Traité d'intolérance
Après
Zemmour, Charb. On ne dira pas que je n'aime pas le risque. Pas le
droit d'être médiocre. Tant pis, démerdez-vous. Le deuxième tome,
chez Librio Idées, parut fin 2014, peu de temps avant sa mort. Il
porte le titre des (et non "de Les", ignares) "Fatwas
de Charb Petit traité d'intolérance Tome II". Fatwa formelle
ou non, il est de fait qu'un magazine extrémiste publiait en 2013 un
article appelant à tuer onze personnes, dont Charbonnier dit Charb.
D'où le titre du second volume, pour faire pièce à la condamnation
et braver l'assassinat. Mais le tome II prolonge le tome I, l'affaire
des caricatures ayant déjà (en 2006) excité la verve dudit
dessinateur et polémiste.
Les
deux volumes sont minces et plaisants, avec des images signées Charb
et des chapitres courts, ce qui n'empêche pas de stimuler vos
cerveaux en même temps que vos zygomatiques. Approximativement la
longueur d'une rubrique rigolote de Charlie-Hebdo. Tous les titres
commencent par "Mort" et se terminent par un point
d'exclamation, ce qui ressemble aux éructations scandées par les
foules en délire que manipulent des salauds, de Londres à
l'Afghanistan. Charb répond aux gueulantes des multitudes par des
gueulantes individuelles, qu'il nous fait partager. Nous rions, même
intérieurement, contre le caractère dérisoire de tels appels au
crime : pourquoi ?
Il
ne s'agit pas en effet de décapiter à la hache (elle figure sur les
deux couvertures) les agaçants, par exemple "journalistes
sportifs" ou ceux qui emploient sans cesse le mot "couilles"
(ce qui donne "Mort aux couilles"). C'est absurde, personne
ne va croire ça. Mais nous sommes parfois au comble de
l'exaspération face au tics de langage recouvrant une ignorance
crasse ou un degré de conscience équivalent à peu près à celui
d'un australopithèque. Ce comique hérite de l' "esprit
Desproges", qui lui aussi vouait les handicapés ou les
étrangers aux pires insultes, Charb poussant jusqu'aux supplices les
plus détaillés, plaisamment adaptés aux personnes exaspérantes :
les lanceurs de ballons blancs devraient se faire exploser les
intestins à force de les gonfler, les mauvais décorateurs verront ou
ne verront pas leurs têtes "clouées aux murs pour égayer leur
établissement". Brûlons, de même, les tongs en un vaste
bûcher avec leurs propriétaires au milieu... De même Desproges
parlait-il de coller au mur les inventeurs des emballages "Vache
qui Rit" pour atteinte au moral de la Nation. Nous n'allons pas
en faire une jaunisse. Ni ramener nos gueules de chaisières
chlorotiques pour bêler qu'il est permis de rire de tout mais pas
avec n'importe qui. C'est le sujet du premier article dans le premier
titre : qui s'arrogera le droit de m'autoriser à rire ? je ris quand
je veux, de ce que je veux, avec qui je veux. La moindre restriction
devient une censure.
S'il
ne faut plus rire des femmes, des juifs, des chauves, des profs, des
Belges, des putes, des riches et des clochards, des curés, de Dieu
ou du drapeau français, il ne faudra plus rire non plus des flics,
des boiteux, des pédés ou du pape. C'est inepte. Le rire est
nécessairement méchant, agressif, de mauvaise foi dans tous les
sens du terme. On rit du gouvernement. On rit des fachos, on rit des
cocos, on rit des socialos. C'est fatigant, tout le monde rit de
tout, on ne croit plus en rien. Mais avant de parler d'indigestion,
laissez-nous bouffer du rire. De temps en temps on s'arrête, mais de
temps en temps on reprend, quitte à se foutre de notre propre
gueule, ce qui ne veut pas dire que nous nosu prenions réellement
pour des cons pourris. Humor
verloren, alles verloren, "humour
perdu, tout perdu"'.
Le
second tome possède aussi un chapitre sur les islamistes et leurs
menaces. Cela peut passer pour une prémonition involontaire, les
deux termes s'excluant l'un l'autre, et familles de pleurer dans les
chaumières. Mais tout est prémonitoire. Les chroniques de Charb
rassemblées dans ces deux brochures ont un autre point commun :
c'est de se terminer toutes, après la condamnation à mort et
l"énoncé du supplice recommandé, par le mot Amen
: sarcasme
répétitif, impliquant le rejet de tout extrémisme religieux
catholique, juif, musulman, liste ouverte ! Savoir que le bourdon de
Notre-Dame sonnerait en sa mémoire l'aurait secoué d'un rire
homérique, ainsi que tous les morts de son équipe ! Condamner les
tartufes ne signifie pas mépriser les véritables croyants, ceux qui
ne tuent personne !
Ce
combat est de toutes les générations. "Il ne faut pas
stigmatiser" concerne un autre problème. Charb n'arrête pas de
stigmatiser : les petits actionnaires qui nous font payer les
autoroutes, les fétichistes nationalistes - il règne un vrai
pêle-mêle de bric-à-brac de foutoir, le sérieux côtoie le
dérisoire, on peut être patriote sans virer FN, on peut condamner
l'usage des drogues destructrices sans fusiller les fumeurs de
joints, serrer les violeurs sans condamner l'acte d'amour, et ainsi
de suite. Le truc des censeurs ou des emmerdeurs est de généraliser,
de lancer leurs anathèmes (fatwa chrétienne), et de sortir les
mitraillettes ou les poignards. Nous ne sommes pas les seuls à le
dire, nous rabâchons, et le décourageant, c'est qu'il faut toujours
tout reprendre pour les malcomprenants, que définit la deuxième
syllabe du mot. La condamnation de l' "usager en colère"
par exemple va loin, puisque les passagers du train en grève sont
montrés en train de gueuler qu'ils sont pris en otages, alors qu'ils
feraient mieux d'aller voir au LIban ce que c'est que d'être,
véritablement, un otage en vrai, pas pour du beurre. Le journaleux
pendant ce micro-trottoir ou ce micro-quai de gare omet soigneusement
de préciser le pourqoi de la grève, et insinue que finalement il
faudrait restreindre la grève des cjheminots, puis des
fonctionnaires, puis tant qu'à faire des marchands de fromage.
En
revanche, les "binoclards "tendance" "
représentent juste un snobisme inoffensif, consistant à s'afficher
avec des lunettes bidon, c'est moins grave. Sauf à considérer que
nous achetons un grand nombre de gadgets inutiles pour alimenter la
spirale infernale du capitalisme. Finalement, si nous analysons tout,
le comique sans ses accessoires n'est plus qu'un moraliste râleur,
qui aligne les lieux communs comme il respire; Il est donc
indispensable de se fortifier par une gestuelle (Florence Foresti est
une grande athlète sur scène), ses grimaces, sa prononciation,
comme Dany Boom le Ch'ti berbère, son vocabulaire, voir Bigard, et
tous les procédés possibles.
Car
si l'on observe les sketches d'un Palmade ou d'un Elie Kakou, on
s'aperçoit qu'il n'y a pas grand-chose de franchement rigolo à
proprement parler. Par dessous, tout est con, inepte et convenu. Mais
comme disait ma concierge (je stigmatise ! où çà, des concierges
?)
"Tu
prends Brigitte Bardot" (au temps de sa splendeur), tu lui
enlèves ses seins, sa bouche ses yeux et son cul, et qu'est-ce qui
reste ? Ben rien..." N'arrachons pas aux comiques leurs
oripeaux; Charb utilise les répétitions, l'outrance, le traitement
des petites choses et des grandes sur le même plan, l'insulte ; il
focalise sur de toutes petites choses, il ne généralise pas, il n'y
a rien sur les travers des juifs ou des arabes, il plaint même les
femmes qui portent des souliers trop petits avec des sparadraps pour
couvrir les écorchures.
Vous êtes durs à la détente tout de même... Du Charb, quoi, merde !
RépondreSupprimer