Chef-d'oeuvre incohérenr
Ce
lundi la Poste a muré son renfoncement : marre des mégots dans
la boîte. Mais d'autres obsessions tourmentent Terence : ainsi,
lorsqu'il descend de voiture et tire à soi le Caddie roulant
décroché de sa chaîne, il craint d'être surpris dans cette peu
glorieuse occupation. Magdalena répète « On se fout de te
voir ou non » : Terence avance entre les rayons, se sert,
perçoit des rires. Remonte les épaules, opère un savant détour.
...Pour
les clopes, passer par l'arrière : ces derniers temps les buis
ont bien poussé.
X
FIN
DU SV N° 110
La
maman de Magdalena s'appelle Rachel. C'est sa belle-mère à lui ;
elle vit à Bordeaux rue Jonas, à 600km. Bourgeoise et bohème, cela
veut dire en ce temps-là des fleurs, des foulards et les affiches de
Mucha (1860-1939). Elle possède abondance de livres et de bibelots,
mais pas d'homme (séparation de corps par consentement mutuel,
depuis 10 ans) ; Rachel a conservé le couvre-lit de percale orange
(100% coton) à motifs mauves : Mickey Mouse, dix-huit fois en
quinconces. Magdalena lui rend visite rue Jonas.. En récompense sa
mère offre une toque : “Tu la porteras cet hiver !
-
Je ne veux pas d'affaires volées. - C'est plus fort que moi »,
dit Rachel. Magdalena observe que sa mère, à chaque visite, étale
et trie des vêtements nouveaux sur son lit: “Maman a des goûts
de
Cacatoès. - Tu ne comprends rien à l'Art." Dans une heure
Magdalena reprendra le train, pour éviter 8 heures de volant. Rachel
n'est pas le véritable prénom de sa mère, qui sollicite en vain
les plus mythomanes et miteux imprésarios afin de remonter sur
scène. Elle fait aussi dans la politique et distribue des tracts.
Par bouffées enfin, elle fréquente une association catholique. On
la reconnaît a son nez en tremplin de ski, ce qui donne lieu à
d'inépuisables plaisanteries sur ses origines polonaises supposées.
Souvent Rachel médite, dans une espèce d'éblouissement. Magdalena,
fille aînée de Rachel, possède elle aussi une fille, deux ans :
Chloé.
Terence,
qui a de l'humour, observe que les initiales des trois prénoms, R.,
M., C, correspondent à Radio Monte-Carlo. Magdalena, licenciée en
sociologie, observe pour sa part que sa mère, fille de tireuse de
cartes, est devenue psy, tout
de même,
et prospère en toute légalité. Tous les dimanches à 10 h
Magdalena téléphone à sa mère (tarif "éco-weekend") :
“Je suis restée seule ! se plaint Rachel. "Ta sœur Viviane
préfère emménager dans les trois pièces restées libres”. Une
mère, une fille, une soeur de quinze ans chaudement recommandée par
le Secours Catholique - « je ferai de son appartement un petit
joyau.” Pour les vacances, Terence et Magdalena redescendent
souvent chez Rachel à Bordeaux.
Je
leur suis très reconnaissante confie Rachel à sa fille cadette
Viviane, de
leur assiduité.
Chloé, sa petite-fille, pousse bien. A Pâques, recevant à Bordeaux
(“Je suis grand-maman !”) Rachel glisse ses grands panards (41
1/2) sous les pieds de la petite et la fait marcher à l'envers,
c'est rigolo; la grand-mère note dans son journal qu'elle atteint
désormais la Grande Maturité : "je n'exclus pas, pour plus
tard, un suicide philosophique". Rachel recopie avec soin la
phrase d'Hégésias de Cyrène : "Le bonheur est absolument
impossible, car le Sort empêche la réalisation de nos espoirs"
- Allô maman ? Dix jours sans nouvelles! - ...C'est à toi de
téléphoner, ma fille. - Tu trouves toujours un prétexte pour
passer ton tour, ma mère".
Laquelle
avoue : "Je me suis acheté un chien : "C'était ça, ou
l'abattre. - Tu es allée au refuge? - Ses maîtres n'en veulent
pl:us. Je l'ai détesté d'emblée. - Rends-le ! - Il aboie au
moindre bruit. - Tu es complètement folle. - Tu n'as jamais pu
supporter ta propre mère.” Rachel ajoute à brûle-pourpoint
qu'elle a réussi sa vie ; qu'il n'y a pas eu la moindre lubie dans
son existence ; qu'elle fut l'actrice la mieux payée des “Vignes
du seigneur” ("Marie, l'invitée qui chante") en 80. - Je
ne peux plus faire de politique, avec le chien. - Inscris-le au Parti
! - Tu exagères ! depuis que vous
avez déménagé je n'ai plus le goût de voir personne. - Maman je
connais ton discours par cœur... - Allô ? ... passe-moi Viviane, sa
chambre est presque prête..." Magdalena passe le récepteur à
sa petite soeur : “C'est toi Viviane ?... ici maman Rachel, vous
m'entendez toutes les deux ? quand est-ce que tu reviens emménager ?
Terence est avec vous ? ...Terence ! j'ai acheté un revolver. (Si
c'est pour tuer le chien.)
“Mais pas du tout, vous ne me manquez pas le moins du monde.”
Terence s'agite sur son siège.
Dans
l'écouteur éclatent des aboiements frénétiques. Terence : “Ne
jouez pas ! - Je
lève dit
Rachel à l'autre bout du fil mon
revolver, à la santé de - ...Mandrin
!
silence quand je me flingue !" Magdalena
aggrippe
l'écouteur Maman
tu arrêtes ton cirque ! Coup
de feu, glapissements - elle
a raté le clebs ricane
Terence - d'un coup ils se regardent tout pâles, composent le 15
nous
vérifions dans
les 5mn ils sont informés du décès
effectif par
arme à feu de
Rachel Bratsch
le chien n'a rien Madame Elliott. "L'enterrement
se fera sans moi dit Terence. Partez toutes les deux.
- Je ne te demande rien" – adieu, vacances en lieu sûr,
petite location sur Oléron – Rachel morte fout tout en l'air - Tu
ne peux pas laisser ta mère comme ça je vous accompagne en gare -
Trois aller Bordeaux je vous prie" - la voisine gardera Chloé
- Pas
question dit
Térence je
me déciderai au dernier moment Le
dernier moment c'est maintenant dit le guichetier. Terence reste à
quai. Derrière la vitre Magdalena et sa cadette envoient des signes
obscurs. Dès le retour en métro la morte s'installe contre la
cuisse de Terence – qui ne l'entendra plus jacasser
dans l'écouteur - combien
peut-on tirer des trois étages à Bordeaux, Quartier Jardin Public ?
Et attttention à la faute d'orthographe
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