Stagnantes

Un repas, et c'en est fini de la raison. Une digestion. Un somnolent dimanche de janvier. Le cerveau n'est plus qu'une masse croupissante et molle. J'envie en vérité le baron de Saint-Pastoux. Oui, je me souviens encore de cet homme-là. Seul, noble et fier, embousé de vignes et de meutes. Ses mains de vigneron noircies par le gel et les intempéries.
Moi : impuissant devant les barres de fer qui retombent en cage autour de moi. J'entends dans l'escalier : "On va promener Thérèse" - lève-toi, enfant, aube sulfureuse, aube crépusculaire de la vie... Vois-tu, il faudrait, accoudé sur un nuage, contempler, agitée sous soi, la troupe estimable des hommes, jetant par intervalles vers le ciel des yeux humides d'allégresse et de reconnaissance, mon beau Peuple... L'univers peuplé de mes semblables. Je ne pourrai jamais admettre les autres.
Les Extérieurs. Vous savez, "vous".
Je deviendrais Adulte.

C'est-à-dire petit, humble, terrorisé ! Zola, Zola lui-même, se relevait la nuit en bonnet et chemise. Sa femme le trouvait pieds nus sur le pavé :
- Que fais-tu là ?
- J'ai peur de la mort.
Quelle œuvre alors faut-il offrir à l'humanité ? Combien en a-t-elle englouti, en est-elle plus avancée... Je dois former l'humanité à mon image. On sait ce qu'il en est advenu de Dieu qui n'a pas su tenir compte qu'il n'était pas seul au monde. L'homme est bon, voilà ce qu'il a envie d'entendre ? Incompréhensible, sournois, un morceau de mémoire ? c'est-à-dire bien peu.
Toi, l'ermite, ce n'est pas fatigant d'avoir toujours raison ? quelle honte d'avoir trouvé sa voie, de se nourrir de figues et de riz dans son écuelle ! Demain matin, je dépends d'une voiture étrangère pour me rendre à mon travail.
Cette voiture a un conducteur.
Ce conducteur, il faut lui parler.
Eh bien, Nietzsche, que ferais-tu ?
Toi le critique je t'emmerde.
Tu dissimulerais, dis-tu ? Tu te dédoublerais ? un moi à la Montherlant par exemple, un moi que le moindre coup d'épée, que le moindre fait vrai tronçonne ? ce serait donc ça, la vérité ? ou bien - suivre le Moi Génial, et pour peu qu'on exagère - on a très vite exagéré, avec ces gens-là - la prison, le Coupe-Cou ? allons nienietzsche, tu divagues : les autres existent.
Il n'y a pas d'essence.
En mon âme Sartre et Nietzsche se livrent un combat sans merci. D'où vient ce manque viscéral qui m'étreint les jours de vide ? quand ma langue se colle, quand face à mes Disciples rien ne sort de ma bouche, que des conventions. Dieu, quel besoin d'être écouté ! Monsieur à quoi sert-il de vous répondre puisqu'on sait bien que vous vous en foutez ?
Les voilà qui chantent, les voilà qui se taisent aussi, qui se replient sur soi-même.
Plus loin encore : voici que mes égaux, ceux qu'après m'être débarrassé de tous les autres je tolère dans min intimité - les Mahler, les Sibelius, les Proust - voici qu'il m'abandonnent, vos quoque ! Bruckner l'ange se heurte aux voûtes du ciel, heurte son Hammerschlag aux murs de son destin, Mahler plante son pic de plus en plus haut sur les cimes escarpées !
...Tandis que je m'essouffle à le suivre.
Même toi, Nietzsche.
Même toi je ne puis te suivre.


X

A moins que par grâce tu ne te sois contredit. Tu ne nous aies tendu la main. Franchisseur de monts. Dans l'amour seul tu rejoins les embraseurs de haine. Radeaux de Méduse. Mangez-vous les uns les autres. Navires qui se dérobent, fraternité. Chanter l'amour devant des murs bien hérissés de verre. Si l'on prêche l'amour tout en faisant la haine, pourquoi ne pas prêcher la haine etc. Combien Sade en a-t-il converti ? À la douceur : 0,5% ; au sadisme 0,75. N'ayant pas lu Sade : 98. Intéresser quelques personnes pour vingt ans, ou trente : j'accepte le marché. Pour cela parler de l'homme : amour et guerre, gloire et beau, les membres et la bouche – inévitable. Soit. Porte-voix du siècle ?
JAMAIS. « On ne t'a pas attendu pour... » - certains, si, m'attendent. M'attendent moi. Mes trésors mes décharges. Pas la moindre action. Des obstinations de monastère. Ce soir Complies. BIENFAISANTE CLÔTURE. Que d'autres s'efforcent au niveau supérieur. Bah-houts. Au dehors. Plus de contraducteurs que les grains de sable du rivage. Sables mouvants effondrés dans la mer. Déjà le corps... les humeurs de ce corps comme des marées... flux et reflux de toute foi... car si tu croyait réellement au Nihil, au Rien, tu te tuerais, ou tu massacrerais. Les gens sincères ont du sang jusqu'aux coudes. Tu es vierge. Magda Goebbels tue ses six enfants et se fait justice. Se fait justice. Non pas démence mais lucidité. Nos ennemis ne sont pas si nombreux.
Est-ce là ton action ? Page écrite à trente ans comme à seize.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Art bourguignon

Traité d'intolérance