cruelle, reste inflexible. »
Ces
adjectifs sont
au
féminin. Horace est indulgent. Il sait bien que la jeune femme sera
tentée. Il existait aussi à Rome des amours hétérosexuelles.
« Ennius » figure ensuite à l'index
nominum. Reportons
nous in
vitessa au
vers 54 de la Satire 10, livre I. La traduction de François Richard
nous servira de base. Pourléchons-nous, et voyons : « Ne
sourit-il pas de certains vers d'Ennius, inférieurs en gravité,
sans songer, quand il parle de lui-même, à se mettre au-dessus de
ceux qu'il blâme ? » Ennius est le premier auteur latin
digne de Cenon, après le traducteur Naevius ; notre bon maître
M. Rouyère (requiescat
in pace) nous
avait cité, en sixième, tuba
taratantara dicit, « taratata,
dit la trompette », comme exemple des lourdauderies d'Ennius.
Et
futurs
premiers
communiants de pouffer. Horace, quant à lui, sourit, une fois de
plus, de l'éternelle histoire de la paille et de la poutre. Il n'est
pas féroce à la Martial, il bonhomise avec indulgence.
Les
Romains se piquaient de littérature ; « et tout le monde
se mêle d'écrire » lit-on déjà en cunéiformes. Citez-moi,
par exemple, un critique exaspéré par les perpétuels changements
de sujets d'un Horace ; voyez ensuite combien ce même critique
papillonne lui-même dans ses écrits d'un
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HORACE « ÉPITRES »
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thème
à l'autre, au point que ses pages ressemblent à une patience
québécoise ? Gagné, c'est moi. « En lisant ses vers,
nous pouvons rechercher s'il doit à sa nature ou à la difficulté
du sujet de n'avoir pas fait des vers plus élégants et plus achevés
que ces hexamètres, qu'il se contentait de mettre sur pied, prenant
plaisir à en écrire deux cents avant dîner et autant après ? »
C'est mignon. Horace écrivait bien, très subtilement, il est
difficile de le lire dans le texte. Il a produit abondamment, mais
dans la qualité. Cela ne s'obtient pas sans travail assidu. Le poète
ici visé, sans doute reconnu par les autres, ne polit pas ses vers,
les jette en vrac sans respect du lecteur. Peut-être qu'il n'y peut
rien, qu'il est « comme ça », par nature. Mais alors,
qu'il se connaisse, et change d'activité. Ou bien, qu'il corrige sa
nature. Horace affronte bien la sienne, toute de laisser-aller je
suppose. Cantat la difficulté d'un sujet, nous en doutons.
Tous
les sujets, voyez-vous, sont difficiles. Ce sera là l'excuse du
mauvais poète. Il ne reste plus que le reproche du mauvais travail.
Noter aussi que le scrupule excessif et le polissage passant la
mesure confère aux productions littéraires une obscurité
galimatiesque peu recommandable non plus. Mais « Cassius, à
l'inspiration plus bouillonnante qu'un fleuve rapide, qui périt,
dit-on, brûlé par ses coffrets et ses livres », s'était
montré plus abondant que raffiné : son fleuve fut un
Phlégéton, et sa fin le réduisit en cendres avant même le
bûcher ; son torrent même ne servit de rien. Qui est ce
Cassius ? « Cassius l'Etrusque », identité
véritable, qui est tout ce qui reste. Il ne périt pas dans un
incendie, mais il l'aurait pu : ses œuvres, nous dit la note,
auraient suffi à sa crémation.
Mécène,
favori d'Auguste, était d'Étrurie :
ne s'agit-il pas d'un ami d'ami, qui s'imagine que le talent possède,
automatiquement, une patrie ? Mécène finança Virgile,
Properce et Horace. Mais il était permis de citer, nommément, ses
amis versificateurs. Lucilius . 'ancêtre des satiriques. Il était
encore bien rudimentaire, Horace devint insurpassable. Mais il
respecte les fondateurs : l'épique Ennius est de ceux-là. Nous
apprenons enfin que les poètes plus anciens constituèrent une
foule : tous engloutis... Ceci nous rappelle, en l'an de grâce
2064 n.s., les développements charmants et explicites du n°XVI du
n°XVII, sur la vie décontractée, sur l'art de ne rien foutre
appelé l' « otium », dont le contraire est le
« négoce ».
Nous
ne devons chercher ni la gloire, ni l'argent, mais le contentement de
soi par la vertu, par l'observation de ses études, de ses vers, de
ses actions, dont nous devons sans cesse être les appréciateurs
uniques. Ne jamais demander son avis à la foule, qui honore et
déshonore à quelques heures d'intervalle ; offre et reprend
ses suffrages, sans tenir compte le moins du monde des valeurs
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HORACE « ÉPITRES »
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réelles.
Tout un art de vivre, à l'opposé du nôtre, qui prétend que c'est
aux autres de conduire notre vie, lui donner son sens et lui chier
dessus. Tous comédiens, tous clowns, tous célèbres, l'autre, vous
dis-je, l'autre, l'autre.
Donnons
notre argent à l'autre, nos clowneries à l'autre, nos pensées à
l'autre, notre logement à l'autre, notre mari à l'autre. Tous
histrions, tous modèles de générosité, tous abbés Pierre, tous
Coluche. Mais bande de cons, si on s'oublie, qu'est-ce qu'il nous
reste à donner ? Notre vide ? Notre misère ? Notre
abaissement crasseux ? Mieux vaut être « sage par ses
propres conseils », et « régler nos rapports avec les
grands » et les petites gens, car nous sommes à la fois les
uns et les autres. N'écoutons que nos vrais amis, qui d'ailleurs n'y
connaissent pas plus que nous. Écoutons
les conseils de l'aveugle qui « prétend montrer aux autres le
chemin ». Mais un aveugle à la fois, pas une foule qui défile
avec des pancartes.
Horace,
répète encore que tout le monde peut donner un excellent avis, mais
qu'il faut choisir l'homme, qu'il faut choisir tel ou tel avis de tel
homme, et non pas acheter « Comment devenir intelligent en dix
leçons », 50 000 exemplaires vendus. Fuis la foule, répète-le,
Horace, répète-le comme le répétera plus tard Sénèque. « Il
n'a pas vécu malheureux, celui dont la naissance et la mort sont
passés inaperçus ». « Eh quoi ? dira Montaigne.
Avez-vous pas vécu ? » Si, mon Prince. Fuyez comme la
peste celui qui veut parler au nom du peuple, au nom de la justice,
au nom de la liberté, au nom de quoi que ce soit de collectif.
« Tous ensemble, tous ensemble », beurk, beurk. Selon
Horace. Selon Thatcher. Et rapproche-toi de celui qui est riche, de
l'écrivain riche, du présentateur de la télé – riche, et non
pas du bénévole de la Clé des Ondes. Horace et les Latins sont aux
antipodes de la pensée moderne, et voilà pourquoi tout le monde a
voulu détruire leur langue.
Il
était une fois deux sages, Aristippe et Diogène. Aristippe mangeait
bien, chez les riches. Diogène mangeait peu, chez les pauvres. S'il
cesse de bien manger, il s'en fout, il s'adapte. Mais Diogène, s'il
devient riche, ne voudra jamais redevenir pauvre. C'est déjà
l'histoire d'Alceste et de Philinte. Diogène « mourra de froid
si tu ne lui rends pas sa guenille. Rends-la lui, et laisse vivre ce
lourdaud ». Bizarre : il ne faut obéir à l'opinion de
personne, mais il faut, par la vertu, devenir célèbre. Horace, nous
avons voulu te laisser une chance. Tu as voulu prêcher les deux
choses à la fois ; rester à sa place, dans la vertu.
Puis,
s'élever grâce à sa vertu, en flattant ceux qui ont de l'argent et
de l'influence. Je ne comprends toujours pas. Sauf si nous
comprenons, enfin et une fois de plus, que la grande affaire de la
vie est de se démerder, de s'adapter, que l'on monte, que l'on
descende, que l'on stagne, et d'être en accord avant tout avec
soi-même et sa propre éthique. Y a qu'à, faut qu'on, vrai con,
demerdieren,
Tschüss.
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