Mémoires de guerre du Général de Gaulle
Penser à ce haut-le-corps qui saisit le haut commandement allemand lorsqu'il fallut signer la paix sans conditions en 1945 : la France osait figurer parmi les vainqueurs, et obtint d'occuper un bon quart de l'Allemagne de l'Ouest. « Moi et Staline ». Inimaginable. J'ignore si les deux hommes se sont rencontrés. Il s'est entretenu avec Molotov. Il le décrit comme un homme de parti, un rouage. « Mon gouvernement, me dit M. Molotov, est l'allié de ceux de Londres et de Washington. Ce sont donc bien des hommes qui prennent des décisions. Ils représentent à eux seuls des millions d'autres hommes. Ils meuvent l'immense machine.
Point n'est besoin d'affronter des multitudes houleuses à l'aide d'un mégaphone. De même un professeur fait obéir des classes de 35. Multiplie par deux ou trois millions. Les boules des jongleurs passent d'une main à l'autre ; elles ont pour nom Moscou, Londres et Washington. Ces jongleurs sont plénipotentiaires. Ils ne doivent pas rendre compte chaque soir. Surtout de Gaulle, à la fois diplomate et chef de l'exécutif autoproclamé. Talent et foi, il faut bien que de Gaulle ait possédé tout cela. Molotov poursuit : Il est essentiel pour la guerre que nous collaborions avec eux. Avant de les englober ?
(58 10 12)
Voici Mongénéral qui s'envole au Caire pour regonfler ses troupes. Il pressent que les Américains, ces traîtres ! voudraient libérer l'Afrique du Nord avec l'aide du général Giraud, qui s'imagine pouvoir reconquérir la France à partir de la zone dite libre... Chacun la joue perso, et De Gaulle décide d'en faire autant. Il lui faudra louvoyer entre les Ricains et les Soviets, et nous en restâmes là pour plusieurs dizaines d'années. Les Alliés avaient même tenté de négocier avec Weygand. « Et De Gaulle ? - On l'amnistiera ! » A quoi ça tient, dirait la concierge. Bref, avec l'argent de Londres, De Gaulle voyage en Egypte, sans tourisme. Il a un petit ressort dans le ventre, mais c'est à lui que nous devons de n'être pas un protectorat étatsunien.
Il rencontre là-bas un homme envoyé à Moscou par Roosevelt comme ambassadeur. Là encore, sûr que les impérialistes vont essayer de couper l'herbe sous le pied de notre grand Charles. Mais notre grand homme va le retourner. Mystère de l'autopersuasion. Pourquoi ai-je cru ceux qui me jugeaient fou ? Ce diplomate, ordinairement ouvert et disert, semblait, cette fois, replié sur un lourd secret. Maitenant, l'envie de chier, ça existe, aussi. Que va faire notre Tintin en képi ? En passant à Gibraltar, j'eus le spectacle des vastes travaux qui y étaient engagés et je notai le comportement sybillin du gouverneur, qui n'était pas plus moche qu'un autre, le général Mac Farlane, si détendu en d'autres occasions.Ces jeux de mots sont lassants, et m'ont forgé une réputation désastreuse. Et je ne vis jamais Gibraltar. Tous ces indices m'assuraient qu'une grande affaire se jouerait bientôt, sans nous, dans la Méditerranée. Je croyais que l'envoyé à Moscou se ferait retourner : pas du tout. D'autre part, je ne peux m'empêcher de rappeler que nous n'étions que 600 Français le jour du débarquement. De Gaulle n'aurait-il pas encore une fois fait danser l'anse du panier ?
De Gaulle (« Dubourrin » en allemand) reprend : J'arrivai au Caire le 7 août. De là à comparer l'auteur à César, voire à Tacite, il reste tout de même une marge. L'ambiance y était aussi lourde que la chaleur. Lui aussi fait de l'esprit, et du plus plat. Tant mieux. Les récents revers de la VIIIe Armée pesaient encore sur les esprits, soit une pesanteur de plus. De Gaulle devait paraître à ces états-majors aussi farfelu que Lawrence d'Arabie en 1916. Bien que Rommel eût arrêté sa marche en avant depuis déjà six semaines, il était à El-Alamein, d'où le premier assaut pouvait porter, en deux heures, ses blindés vers Alexandrie. Quatre jours plus tard je me trouvai à Madagascar, lors de l'intervention des Alliés : cette occupation (de Madagascar) aurait-elle lieu ? Assurément le Général se démenait pour faire connaître au monde, en particulier aux Américains, les agissements sournois des Anglais, qui soutenaient l'indépendance des Libanais et des Syriens tout en poursuivant la répression de Gandhi et de ses partisans, tandis que les Etats-Unis affectaient de ne voir dans les frictions entre la France et la Grande-Bretagne qu'une rivalité détestable entre puissances coloniales.
Braves petits anges. De Gaulle fait parfois sourire par ses naïvetés de puceau (ces réceptions enthousiastes au Moyen-Orient, y compris par les Kurdes, ces passages en revue où le sable lui semblait élastique aux pieds), mais il inspire l'étonnement, prémisses de l'admiration. La simple force de ses idées, de ses convictions, parvient à remuer les montagnes et les consciences. Jacques m'affirmait dernièrement que sans les mouvements de résistance française, jamais de Gaulle ne fût parvenu au pouvoir. Mais il le quitta, ce pouvoir, entre les mains de nains. Puis ce fut l'Algérie, et le réalisme proche de la trahison... Pour l'instant, c'est de Madagascar qu'il s'agit, et nos troupes, soigneusement détaillées et glorifiées par de Gaulle, ne sont malgré tout que les bribes d'une armée. De Gaulle n'a que la gueule. ...et par contraste avec ce qui s'était passé lors de l'attaque de Diégo-Suarez, nous avaientt-ils avisés avant que les faits s'accomplissent. On a des égards pour le Général. On respecte certaines formes. Les réalités concrètes quelque jour en sortiront. Il s'agit bien toujours de la force de la pensée, celle de Hugo dans Jéricho, celle des Chinois qui recréent le monde, par le Verbe et la Foi. Bizarre. Entraîner la volonté, le manque de scrupule vis-à-vis de l'adversaire (en n'imaginant pas qu'il puisse vaincre), devraient-ils faire partie des disciplines enseignées à l'école ? Quitte à former des armées de coqs ingérables ? Ne faut-il pas, pour que ces principes volontaristes se concrétisent, une grande masse subissante ? S'il n'y avait pas les créatures, sur quoi s'exercerait la puissance du Verbum ? Dieu créa le monde afin d'étendre sa perfection jusqu'à l'expérience : le monde n'est-il pas alors coéternel à Dieu ? quittons ces hauteurs de terminales, les anciennes, d'avant 68, et revenons au pays des Malgaches, guetté aussi par les Japonais. Le 7 septembre, M. Eden, exprimant à Pleven et à Dejean l'irritation de son gouvernement quant à mon attitude au Levant, laissa prévoir qu'un événement prochain à Madagascar exigerait qu'on s'entendît. Premièrement : M. Eden occupe je ne sais plus quelle place dans le gouvernement britannique ; nous reverrons M. Pleven en ministre sous les Quatrième et Cinquième république.
Pour Dejean, il porte le même nom que la désastreuse prof de piano de mon épouse, quand elle était jeune fille. Plus celui d'un magnifique jeune homme brun, que j'avais aguiché de mes œillades à l'ancienne bibliothèque de Bordeaux ; il était venu se planter près de ma table, souriant, prêt à faire connaissance. J'avais alors négligemment levé les yeux de mon livre, puis repris ma lecture. Il s'en alla, fort dépité, puis oublia. Ces deux Déjean, la pianiste et le beau spectateur, appartiennent-ils à ce Dejean que cite de Gaulle, ou non ? Le 9 septembre, appelant auprès de lui nos deux commissaires nationaux, il leur fit connaître que « les troupes britanniques devaient débarquer le lendemain à Majunga, que son gouvernement avait l'intention arrêtée de reconnaître l'autorité du Comité national français sur Madagascar dès que serait terminée la campagne militaire et qu'il serait désireux d'entreprendre avec moi, dès que possible, des négociations pour un accord à ce sujet. La France gémirait ainsi sous le double joug des Allemands en métropole et des Anglais à Madagascar.
On ne laissait à de Gaulle que l'ombre d'un commandement, comme à Pou-Yi sur le Mandchoukouo. De Gaulle n'avait pas de force militaire. A peine. Le plan de l'Angleterre semble pragmatique. La façon dont on traite le Général correspond à celui qu'on inflige à ceux qu'il faut ménager, mais dont on se fout ouvertement dans son dos. Il va donc protester je suppose, il n'y a jamais manqué. Ici le lecteur s'instruit.
Point n'est besoin d'affronter des multitudes houleuses à l'aide d'un mégaphone. De même un professeur fait obéir des classes de 35. Multiplie par deux ou trois millions. Les boules des jongleurs passent d'une main à l'autre ; elles ont pour nom Moscou, Londres et Washington. Ces jongleurs sont plénipotentiaires. Ils ne doivent pas rendre compte chaque soir. Surtout de Gaulle, à la fois diplomate et chef de l'exécutif autoproclamé. Talent et foi, il faut bien que de Gaulle ait possédé tout cela. Molotov poursuit : Il est essentiel pour la guerre que nous collaborions avec eux. Avant de les englober ?
(58 10 12)
Voici Mongénéral qui s'envole au Caire pour regonfler ses troupes. Il pressent que les Américains, ces traîtres ! voudraient libérer l'Afrique du Nord avec l'aide du général Giraud, qui s'imagine pouvoir reconquérir la France à partir de la zone dite libre... Chacun la joue perso, et De Gaulle décide d'en faire autant. Il lui faudra louvoyer entre les Ricains et les Soviets, et nous en restâmes là pour plusieurs dizaines d'années. Les Alliés avaient même tenté de négocier avec Weygand. « Et De Gaulle ? - On l'amnistiera ! » A quoi ça tient, dirait la concierge. Bref, avec l'argent de Londres, De Gaulle voyage en Egypte, sans tourisme. Il a un petit ressort dans le ventre, mais c'est à lui que nous devons de n'être pas un protectorat étatsunien.
Il rencontre là-bas un homme envoyé à Moscou par Roosevelt comme ambassadeur. Là encore, sûr que les impérialistes vont essayer de couper l'herbe sous le pied de notre grand Charles. Mais notre grand homme va le retourner. Mystère de l'autopersuasion. Pourquoi ai-je cru ceux qui me jugeaient fou ? Ce diplomate, ordinairement ouvert et disert, semblait, cette fois, replié sur un lourd secret. Maitenant, l'envie de chier, ça existe, aussi. Que va faire notre Tintin en képi ? En passant à Gibraltar, j'eus le spectacle des vastes travaux qui y étaient engagés et je notai le comportement sybillin du gouverneur, qui n'était pas plus moche qu'un autre, le général Mac Farlane, si détendu en d'autres occasions.Ces jeux de mots sont lassants, et m'ont forgé une réputation désastreuse. Et je ne vis jamais Gibraltar. Tous ces indices m'assuraient qu'une grande affaire se jouerait bientôt, sans nous, dans la Méditerranée. Je croyais que l'envoyé à Moscou se ferait retourner : pas du tout. D'autre part, je ne peux m'empêcher de rappeler que nous n'étions que 600 Français le jour du débarquement. De Gaulle n'aurait-il pas encore une fois fait danser l'anse du panier ?
De Gaulle (« Dubourrin » en allemand) reprend : J'arrivai au Caire le 7 août. De là à comparer l'auteur à César, voire à Tacite, il reste tout de même une marge. L'ambiance y était aussi lourde que la chaleur. Lui aussi fait de l'esprit, et du plus plat. Tant mieux. Les récents revers de la VIIIe Armée pesaient encore sur les esprits, soit une pesanteur de plus. De Gaulle devait paraître à ces états-majors aussi farfelu que Lawrence d'Arabie en 1916. Bien que Rommel eût arrêté sa marche en avant depuis déjà six semaines, il était à El-Alamein, d'où le premier assaut pouvait porter, en deux heures, ses blindés vers Alexandrie. Quatre jours plus tard je me trouvai à Madagascar, lors de l'intervention des Alliés : cette occupation (de Madagascar) aurait-elle lieu ? Assurément le Général se démenait pour faire connaître au monde, en particulier aux Américains, les agissements sournois des Anglais, qui soutenaient l'indépendance des Libanais et des Syriens tout en poursuivant la répression de Gandhi et de ses partisans, tandis que les Etats-Unis affectaient de ne voir dans les frictions entre la France et la Grande-Bretagne qu'une rivalité détestable entre puissances coloniales.
Braves petits anges. De Gaulle fait parfois sourire par ses naïvetés de puceau (ces réceptions enthousiastes au Moyen-Orient, y compris par les Kurdes, ces passages en revue où le sable lui semblait élastique aux pieds), mais il inspire l'étonnement, prémisses de l'admiration. La simple force de ses idées, de ses convictions, parvient à remuer les montagnes et les consciences. Jacques m'affirmait dernièrement que sans les mouvements de résistance française, jamais de Gaulle ne fût parvenu au pouvoir. Mais il le quitta, ce pouvoir, entre les mains de nains. Puis ce fut l'Algérie, et le réalisme proche de la trahison... Pour l'instant, c'est de Madagascar qu'il s'agit, et nos troupes, soigneusement détaillées et glorifiées par de Gaulle, ne sont malgré tout que les bribes d'une armée. De Gaulle n'a que la gueule. ...et par contraste avec ce qui s'était passé lors de l'attaque de Diégo-Suarez, nous avaientt-ils avisés avant que les faits s'accomplissent. On a des égards pour le Général. On respecte certaines formes. Les réalités concrètes quelque jour en sortiront. Il s'agit bien toujours de la force de la pensée, celle de Hugo dans Jéricho, celle des Chinois qui recréent le monde, par le Verbe et la Foi. Bizarre. Entraîner la volonté, le manque de scrupule vis-à-vis de l'adversaire (en n'imaginant pas qu'il puisse vaincre), devraient-ils faire partie des disciplines enseignées à l'école ? Quitte à former des armées de coqs ingérables ? Ne faut-il pas, pour que ces principes volontaristes se concrétisent, une grande masse subissante ? S'il n'y avait pas les créatures, sur quoi s'exercerait la puissance du Verbum ? Dieu créa le monde afin d'étendre sa perfection jusqu'à l'expérience : le monde n'est-il pas alors coéternel à Dieu ? quittons ces hauteurs de terminales, les anciennes, d'avant 68, et revenons au pays des Malgaches, guetté aussi par les Japonais. Le 7 septembre, M. Eden, exprimant à Pleven et à Dejean l'irritation de son gouvernement quant à mon attitude au Levant, laissa prévoir qu'un événement prochain à Madagascar exigerait qu'on s'entendît. Premièrement : M. Eden occupe je ne sais plus quelle place dans le gouvernement britannique ; nous reverrons M. Pleven en ministre sous les Quatrième et Cinquième république.
Pour Dejean, il porte le même nom que la désastreuse prof de piano de mon épouse, quand elle était jeune fille. Plus celui d'un magnifique jeune homme brun, que j'avais aguiché de mes œillades à l'ancienne bibliothèque de Bordeaux ; il était venu se planter près de ma table, souriant, prêt à faire connaissance. J'avais alors négligemment levé les yeux de mon livre, puis repris ma lecture. Il s'en alla, fort dépité, puis oublia. Ces deux Déjean, la pianiste et le beau spectateur, appartiennent-ils à ce Dejean que cite de Gaulle, ou non ? Le 9 septembre, appelant auprès de lui nos deux commissaires nationaux, il leur fit connaître que « les troupes britanniques devaient débarquer le lendemain à Majunga, que son gouvernement avait l'intention arrêtée de reconnaître l'autorité du Comité national français sur Madagascar dès que serait terminée la campagne militaire et qu'il serait désireux d'entreprendre avec moi, dès que possible, des négociations pour un accord à ce sujet. La France gémirait ainsi sous le double joug des Allemands en métropole et des Anglais à Madagascar.
On ne laissait à de Gaulle que l'ombre d'un commandement, comme à Pou-Yi sur le Mandchoukouo. De Gaulle n'avait pas de force militaire. A peine. Le plan de l'Angleterre semble pragmatique. La façon dont on traite le Général correspond à celui qu'on inflige à ceux qu'il faut ménager, mais dont on se fout ouvertement dans son dos. Il va donc protester je suppose, il n'y a jamais manqué. Ici le lecteur s'instruit.
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