Namouna de Troyat
"Une
femme est comme votre ombre :
courez
après, elle vous fuit ; fuyez-la,
elle
court après vous."
Il
a toujours obéi à son père, sans y voir le moindre problème :
papa a toujours raison. Il a examiné la fiancée de son fils, et lui
a conseillé de régulariser la situation, lui-même en faisant
autant à septante ans. Le fils, celui qui dit je, a 38 ans et en
paraît 50 : il est temps, après maints vagabondages, de faire une
fin. Rien d'affriolant, rien de bien passionné, tout est coincé,
jusque dans le style, qui brille par son académisme, justement. Or,
voici que sa femme, Alix, épousée enceinte et victime ensuite d'une
fausse couche, ce qui sent le piège involontaire - disons que c'est
la destinée, de telles choses arrivent - s'entiche en voyage de
noces d'une chien de belle race, qu'elle appelle Namouna, et d'un
autre chien, mâle, appelé Méphisto.
Les
revenus familiaux (le père a ses bureaux Avenue de la Grande-Armée,
derrière l'Etoile) permettant l'acquisition de chiens de race, voici
notre jeune famille avec un couple reproducteur : première portée,
deuxième, croisements incestueux entre chiens, premiers concours,
premières récompenses. L'appartement d'Alix et de son époux, en
région provençale, devient peu à peu un élevage, prestigieux, qui
accumule récompenses et trophées: concours de beauté canine, de
conformité à la race, alors qu'il n'existe pas de races comme vous
le savez tous : juste la race des chiens. Jerrycane, comme disent les
garagistes du XVIe. L'époux, qui n'a jamais eu envie de faire
grand-chose (les fils de riches sont bien malheureux) se voit
bombardé de fonctions fictives et bien rémunérées. Sa femme
désormais s'ébroue au sein d'une multitude de chiens puants,
soignés, pomponnés vétérinarisés à mort, collectionne les
trophées dans de grandes vitrines, adore ses petits chouchous de
toutous, et le couple va comme une galère lourdement chargée. Puis
le mari, qui s'est rasé la barbe, explose: à la suite d'une visite
de son père, il jette à la face de son épouse qu'il n'est plus
rien du tout, juste un vice-sous-secrétaire adjoint, que toute
intimité est bouffée par les cabots, qu'il retourne à Paris chez
son père (un petit studio tout simple avenue de la Grande Armée).
Le
dénouement ne se fait pas attendre, notre homme s'ennuie, demande
deux chiens, Namouna et Méphisto, qui le lèchent abondamment,
jouent dans le Bois de Boulogne, puis dépérissent : il faut les
rapatrier en Provence auprès de leur prolifique descendance, et le
héros revient la queue basse, confit de passivité, repentant,
aimant, ayant enfin compris la bienfaisance, et ce sont là les
derniers mots, de "la chaleur animale", sous-titre de cette
sous-production intitulée Namouna.
Il
faut bien que les vieillards écrivent jusqu'au bout, et du Troyat,
ça se vend (mort en 2007 à 96 ans). Que dire ? Les personnages
sont esquissés. Père dominateur, fils obéissant, qui se contente
de relaisser pousser sa barbe en se séparant (très momentanément)
de sa femme, rappelant, en plus riche, le "professeur de cheval"
dont il est question chez Nourissier (En
avant, calme et droit).
Autant
dire qu'il manque singulièrement de relief. Comme le roman,bien
maigrelet, sans a
parte socio-
ni psychologique : juste narratif. La femme, Alix, croquée elle
aussi en quelques lignes, serait conventionnelle sans sa passion
dévorante pour l'espèce canine, spécialement la race - oh pardon -
des petits lévriers italiens ou "levrettes d'Italie" : il
faut découvrir le bon créneau, et s'y tenir, tel est le secret de
la vente. Le Club Français du Petit Lévrier Italien, CFPLI, est,
depuis 1960, le seul établissement français habilité à promouvoir
cette race, oh pardon. Cela implique une cotisation, des contrôles,
une réglementation, un style de vie, des relations triées sur le
volet, une obsession étrangère par définition à ceux qui ne la
partagent pas.
Mais
comme le dit le narrateur, peu importe l'enjeu de votre passion,
pourvu que vous en ayez une. Celle de l'évage canin ou félin ne
vous a sans doute jamais effleurés. Vous aimez bien votre animal, le
plus souvent corniaud pure race -eh merde... - mais de là aux
aboiements nocturnes et à l'industrialisation mondaine en quelque
sorte de votre existence entière, il y a une marge. Ces objets de
luxe bichonnés, tatoués, vaccinés, enrubannés, ne semblent pas,
pour un profane, les plus appropriés à communiquer une émotion
bien profonde. Il faut se détromper : leurs croisements impliquent
justement une extrême délicatesse, une grande fragilité physique
et affective.
Ils
ont des affections, voire des dépressions, comme les humains, il
faut les aimer individuellement malgré leur multiplication,
personnaliser les contacts, surveiller les truffes et les selles,
allier les satisfactions vaniteuses et mondaines de propriétaires
aux petits soins avec le sens de
la bête et de l'affection, aimer son élevage. Et si vous aimez
toutes les bêtes de votre élevage, pourquoi n'y adjoindriez-vous
pas l'amour de votre mari, qui revient la queue basse mais pas trop
après une brève escapade sans même une aventure féminine ? On
s'habitue à sa femme, à ses lubies, on s'aperçoit qu'on n'a jamais
cessé de l'aimer, que les bêtes n'ont pas été un obstacle à
l'amour ni le second terme d'une alternative exclusive.
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